Il s’agit d’un vieil homme de 80 ans.
Il est seul au monde. Il vit seul dans une pièce, située sous les escaliers d’un immeuble.
Cette pièce est tellement humide que les murs sont pleins de moisissures et qu’il y règne une odeur insupportable.
Toutes ses affaires se trouvent entassées dans cette pièce. Des sacs en plastique, des vêtements, des chaussures, de la vaisselle…
Ses meubles?
Une petite banquettes encombrée, une petite armoire et une petite table (sauf erreur ou omission).
Je me demande comment il fait pour dormir sur sa banquette. Peut-il même s’y étendre?
Cet homme avait une femme et une fille.
Sa fille est décédée à l’âge de 35 ans à la suite d’un cancer.
Sa femme est décédée aussi, le laissant tout seul.
A l’origine, cet homme était pâtissier ambulant. Il confectionnait des gâteaux, qu’il mettait dans une sinia qu’il portait sur sa tête, et déambulait dans les rues pour vendre ses pâtisseries.
Aujourd’hui, vu son grand âge et l’état de sa santé, il est devenu gardien.
Il garde un ensemble de bâtiments vides, laissés presque à l’état d’abandon.
Avec une autre personne, nous avons passé un jour et demi en sa compagnie, et j’ai été impressionnée par sa gentillesse, sa douceur, sa naïveté, son dévouement, sa patience…
Le premier jour, il est resté avec nous de longues heures. Le soir, vers 20h30, nous l’avons raccompagné chez lui. Il avait insisté pour nous recevoir chez lui et nous offrir à boire. Nous avions refusé à cause de l’heure tardive.
Le lendemain matin, nous sommes allées le chercher. Savez-vous ce qu’il avait fait?
Le soir, il avait préparé pour nous des gâteaux!!!
Je n’en revenais pas!
Après avoir travaillé toute la journée, il avait passé sa soirée à nous préparer des gâteaux!!!
Il nous a donné tout un sac de «makroudh dro3 bel farina», et une autre pâtisserie à base de grains de sésames et d’amandes (délicieux!!).
J’avoue avoir été impressionnée par sa gentillesse.
Pendant cette deuxième matinée, j’ai passé de longs moments seule avec lui.
J’ai beaucoup appris.
Il m’a fait une visite guidée des bâtiments, il m’a tout expliqué. Il m’a ouvert toutes les portes et m’a tout montré.
Il m’a raconté les gens qui y vivaient, les fêtes, les réunions, les rituels…
Il m’a raconté des anecdotes, des souvenirs…
Cet homme est le gardien d’un bâtiment, mais il est surtout le gardien d’une mémoire, d’un passé, d’un patrimoine…
A l’issue de cette matinée, nous l’avons raccompagné chez lui. Cette fois-ci, nous avons accepté son hospitalité.
Nous sommes restées debout, il n’y avait pas d’endroit pour s’asseoir. Nous avons un peu bavardé avec lui. A un moment, il nous demande nos pointures. J’étais étonnée. Il prend un des sacs qui traînent, et en sort une paire de «tmaq» qu’il offre à mon amie, ensuite, il lui donne des mules et une broche (très jolie, imitation chichkhan). Étonnée, je lui demande ce qu’il fait avec ces sacs. J’ai cru que peut-être il était vendeur au marché. Il me regarde et m’explique que sa fille avait travaillé de longues années pour se constituer un trousseau, et qu’elle était morte sans se marier….
Mon amie et moi avons voulu lui donner de l’argent. Il avait été tellement gentil, et il était tellement pauvre. Il a refusé. Il a dit à mon amie (il savait qu’elle avait deux enfants): «garde cet argent pour tes enfants, surtout veilles à ce qu’ils ne manquent jamais de rien». A moi, pareil, il me dit de donner mon argent aux pauvres.
Il a fallut presque lui donner cet argent de force. Vraiment.
J’ai été impressionnée par ce petit homme.
J’ai retenu plusieurs leçons de ces deux journées, et plus particulièrement de cet homme.
Je vous parlerais de certaines plus tard, dans de prochaines notes.
Aujourd’hui, je dirais que parfois, les plus démunis sont les plus généreux.
Franchement, cet homme m’a donné une vraie leçon.
En plus, il m’a fait réaliser à quel point ces vieilles personnes sont un trésor. Alors, si autour de vous, vous avez des gens comme lui, faites les parler. Demandez-leur de vous raconter leurs souvenirs, leur jeunesse, les divers évènements, les guerres, la colonisation, la lutte de tous les jours… C’est une source de savoir.
Ces personnes disparaîtront bientôt (c’est la vie), alors, avant qu’il ne soit trop tard, enrichissons-nous à leur contact.
Cet homme est un peu particulier. Il est tunisien, comme vous et moi. Mais il est juif. Or, au rythme où vont les choses, bientôt tout un pan de notre histoire risque de disparaître avec lui et les personnes comme lui.
Une des anecdotes qu’il m’a raconté: il m’expliquait pourquoi beaucoup de juifs sont partis. Il me disait qu’avant, ils vivaient juifs et musulmans en bonne entente. Puis un jour, il y a eu le problème palestinien/israélien. Beaucoup de gens ont été contraint de quitter la tunisie.
Il m’a raconté sa propre expérience.
En 1967, un jour, les musulmans ont décidé qu’ils n’achèteraient plus rien des juifs, parce que ceux-ci envoyaient de l’argent aux israéliens. Il m’a posé une question, que je vous pose maintenant: comment voulez-vous qu’une personne qui gagne à peine de quoi nourrir sa famille puisse envoyer de l’argent à Israël?
Je suis peut-être naïve, mais je pense qu’il ne faut pas tout mélanger. Cet homme avait perdu son gagne-pain à cause de la bêtise, du racisme et de l’ignorance de certaines personnes.
Ce qui m’avait impressionnée, c’est qu’il raconte tout cela sans aucune colère ni haine.
Il a même trouvé des excuses aux émeutiers qui se sont attaqués à la synagogue et ont essayé de la saccager en 2000, lors de la deuxième intifadha. Il essayait, avec ses mots, et d’une façon très naïve, d’expliquer leur geste, de leur trouver des excuses…
Bien que pauvre, analphabète, naïf…, cet homme est un GRAND SEIGNEUR!!!
Merci Gaggou.
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