"Je suis sceptique. Car le lien entre la religion et la société est ancré dans les mentalités et l'inconscient arabes. C'est une philosophie dans laquelle le religieux et le profane coïncident, ce qui s'oppose à l'exercice de l'esprit critique. Sans esprit critique, vous ne pouvez pas avoir devant la nature la liberté de pensée indispensable pour pouvoir la maîtriser. Or la critique est interdite dans la plupart des pays arabes, sous peine de prison ou d'exil. Le grand acquis de l'Europe est d'avoir libéré l'esprit critique. Ainsi a pu se produire le développement des sciences et de la philosophie. Dans les systèmes arabo-musulmans, la discussion consiste encore à savoir comment concilier la raison et la foi. Il n'y a plus aucun savant occidental sérieux pour concevoir les choses de cette manière. Certes, il existe de grands scientifiques qui s'affirment fondamentalement catholiques. Mais ils ne mélangent pas les deux. Vous connaissez la fameuse phrase de Pasteur, grand catholique: «Quand j'entre dans mon laboratoire, je laisse mes convictions au vestiaire.» Rien de tel n'existe dans l'islam, en dehors de quelques rares individualités. C'est pourquoi il faut défendre la laïcité avec ferveur. Non pas parce qu'elle représente une valeur en soi, mais parce qu'elle est la seule manière de séparer les activités politiques, intellectuelles et scientifiques des croyances religieuses."
Extrait d'une interview d'Albert Memmi publiée en 2004.
"Si l'on creuse assez, on découvre un tel fouillis qu'on ne sait plus quelles sont nos racines et quelles sont celles des autres. (...) - ... je crois pouvoir démontrer que presque personne ici n'est ce qu'il croit qu'il est; si les Arabes sont originairement les habitants de l'Arabie, alors il n'y a jamais eu ici que très peu d'Arabes, même avec la deuxième vague des nomades Béni-Hillel; juste un saupoudrage, pas tellement plus dense que le saupoudrage phénicien, goth, wisigoth ou français. En fait, nous sommes presque tous des Berbères convertis, soit à l'Islam, soit au judaïsme, et quelquefois même convertis et reconvertis. Nous en avons perdu la mémoire, de sorte qu'une partie d'entre nous, se croyant arabo-musulmane, n'aime pas l'autre partie qui se croit arabo-juive et inversement; j'essaye de ramener l'affaire à de plus humbles proportions. Personne ne sait exactement qui il est; l'Histoire est un chaudron où bout une soupe confuse. - Une putain, tu veux dire, qui a reçu sur son ventre indistinctement tous les conquérants, et dont les enfants sont des bâtards de père inconnu. - Oui, si tu veux, on peut le dire comme ça." Albert Memmi - LE PHARAON.
Ce matin, je suis allée acheter les livres scolaires (la rentrée approche à grands pas!!!!). J'ai refusé obstinément de jeter un coup d'œil aux diverses étagères de livres. Je me connais, si je regarde, j'achète.
Malheureusement, en rentrant à la maison, je me suis aperçue que j'avais acheté un livre d'histoire/géo en double, je suis donc retournée à la librairie pour le rendre.
Bien-sur, bien que 1 heure ne s'était même pas écoulée, impossible de se faire rembourser. On me propose un avoir. J'accepte, mais en attendant que la vendeuse puisse s'occuper de préparer le papier, je jette un coup d'œil sur les livres. Et bien-sûr, la tentation a été trop forte, et je suis partie avec ces livres:
- Son Excellence de Naguib Mahfouz. Je ne connaissais pas du tout ces livres. J'ai été étonnée de les trouver. Je pensais avoir lu presque tous les livres de Mahfouz, à moins que ceux-là n'aient été traduits en français que dernièrement.
- La Porte du Soleil de Elias Khoury. J'avais vu le film au printemps derniers à l'AfricArt. Je l'avais trouvé génial. On dit que le livre est meilleur.
Finalement, je n'ai pas eu mon avoir, mais en plus, j'ai du payer un gros supplément!!!!
Il ne faut jamais me laisser entrer dans une librairie!
Samia y raconte les mauvais traitements que lui faisait subir sa mère pour la punir d’être une fille.
Elle y raconte aussi tout ce que ses parents, et ensuite son mari, lui faisaient subir pour qu’elle devienne une bonne musulmane.
A l’âge de 16 ans, elle est mariée contre son gré à un homme qu’elle n’aime pas et qui va abuser d’elle pendant des années, et la maltraiter.
Elle y raconte son divorce, les mauvais traitements, sa crainte des intégristes, les menaces de morts, les sévices….
Et enfin, sa fuite avec 5 de ses 6 enfants, d’abord en France, ensuite au Canada.
Ce livre m’a mise mal à l’aise. Je ne saurais dire pourquoi.
Parfois, ce que Samia Sharif décrit est tellement horrible, que j’ai l’impression que cela ne peut être vrai. J’ai l’impression qu’elle exagère l’horreur de sa situation, des mauvais traitements, des sévices subis….
Mais ensuite, je me rappelle que dans certains milieux et certaines familles, la situation de certaines femmes est un peu similaire. Alors, je me dis qu’elle ne ment pas, mais que j’ai eu énormément de chance, ainsi que mes concitoyennes, d’être nées en Tunisie.
Merci mon Dieu. Merci Tahar Haddad. Merci Bourguiba. Merci à tous ceux qui ont contribué à améliorer la situation de la femme tunisienne.
Dans une première partie du livre, Samia raconte son enfance et son adolescence. Elle se rend compte qu’elle n’a pas été désirée. Elle se rend compte de l’inégalité de traitement entre ses frères et elle. Sa mère lui fait payer le fait d’être une fille. Pour la mère, avoir une fille est une malédiction. Une malédiction dont il faut se débarrasser au plus vite.
Une fille est source de problèmes. Une fille est une honte.
Il est vrai que jusqu’à il n’y a pas très longtemps, la naissance d’une fille était aussi une sorte de malédiction chez les familles tunisiennes. Et il ne faut pas se voiler la face, mais même aujourd’hui, la naissance d’un garçon est une grande fierté pour les familles et un plus grand bonheur que la naissance d’une fille, et cela particulièrement lorsqu’il s’agit d’un premier né!
Samia va être retirée de l’école, surveillée, épiée… Lorsqu’elle sera adolescente, sa mère lui bandera les seins pour que l’on ne remarque pas ses signes de féminité.
A 16 ans, elle sera vendue. En fait, son père va payer un «prétendant» pour être débarrassé de sa responsabilité envers elle.
Il pense avoir accompli son devoir en élevant sa fille et en la livrant vierge à son mari.
Samia va être mariée de force à un homme qu’elle ne connaît même pas. Et pour son malheur, cet homme va se révéler être une véritable brute et un obsédé sexuel.
Pendant de longues années, elle devra subir son mari et ses mauvais traitements sans que sa famille lève le petit doigt: une bonne musulmane doit obéissance à son mari, qui a sur elle tous les pouvoirs.
Cela aussi existait il y a quelques années en Tunisie. Je me rappelle ma grand-mère et mes tantes, elles avaient toujours ce refrain à la bouche: le devoir d’une bonne épouse est d’obéir à son mari, de veiller à son confort et de satisfaire tous ses désirs.
Samia a fini par être répudiée par son mari. Sa famille lui en a voulu. Ils ont tout fait pour qu’elle retrouve son mari. Ils ont été jusqu’à la séquestrer dans des conditions lamentables pendant un mois en compagnie de ses 2 filles.
Le plus injuste la-dedans, est que bien que répudiée, Samia n’est pas vraiment «divorcée» aux yeux de la loi. Elle doit attendre que son ex-mari entame la procédure judiciaire. Elle de son coté ne peut rien faire. Elle ne peut qu’attendre son bon vouloir et se plier à ses divers chantages!
Et c’est là que l’on peut se rendre compte à quel point, nous tunisiennes avons de la chance. En droit (je sais que dans les faits, parfois c’est différent), aucune tunisienne ne peut rester mariée contre son gré.
Pareil aussi pour les diverses autorisations nécessaires pour accomplir plusieurs actes administratifs, ou pour quitter le territoire tunisien…
En fait, pour nous tunisiennes, ce sont des situations tellement ordinaires, que nous ne pensons jamais que c’est une chance que nous avons par rapport aux autres femmes arabe-musulmanes.
A 20 ans, nous devenons majeures, et nous le restons jusqu’à la fin de notre vie.
Nous pouvons par nous-même décider de travailler ou de ne pas travailler, demander un papier quelconque, obtenir un passeport, un visa, un permis de conduire… Nous pouvons par nous-même nous marier, divorcer…
C’est pour nous l’évidence même, or pour d’autres, comme nos voisines algériennes ou marocaines, cela est impossible.
Il est vrai que nous considérons qu’il existe toujours une inégalité successorale, que diraient alors nos voisines?
Samia vivait en France et s’habillait à l’occidentale. En Algérie, elle se trouve contrainte de se voiler, et de subir des pressions, des remarques et des agressions pour la moindre mèche de cheveux qui dépasse de son voile.
Samia ne peut parler à un homme à moins qu’il ne soit un moharrem.
Samia est agressée, violée, séquestrée… mais même la loi ne peut la protéger….
Samia n’est plus un humain. Elle n’est même pas un animal de compagnie. Elle est juste un objet encombrant, embarrassant, honteux que l’on doit caser, cacher…
C’est pour fuir tout cela que Samia a décidé de partir loin, loin de ces injustices, loin de cette barbarie. Elle voulait être libre. Elle voulait que ses filles soient libres.
Elle y réussira.
Ce qui m’étonne aussi, ce sont les services sociaux des pays occidentaux. En l’occurrence, dans ce livre, Samia parle de la France et du Canada. Je suis étonnée que ces pays offrent autant d’aide à des étrangers.
Par rapport à la France, Samia n’est pas étrangère. Elle est née en France et a la nationalité française. Mais par rapport au Canada?
Ce livre m’a aussi fait très peur. Il me confirme dans mon incompréhension des femmes tunisiennes qui me semblent faire le choix d’un retour en arrière. Ce choix est-il conscient?
Je ne sais pas.
Ces femmes sont-elles conscientes que par leurs agissements, et leurs revendications «islamisantes» ou «islamistes», elles risquent très gros?
Ont-elles conscience qu’elles pourraient perdre leurs acquis?
Ont-elles conscience que l’islamisme wahhabite importé de l’Arabie Saoudite et qui se propage dans notre société pourrait les renvoyer du statut d’être humain à celui d’objet encombrant?
Parfois, j’ai l’impression que ce n’est vraiment pas le cas.
Update (15h12): Je viens de me rappeler une chose qui m'a aussi étonnée. A longueur du livre, Samia a une peur affreuse d'être tuée. Elle affirme qu'en Algérie, le crime d'honneur garantit le paradis à son exécuteur. Cela la térrorisait. Cela est-il vrai? Je ne sais pas. D'autant plus que la définition du crime d'honneur qu'elle donne est assez large.
J'aimerais bien avoir l'avis de lecteurs algériens sur ce sujet.
Je récuse les étiquettes univoques, comme celles qui parlent d’un Occident absolu ou d’un Orient absolu. Il n’y a pas un Occident unique, pas plus qu’il n’y a un Orient unique; au contraire, l’observation nous apprend que le coucher du soleil à l’horizon est un processus continu au cours de l’année, qui ne peut être l’apanage d’une région à l’exclusion des autres. Il en va de même du jaillissement de l’aube, comme l’avaient déjà remarqué nos ancêtres, les anciens Égyptiens, il y a de cela des millénaires. Il existe en Occident des voix sensées, qui savent que la richesse de l’humanité est dans l’interpénétration de ses cultures et la complémentarité de ses éléments, et non dans le projet de bâtir une culture unique en écrasant les autres. Dans notre région du monde, il existe des voix similaires, non seulement à l’époque actuelle, mais aussi depuis les temps les plus anciens. Ainsi, notre grand maître Jalaluddîn Rûmi - poète, musulman et soufi - qui naquit en Afghanistan, écrivit sa poésie en persan et mourut à Konya en Turquie, écrivait-il dans dans son chef-d’œuvre Le Masnavi :
J’ai souffert comme Oriental, Aussi suis-je devenu Occidental
Quant au grand cheikh Muhieddîn Ibn ‘Arabî, qui vécut en Andalousie et voyagea dans le vieux monde avant de mourir finalement à Damas, il a écrit :
Mon cœur est devenu capable de toute image, Prairie pour les gazelles, Couvent pour les moines, Temple pour les idoles, Kaaba pour les pèlerins, Tables de la Torah, Et livre du Coran.
Personnellement, j’ai foi dans ce message humaniste, dans la richesse que les hommes tirent de leur diversité et des interactions qui en résultent plutôt que dans l’affrontement. Je n’oublie pas que les fondements spirituels de l’Occident sont venus d’Orient, et que pour notre part nous avons emprunté à l’Occident les éléments de progrès que nous connaissons à l’époque moderne. À la fin du XIXe siècle, un cheikh éminent de l’université d’al-Azhar, novateur audacieux, se rendit en France - il s’agissait de l’imâm Muhammad Abduh. À son retour, il déclara qu’il avait découvert là-bas un islam sans musulmans, tandis que nous avions en Orient des musulmans sans islam.
De part et d’autre, l’extrémisme est présent, chaque religion produit ses fanatiques, et beaucoup des extrémistes dont le monde souffre aujourd’hui ont vu le jour dans des sociétés closes, qui ont basculé sous l’emprise d’écoles de pensée isolées dont la zone d’influence ne dépassait pas à l’origine un périmètre délimité du globe. Or, ces écoles ont soudain hérité d’une richesse démesurée, inattendue, conférant à certaines d’entre elles une puissance qu’elles n’auraient jamais imaginée. Conscients de leur force, ils ont alors tenté d’imposer leur doctrine isolée aux autres - je fais ici clairement référence aux tenants de la doctrine wahhabite, en Arabie Saoudite, dont j’affirme qu’ils sont plus dangereux pour l’islam et les musulmans que toute autre force, parce qu’ils rejettent tous ceux qui ne pensent pas comme eux même lorsqu’ils sont musulmans. Ce que l’islam a subi au cours des dernières années sous l’influence des plus extrémistes d’entre eux est terrible et effrayant, comme l’est la volonté de la censure planétaire de s’étendre aux programmes scolaires locaux et de supprimer des textes entiers pour se conformer à des injonction émanant de Washington ou des centres d’études stratégiques. L’histoire nous apprend que toute censure est génératrice d’oppression, et que l’oppression engendre l’humiliation, qui à son tour produit la haine et la frustration. Cette censure moderne, mise en œuvre sous forme d’instructions clandestines ou officielles relayées par des régimes affaiblis, apeurés, dont les représentants craignent pour leur pouvoir et leur fortune, ne conduira qu’à plus d’humiliation et plus d’extrémisme. Or, force est de constater que les États-Unis ont été et demeurent, du fait de la collusion de leurs intérêts, le soutien principal de ces régimes.
De mon point de vue, la résistance à l’extrémisme ne peut incomber qu’aux membres des sociétés et des civilisations dans lesquelles cet extrémisme voit le jour, que ce soit en Orient ou en Occident, et non à une censure qui émanerait de l’étranger.
Les expressions absolues comme «l’axe du mal» ou «la guerre contre le terrorisme» ne feront que creuser davantage les malentendus. Certains régimes exploitent ces slogans pour réaliser des objectifs qui vont bien au-delà de ce qui est contenu dans les messages eux-mêmes. Le danger réside dans le fait qu’en recourant à des slogans aussi absolus, on met le doigt dans des conflits impossibles à maîtriser, particulièrement si l’idéologie ainsi véhiculée est appliquée à certaines parties et non à d’autres, car tôt ou tard, la vérité finit par apparaître à ceux qui ne font pas l’objet d’un traitement particulier.
Né au Caire en 1945, Gamal Ghitany est à la fois romancier, nouvelliste, chroniqueur, il dirige l’hebdomadaire Les Nouvelles littéraires, publié par le grand quotidien Al-Akhbâr. Son œuvre compte plus de vingt titres, dont plusieurs ont déjà été traduits en français, parmi lesquels : Zayni Barakat (Seuil, 1985), Epître des destinées (Seuil, 1993), La Mystérieuse Affaire de l’impasse : Zaafarâni (Sinbad-Actes Sud, 1997), Les Délires de la Ville (Sinbad-Actes Sud, 1999), Mahfouz par Mahfouz (Sinbad, 1991).
Il y a quelques mois encore, je ne connaissais pas du tout cet auteur. J’avais acheté un premier livre «Zayni Barakât», et il y a quelques jours, je suis tombée par hasard sur 2 autres livres, cellui-ci et «Les délires de la ville».
En surfant sur Internet, j’ai appris que Gamal Ghitany était un élève de Naguib Mahfouz. Oui, sûrement. Ils s’intéressent tous les deux aux petits personnages de la vie quotidienne égyptienne, les gens de la rue, les gens ordinaires… Mais je trouve le style de Naguib Mahfouz plus poétique, plus aéré, plus léger, plus facile à lire. Lire Naguib Mahfouz est aussi facile que regarder un vieux film égyptien en noir et blanc.
A moins que je n’aie cette impression parce que j’ai pratiquement vu tous les livres de Mahfouz en films…
Je suis donc arrivée à la fin de ce livre, et je me trouve oppressée. C’est vrai, vraiment oppressée.
Au début, je ne comprenais pas pourquoi, et ensuite, j’ai réalisé que l’oppression venait du fait que le livre décrivait une société où l’individu est oppressé. De toutes parts, par ses voisins, ses amis, ses collègues, sa société entière et son Etat, cet Etat qui normallement, grâce à ses institutions est censé veilller à son bien-être et à sa sécurité, mais qui en réalité ne fait que le surveiller, le manipuler, lui mentir.
Le livre relate la vie d’une impasse, l’impasse Zaafarani, ses habitants, leurs habitudes, leur vie quotidienne, et dresse un portrait de chacun d’eux en le faisant parler et en allant jusqu’au fond de ses pensées…
Les gens vont et viennent, se disputent, vaquent à leurs occupations, travaillent, font l’amour…
Et un jour, catastrophe, tous les hommes de cette impasse deviennent impuissants sexuellement.
Un sheikh va récupérer cet incident, il va proclamer être l’auteur de cet envoutement, et tenir par ce biais tous les habitants sous sa coupe.
Ce livre a été écris en 1976, mais personnellement, je le trouve encore d’actualité. Il ne décrit pas seulement la société égyptienne des années 1970, mais toute la société arabe, jusqu’à nos jours. Où l’on voit d’ailleurs que nous n’avons pas vraiment évolué en 30 ans!
Le style lui-même du livre est très particulier. L’auteur nous fait passer, sans aucune transition parfois, de la narration, au rapport de police, à l’article paru dans un journal, aux pensées profondes d’un personnage, aux ragots, aux mémorundums... Comme si le tout ne faisait qu’un. Comme si les personnages n’avaient pas d’existence propre en dehors de la société et de tout et tous ceux qui les entourent! Ils sont des individus, mais en même temps sujets…
«Ghitany dévoile une société sévèrement quadrillée, où l'individu refoulé pèse de peu de poids face à la collectivité et se trouve finalement dépossédé de son propre destin sans presque jamais se rebeller».
Cette oppression se manisfeste aussi aussi bien concernant les libertés individuelles, que concernant les opinions et activités «publiques». Toute personne soupconnée d’avoir une activité politique ou même juste une certaine idéologie différente de celle de l’État, est automatiquement surveillée, épiée. L’Etat, par le truchement de ses agents va chercher à connaître par tous les moyens, le moindre geste, la moindre parole, la moindre attitude… interpréter, noter, faire des rapports…. Et même en cas de besoins, inventer et faire de faux rapports. Et ceci concerne aussi bien la personne «soupçonnée» que toutes personnes ayant des relations avec elle.
Ghitanyh nous décrit l’Egypte des années 70 qui venait de perdre un Nasser au profit d’un Sadate plus capitaliste. Les inégalités qui s’y étaient creusées au sein de la population avaient profité à un extrémisme religieux aussi farfelu que dangereux, illustré par le personnage du sheikh, qui va utiliser ce moyen pour les tenir sous sa coupe chacun espérant, par sa docilité et sa soumission aux lubies totalitaires du cheikh, recouvrer sa virilité.
L’auteur critique, non seulement, toute forme d'oppression, mais aussi la faiblesse de chacun des habitants vis-à-vis de ses propres peurs, croyances et démons.
Tous deviennent impuissants par le seul pouvoir du sheikh. Pourtant, presque aucun d’entre eux ne pense à se révolter, à essayer de trouver une solution. Ils sont fatalistes, superstitieux et crédules. Ils obeissent au sheikh, qui les tient sous sa coupe.
«Quoi qu’il en soit, les riverains le sentaient constamment proche d’eux, ils avaient l’impression qu’il les surveillait, qu’il savait tout de leurs agissements».
En temps de crise, il y a toujours une récupération par des extrémistes religieux. Et c’est-ce qu’essaye de démontrer Ghitany. Dans une interview, il avait précisé qu’il visait tous les extrémismes religieux, pas seulement l’islamisme. Peut-être. J’ai eu l’impression qu’il visait particulièrement l’islamisme, bien que tous les extremismes agissent d’après le même schéma.
Le sheikh va s’adresser aux zaafaraniens par le biais de deux personnes. L’une ne fera que transmettre les ordres et consignes du sheikh (que les habitants exécuteront sans discussion), mais l’autre aura une tâche plus importante, et portera un titre «Le Prédicateur».
Ce titre va le faire se sentir le personnage important. Il a la charge de propager et d’expliquer la pensée du sheikh. A cet effet, il convoquera certains «priviligiés» pour discuter avec eux.
A la fin, la vie dans l’impasse va devenir pratiquement impossible. Que de malheurs se sont abattus sur l’impasse! Et l’appel à la révolte va retentir.
Mais les idées du sheikh ont dépassé les frontières de l’impasse, et ont commencé à se propager…
«La conséquence de cette orientation du régime ne tarda pas à se manifester. Un programme spécial de radio, appelé «Radio Coran», entièrement consacré à des récitations du Coran et des thèmes religieux, fut largement diffusé. Il y eut certainement des auditeurs pour accueillir favorablement cette décision. Mais on ne s’arrêta pas là. Dorénavant tous les programmes de radio ou de télévision étaient interrompus cinq fois par jour pour lancer «l’appel à la prière». Quelle que fut l’émission -film policier, histoire d’amour, comédie ou informations-, son déroulement était stoppé pour céder la place à la voix du muezzin. La dévotion nouvelle du régime fut démonstrativement encouragée au plus haut niveau.
Il devint de plus en plus apparent que ceux qui profitaient du nouvel ordre des choses en Égypte faisaient de leur mieux pour noyer la critique dans un flot religieux. D’énormes sommes d’argent, venues de l’étranger, furent attribuées principalement à la fraction des Frères Musulmans qui étaient disposés à soutenir le régime. (…) De grosses sommes d’argent allèrent aux universités où de coûteuses expositions de livres religieux furent fréquemment organisées. On créa des sociétés dont l’objectif déclaré était de fournir aux étudiants ce qui fut appelé «le costume musulman»: voiles pour les filles, galabiyehs pour les garçons. Les étudiants les plus pauvres accueillirent volontiers cet uniforme qui, en abolissant toute distinction sociale, leur servait de cache-misère.
Des efforts spéciaux furent déployés afin que les étudiants soient correctement représentés dans leurs unions. Un seul exemple: aux élections qui eurent lieu à l’université d’Alexandrie, au début de l’année universitaire, à l’automne 1978, les candidats de l’Association Islamique remportèrent les soixante sièges dans les facultés de médecine et polytechnique, quarante-sept des quarante-huit sièges de la Faculté de droit, quarante-trois des soixante de la Faculté de pharmacie. Ces nouvelles unions d’étudiants ne tardèrent pas à s’imposer. Elles prônèrent avec insistance la ségrégation des sexes, tant dans les salles de cours que dans les cafeterias. Elles voulurent que, chaque jour, l’ouverture des cours fût précédée d’une prière. On fit droit à leurs demandes. Elles interdirent la célébration des fêtes nationales laïques et dénoncèrent la Journée des mères comme cérémonie athée.
Se sachant soutenus par la plus haute autorité de l’État, les étudiants islamiques commencèrent à se comporter comme s’ils dirigeaient de fait les universités. Ils tranchèrent sur ce qu’il fallait, ou ne fallait pas, enseigner, interdisant, par exemple, violences à l’appui, que des cours soient donnés sur le darwinisme. Ils mirent un terme aux célébrations qui accompagnaient traditionnellement le départ d’un professeur à la retraite ou son transfert à un autre poste, sous prétexte que ces célébrations tournaient souvent en fêtes de musique. Ils s’arrogèrent le droit de sélectionner la nourriture qui pouvait ou ne pouvait pas être servie dans les campus, distinguant ce qui était «nourriture islamique» de ce qui ne l’était pas.
Tout étudiant qui manifestait publiquement son désaccord avec les groupes islamiques était l’objet de mesures disciplinaires sévères. Les garçons et les filles qui étaient vus ensemble étaient battus. Un jour, à l’université du Caire, des centaines de membres de l’Association Islamique apparurent soudain armés de couteaux en forme de corne de gazelle….
(…)
Consciemment ou inconsciemment, le régime semblait déterminé à vérifier la formule de Marx selon laquelle «la religion est l’opium du peuple». Mais le malheur était qu’il ne savait pas à quel genre de religion il avait affaire. En effet, le nouveau courant du fondamentalisme musulman qu’il encourageait aussi imprudemment était fort superficiel, visiblement plus attaché aux manifestations rituelles et à la lettre du Coran qu’aux véritables leçons de l’histoire. Il ne s’agissait pas d’une tentative de comprendre et de recouvrer les grands idéaux des premiers temps de l’Islam, comme Ibn Hanbal et Ibn Taimiya l’avaient fait, mais d’un camouflage grossier des problèmes politiques et sociaux sous la galabieyeh et le chador. D’autres courants de fondamentalisme étaient à l’oeuvre, ailleurs. Et celles-ci n’étaient ni perçues, ni contrôlées par les autorités. Le régime et ses séides couvaient un monstre. Un jour, probablement plus tôt qu’ils ne s’y attendaient, il allait se retourner contre eux et les déchiqueter.»
Il y a deux jours, j'ai reçu un super livre en cadeau: Adel Megdiche.
Ce livre fait 363 pages, très peu de texte, mais surtout des oeuvres, ou plutôt des chefs d'oeuvres de Adel Megdiche. Je n'ai pas pu résister, je vous fais partager.
Coccinelles - 200x100cm - Acrylique sur toile - 1994
Mains crucifiées - 60X50cm - Acrylique sur toile - 1981
Spirales dorées - 110X80cm - Acrylique sur toile - 2001
Lettres d'Orient - 160X65cm - acrylique sur toile - 2004
Lettres tramées - 160X65cm - Acrylique sur toile - 2004
J'ai pris ces oeuvres presque au hasard. Je n'arrivais pas à choisir. Tout est tellement magnifique!
P.S.: Désolée pour la qualité des scans, j'ai pas pu faire mieux!
"Trente ans plus tard, il ne pouvait une fois de plus qu'aboutir à la même conclusion: décidément, les femmes étaient meilleures que les hommes. Elles étaient plus caressantes, plus aimantes, plus compatissantes et plus douces; moins portées à la violence, à l'égoïsme, à l'affirmation de soi, à la cruauté. Elles étaient en outre plus raisonnables, plus intelligentes et plus travailleuses.
Au fond, se demandait Michel (...), à quoi servaient les hommes? Il est possible qu'à des époques antérieures, où les ours étaient nombreux, la virilité ait pu jouer un rôle spécifique et irremplaçable; mais depuis quelques siècles, les hommes ne servaient visiblement à peu près plus à rien. Ils trompaient parfois leur ennui en faisant des parties de tennis, ce qui était un moindre mal; mais parfois aussi ils estimaient utile de faire avancer l'histoire, c'est-à-dire essentiellement de provoquer des révolutions et des guerres. Outre les souffrances absurdes qu'elles provoquaient, les révolutions et les guerres détruisaient le meilleur du passé, obligeant à chaque fois à faire table rase pour rebâtir. Non inscrite dans le cours régulier d'une ascension progressive, l'évolution humaine acquérait ainsi un tour chaotique, déstructuré, irrégulier et violent. Tout cela les hommes (avec leur goût du risque et du jeu, leur vanité grotesque, leur irresponsabilité, leur violence foncière) en étaient directement et exclusivement responsables. Un monde composé de femmes serait à tous points de vue infiniment supérieur; il évoluerait plus lentement, mais avec régularité, sans retours en arrière et sans remises en cause néfastes, vers un état de bonheur commun."
"Les intégristes sont des fanatiques. Le fanatique est celui qui pense qu'il est le seul à détenir la Vérité. Souvent, le fanatisme et la religion vont ensemble. Les intégristes existent dans la plupart des religions. Ils se croient inspirés par l'esprit divin. Ils sont aveugles et passionnés et veulent imposer leurs convictions à tous les autres. Ils sont dangereux, car ils n'accordent pas de prix à la vie des autres. Au nom de leur Dieu, ils sont prêts à tuer et même à mourir; beaucoup sont manipulés par un chef. Evidemment, ils sont racistes."
Le racisme expliqué à ma fille - Tahar Ben Jelloun
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