Je viens enfin de teminer la lecture du livre «La mystérieuse affaire de l’impasse Zaafarâni» de Gamal Ghitany.
Il y a quelques mois encore, je ne connaissais pas du tout cet auteur. J’avais acheté un premier livre «Zayni Barakât», et il y a quelques jours, je suis tombée par hasard sur 2 autres livres, cellui-ci et «Les délires de la ville».
En surfant sur Internet, j’ai appris que Gamal Ghitany était un élève de Naguib Mahfouz. Oui, sûrement. Ils s’intéressent tous les deux aux petits personnages de la vie quotidienne égyptienne, les gens de la rue, les gens ordinaires… Mais je trouve le style de Naguib Mahfouz plus poétique, plus aéré, plus léger, plus facile à lire. Lire Naguib Mahfouz est aussi facile que regarder un vieux film égyptien en noir et blanc.
A moins que je n’aie cette impression parce que j’ai pratiquement vu tous les livres de Mahfouz en films…
Je suis donc arrivée à la fin de ce livre, et je me trouve oppressée. C’est vrai, vraiment oppressée.
Au début, je ne comprenais pas pourquoi, et ensuite, j’ai réalisé que l’oppression venait du fait que le livre décrivait une société où l’individu est oppressé. De toutes parts, par ses voisins, ses amis, ses collègues, sa société entière et son Etat, cet Etat qui normallement, grâce à ses institutions est censé veilller à son bien-être et à sa sécurité, mais qui en réalité ne fait que le surveiller, le manipuler, lui mentir.
Le livre relate la vie d’une impasse, l’impasse Zaafarani, ses habitants, leurs habitudes, leur vie quotidienne, et dresse un portrait de chacun d’eux en le faisant parler et en allant jusqu’au fond de ses pensées…
Les gens vont et viennent, se disputent, vaquent à leurs occupations, travaillent, font l’amour…
Et un jour, catastrophe, tous les hommes de cette impasse deviennent impuissants sexuellement.
Un sheikh va récupérer cet incident, il va proclamer être l’auteur de cet envoutement, et tenir par ce biais tous les habitants sous sa coupe.
Ce livre a été écris en 1976, mais personnellement, je le trouve encore d’actualité. Il ne décrit pas seulement la société égyptienne des années 1970, mais toute la société arabe, jusqu’à nos jours. Où l’on voit d’ailleurs que nous n’avons pas vraiment évolué en 30 ans!
Le style lui-même du livre est très particulier. L’auteur nous fait passer, sans aucune transition parfois, de la narration, au rapport de police, à l’article paru dans un journal, aux pensées profondes d’un personnage, aux ragots, aux mémorundums... Comme si le tout ne faisait qu’un. Comme si les personnages n’avaient pas d’existence propre en dehors de la société et de tout et tous ceux qui les entourent! Ils sont des individus, mais en même temps sujets…
Dans ce livre, et par cette ambiance oppressante, l’auteur fait le «procès d'une culture de proximité qui étouffe l'individu dans son intimité la plus profonde».
«Ghitany dévoile une société sévèrement quadrillée, où l'individu refoulé pèse de peu de poids face à la collectivité et se trouve finalement dépossédé de son propre destin sans presque jamais se rebeller».
Cette oppression se manisfeste aussi aussi bien concernant les libertés individuelles, que concernant les opinions et activités «publiques». Toute personne soupconnée d’avoir une activité politique ou même juste une certaine idéologie différente de celle de l’État, est automatiquement surveillée, épiée. L’Etat, par le truchement de ses agents va chercher à connaître par tous les moyens, le moindre geste, la moindre parole, la moindre attitude… interpréter, noter, faire des rapports…. Et même en cas de besoins, inventer et faire de faux rapports. Et ceci concerne aussi bien la personne «soupçonnée» que toutes personnes ayant des relations avec elle.
Ghitanyh nous décrit l’Egypte des années 70 qui venait de perdre un Nasser au profit d’un Sadate plus capitaliste. Les inégalités qui s’y étaient creusées au sein de la population avaient profité à un extrémisme religieux aussi farfelu que dangereux, illustré par le personnage du sheikh, qui va utiliser ce moyen pour les tenir sous sa coupe chacun espérant, par sa docilité et sa soumission aux lubies totalitaires du cheikh, recouvrer sa virilité.
L’auteur critique, non seulement, toute forme d'oppression, mais aussi la faiblesse de chacun des habitants vis-à-vis de ses propres peurs, croyances et démons.
Tous deviennent impuissants par le seul pouvoir du sheikh. Pourtant, presque aucun d’entre eux ne pense à se révolter, à essayer de trouver une solution. Ils sont fatalistes, superstitieux et crédules. Ils obeissent au sheikh, qui les tient sous sa coupe.
«Quoi qu’il en soit, les riverains le sentaient constamment proche d’eux, ils avaient l’impression qu’il les surveillait, qu’il savait tout de leurs agissements».
En temps de crise, il y a toujours une récupération par des extrémistes religieux. Et c’est-ce qu’essaye de démontrer Ghitany. Dans une interview, il avait précisé qu’il visait tous les extrémismes religieux, pas seulement l’islamisme. Peut-être. J’ai eu l’impression qu’il visait particulièrement l’islamisme, bien que tous les extremismes agissent d’après le même schéma.
Le sheikh va s’adresser aux zaafaraniens par le biais de deux personnes. L’une ne fera que transmettre les ordres et consignes du sheikh (que les habitants exécuteront sans discussion), mais l’autre aura une tâche plus importante, et portera un titre «Le Prédicateur».
Ce titre va le faire se sentir le personnage important. Il a la charge de propager et d’expliquer la pensée du sheikh. A cet effet, il convoquera certains «priviligiés» pour discuter avec eux.
A la fin, la vie dans l’impasse va devenir pratiquement impossible. Que de malheurs se sont abattus sur l’impasse! Et l’appel à la révolte va retentir.
Mais les idées du sheikh ont dépassé les frontières de l’impasse, et ont commencé à se propager…
Les commentaires récents