Je sais que depuis que j'existe (et cela va bientôt faire un demi-siècle!), j'ai toujours vu mes parents et tous leurs amis fêter le nouvel an.
J'ai toujours vu tous mes camarades de classes fêter le nouvel an, et leurs parents aussi.
Plus tard, adulte, j'ai vu que tous mes collègues fêtaient le nouvel an. J'ai vu que tous les employés, des plus hauts cadres au plus petit ouvrier, fêtaient le nouvel an.
Je ne sais pas pour mes grands-parents, mais en regardant de très anciennes photos de mes beaux-parents, j'ai constaté qu'ils fêtaient aussi le nouvel an lorsqu'ils étaient jeunes. Était-ce particulier à Tunis ville? Je ne sais pas.
Mais je l'avoue, je m'en fou totalement de savoir si fêter le nouvel an fait partie de nos traditions tunisiennes ou pas.
Et d'ailleurs, il faut combien de temps pour qu'une tradition se forme?
Ce que je sais, c'est que pour tous les tunisiens qui le fêtent, ce nouvel an n'a aucune connotation religieuse. On fête juste le passage d'une année à une autre. Et chacun fête comme il peut. Cela peut aller du super-voyage à l'étranger à la petite réunion familiale autour d'un petit gâteau et d'un verre de soda. Chacun selon ses moyens ou ses convictions.
Nous utilisons bien le calendrier grégorien, non? Et lors du passage d'une année à une autre, nous fêtons. Ce calendrier n'est pour nous que le reflet d'une réalité astronomique. Ce calendrier essaye de suivre les astres et de nous donner une indication sur le temps qui passe. Il nous donne un repère temporel.
Nous utilisons ce calendrier en Tunisie comme dans presque tous les pays du monde entier je crois. Il nous sert à régler nos vies, il sert à dater, à fêter, à commémorer, à inscrire, à.... à tout en fait. Qui donc en Tunisie utilise un autre calendrier que celui-là?
Donc, oui, une fois par an, nous fêtons le passage d'une année à une autre. Pourquoi pas?
D'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à le faire. Je pense que dans tous les pays du monde qui utilisent ce calendrier, on fête ce passage à la nouvelle année. Et cela quelques soient les religions de ces pays.
Cette année d'ailleurs, nombreux sont ceux qui ont du voir l'immense feu d'artifice de Dubai à cette occasion. Il parait que c'était le plus beau des feux d'artifices de cette année. Dubai? Ils sont musulmans aussi non?
Mais en plus de cela, il y a un aspect économique à cette fête.
Il ne faut pas oublier que nombreux sont ceux qui attendent avec impatience cette fête du nouvel an pour gagner de l'argent, pour travailler, pour manger...
Lorsque j'ai travaillé dans le secteur hôtelier il y a une vingtaine d'années (comme quoi, ce n'est pas récent les fêtes du nouvel an), je me rappelle qu'il fallait préparer cette fête parce qu'elle faisait venir des clients dans les hôtels. Il fallait engager des musiciens, des artistes, des serveurs en extra. Il fallait préparer un grand diner. Il fallait acheter des cotillons... Je pense que pour les commerçants de la Rue de la Commission à Tunis, la fête du nouvel an représentait une part très importante de leur chiffre d'affaire.
Il faut aussi penser aux coiffeurs, à tous les artistes, à tous les musiciens, à tous les techniciens du son et des lumières, à tous ceux qui louent les chaises, à tous les photographes, à tous les commerçants, à tous les traiteurs, à tous les pâtissiers.... Pourquoi voulez-vous qu'aujourd'hui, on porte préjudice à tous ces gens sous prétexte que la fête du nouvel an ne fait pas partie de nos traditions tunisiennes?
En lisant cet article, j'ai vraiment eu mal au cœur: ces commerçants ont perdu de l'argent, des familles ont été privées d'une rentrée d'argent qui aurait pu les aider, des enfants ont été privés de la joie de la fête... Pourquoi?
Pour faire plaisir à qui?
Pourquoi tout cela?
Notre pays souffre d'une crise économique. Des gens sont au chômage. D'autres vivotent tant bien que mal, et on vient en rajouter?
Je peux à la limite le comprendre venant de quelques êtres obscurantistes et limités intellectuellement, mais de la part d'un Président de la République!!!!
Lundi soir, à l'appel de l'association Esprit Citoyen, je me suis rendue à l’hôtel Golden Tulip pour assister à la réunion pour la création d'un Parti Unique regroupant toutes les forces progressistes
Étaient invités les partis Afek Tounes, le PDP et Ettajdid.
Il y avait un monde fou. La salle était vraiment archi-comble. D'ailleurs, énormément de gens ont préféré partir parce qu'ils n’arrivaient à rien voir ou entendre. Le fait qu'il y ait autant de monde montre à mon avis que cette réunion répond à une réelle attente de la société civile qui réclame une union des forces progressistes.
Lorsque j'ai enfin pu trouver une petite place, la réunion avait déjà commencé et le président de l'association présentait les invités. A l'annonce du nom de Mme Maya Jeribi, il y a eu une ovation du public. A faire pâlir de jalousie les autres politiciens. Je suppose que cela est du aux diverses interventions de Mme Maya Jeribi de ces derniers jours.
Sur l'estrade, il y avait Mohamed Louzir et Yassine Brahim (Afek Tounes), Ahmed Brahim (Ettajdid), Maya Jeribi et Ahmed Nejib Chebbi (PDP) et Mansour Moalla (en quelle qualité?).
Dans la salle, j'ai pu voir Jaouhar Mbarek (Doustourouna), Salah Zeghidi (Collectif des Indépendants du PDM), Bochra Bel Haj Hamida (Ex-Ettakattol), Sadok Belaid, Fadhel Moussa (PDM), Emna Mnif (Kolna tounes), Yied Dahmani et Issam Chebbi (PDP).
Le président de l'association a commencé par dire que de nombreux tunisiens pensent que s'ils veulent avancer, cela ne peut se faire qu'au sein d'un seul parti progressiste. Il a assuré que la société civile est prête à faire le tour de la république, à se mobiliser, à aider... pour voir les gens, les chômeurs, les défavorisés... ce qui est certes difficile, mais la volonté y est.Il a conclu par: "Que celui des chefs de partis qui veut nous suivre, nous suive". Les citoyens ne peuvent plus attendre. Il faut décider tout de suite. Il y a déjà du retard pour les prochaines élections qui normalement devraient avoir lieu d'ici un an à un an et demi. D'après lui, la société civile est optimiste, bien que fâchée contre les partis.
Les divers représentants des trois partis ont pris la parole tour à tour.
Ahmed Brahim a dit que cette association prêchait un convaincu. Il a rappelé que cette union était souhaitée par Ettajdid depuis des mois déjà et que cela avait donné lieu au PDM. Ettajdid est conscient de la nécessité d'une telle union et de la constitution d'un front progressiste. C'est d'ailleurs le sujet principal de son prochain congres.
Tous les autres ont dit être d'accord pour cette union, mais le problème est de trouver une forme d'union. Comment s'unir?
Pour Mme Maya Jeribi, depuis deux mois les idées d'union sont nombreuses, et il est temps de les concrétiser. D'après elle, les élections du 23 octobre ont posé des questionnements et même une une peur qu'on peut résumer en: où va la Tunisie et son mode de vie?
La Tunisie a fait une révolution pour instaurer une démocratie, or depuis les élections, on remarque que les libertés sont touchées. La démocratie n'est pas facile.
Toujours d'après Mme Maya Jeribi, il ne faut pas être contre nahdha, ni s'unir contre nahdha. Il faut au contraire une volonté de construire une Tunisie dont nous rêvons tous. Une Tunisie qui a des acquis, des acquis réalisés par nos parents et grands-parents et pour lesquels ils se sont sacrifiés. Il faut travailler pour cette Tunisie et offrir une alternative.
Tous étaient d'accord pour dire que cette demande est aujourd'hui exigée par une grande partie du peuple, pas seulement par l'élite. Les partis se ressemblent et même s'il existe des nuances ou des différences, ils devraient pouvoir trouver un terrain d'entente pour travailler et s'unir.
Sous quelle forme?
Créer un parti unique? Créer un front? Créer une alliance?
Le problème est qu'au sein de chaque parti il y a une dynamique propre. En plus, il y a une interaction entre les bases et les cadres. Il faut essayer donc de respecter toutes ces spécificités et trouver une formule qui aurait l'accord de tous pour pouvoir bâtir sur des bases solides.
Il y a actuellement des initiatives dans plusieurs régions. Les bases et les cadres sont entrain de se réunir pour discuter cette union qui devrait d'ailleurs comprendre les partis, la société civile et les syndicats.
Cette union pourrait se faire en 2/3 temps.
Bref l'essentiel est que la volonté est là.
Pour M.Mohamed Louzir, les partis ont aujourd'hui une responsabilité envers la société civile. Les élections du 23 octobre 2011 ont montré que seuls 50% des électeurs potentiels ont voté, cela montre que le paysage politique n'était peut-être pas clair. Par ailleurs, 1300000 voix ont été à la poubelle à cause de l’effritement des voix. Pour lui, il faut bouger, aller dans les régions, toucher toutes les classes sociales... Il faut donc un grand parti pour pouvoir travailler efficacement. D'ailleurs, toujours d'après lui, les indépendants devraient intégrer les partis tout de suite, sans attendre l'union, et commencer ainsi à travailler efficacement. Il pense aussi que les associations ont un grand rôle à jouer. Il pense par ailleurs que droite ou gauche n'a plus de sens, un grand parti du centre peut œuvrer pour le bien de la Tunisie, c'est cela le plus important.
Après cette intervention, la foule s'est mise à scander: حزب واحد تو تو D'ailleurs, cela a été répété à plusieurs reprises pendant toute la réunion. Et avec force.
M.Mansour Moalla a pris la parole pour dire qu'il était d'accord. Il avait d'ailleurs appelé à cette union bien avant les élections, mais on lui avait dit d'attendre après. Il a très justement parlé des égos, des intérêts personnels, des ambitions personnelles... qui avaient empêchés cette union.Il a proposé d'offrir aujourd'hui une alternative avec un équilibre des forces qui pourrait assurer une alternance au pouvoir pour le bien de la Tunisie et de tous les Tunisiens.
D'après Ahmed Najib Chebbi, après une cinquantaine d'années de dictature, il est temps de reprendre le cours de l'histoire de la Tunisie et de la remettre sur le chemin tracé par tout un mouvement réformiste amorcé par des tunisiens tels un Tahar Haddad ou un Fadhel Ben Achour. D'après lui, il y a un besoin d'un grand parti, et Afek, Ettajdid et PDP ont tellement de points communs qu'ils peuvent s'unir et se montrer aux tunisiens comme les nouveaux réformateurs et non pas comme des étrangers ou comme des ennemis de l'islam.
Pour lui, l'alliance est nécessaire. Mais il faut construire quelque chose de solide donc avancer surement et non dans la précipitation.
D'après Yassine Brahim, l'exigence du "tout de suite" (tawa tawa) est significative. Pour lui, la multitude des partis a été responsable de l'effritement des voix, mais pas seulement. Les indépendants et les associations y ont aussi contribué. Il a d'ailleurs fait un reproche aux associations qui se disent apolitiques. Les associations tunisiennes ne peuvent s'offrir le luxe d'être apolitiques dans les circonstances actuelles alors que nous n'avons même pas d'éducation politique. D'après lui, les associations doivent aider les partis. Elles doivent les soutenir, non seulement avec des sit-in, mais aussi et surtout avec des discussions, des débats et des propositions.
Yassine Brahim nous a appris que Afek a commencé ce travail d'union depuis de longues semaines, des discussions ont été entamées avec plusieurs partis, y compris avec Ettakattol (le public a fortement hué) qui fait partie de la famille des démocrates. Afek va continuer dans ce sens. Il a souligné par ailleurs que les partis ne sont pas seulement les dirigeants qui se rencontrent dans les hôtels, mais aussi les bases qu'il faut consulter et avec lesquelles il faut discuter. Ces bases doivent être convaincues car sans elles, aucune union n'est possible et ne peut durer dans le temps.
Pour M.Sadok Belaid, le pays vit des jours très difficiles. La société civile doit faire face à de grands défis:
1/ la constitution
2/ la surveillance du gouvernement
3/ les élections municipales
4/ les prochaines élections législatives,
et tout cela en un an environ. Le temps donc pose problème. Il y a urgence et pas de temps pour des palabres.
D'après lui, il faut que chacun ait un grand esprit de sacrifice et il faut que les chefs de partis annoncent immédiatement cette union.
Applaudissements de la salle et ensuite l’hymne national chanté par tous.
M.Ben Romdhane (PDM) a pris la parole. Il a annoncé qu'il faisait partie d'une commission qui travaille sur cette union et que les travaux ont vraiment avancé. Cette commission a établi des scénarios possibles de cette alliance, réfléchit sur le comment et quel processus, les problèmes à soulever et à résoudre pour y parvenir. D'après lui, les divers protagonistes sont arrivés à un terrain d’entendre. Il y a une vraie volonté de créer un parti unique, mais pour cela, il faut non seulement une volonté, mais aussi que tous les membres des partis acceptent, et cela ne peut se décider que lors des prochains congrès de ces partis.
Mohamed Louzir a confirmé. Il a dit que les partis travaillent du matin au soir sur ce projet. Il faut convaincre les bases et il espère que dans les prochains jours une bonne nouvelle sera annoncée.
Maya Jeribi a conclu en disant que le message des présents est arrivé à bon port et qu'elle le fera parvenir dans les régions. Par ailleurs, elle a insisté sur le fait que nous avions tous besoin les uns des autres et qu'il va falloir mettre la main dans la main et consentir aux sacrifices nécessaires en mettant les égos de coté.
Je passerais rapidement sur les interventions de Jaouhar Mbarek et Emna Mnif qui ont appelé tous deux à une union des forces. J'espère qu'ils le pensent vraiment. Le premier était partit il y a quelques mois dans cette optique d'union, mais a fini quand même par présenter des listes indépendantes. Quant à la deuxième, elle vient de créer un énième mouvement citoyen.
M.Mohamed Issaoui, président de l'association Esprit Citoyen a conclu en nous apprenant que lorsque cette association avait pris contact avec les partis, ces derniers avaient préférés repousser la date dans l'espoir d'annoncer une bonne nouvelle. Il espère que cela se fera bientôt.
Que penser de cette initiative?
En me promenant ça et là sur facebook, j'ai remarqué que très très nombreux sont ceux qui ont reproché AUX PARTIS d'avoir organisé une telle réunion dans un hôtel 5 étoiles. J'aimerais leur rappeler que cette réunion a été organisée par une association qui a INVITE les partis. Ces derniers ont juste accepté l'invitation. Devaient-ils la refuser sous prétexte qu'ils ne veulent plus aller dans les grands hôtels?
Pourquoi est-ce que l'association a choisi cette salle en particulier? Je n'en ai aucune idée. Elle avait peut-être ses propres critères ou contraintes. Mais est-ce si important?
J'ai vu je crois deux commentaires sur le fait que la réunion a eu lieu en français. Ceci est complètement FAUX. Toutes les interventions ont eu lieu en arabe. Les vidéos le confirment d'ailleurs.
J'ai vu énormément de critiques aussi bien sur la forme que sur le fond. Le plus drôle est que la plupart de ces critiques proviennent de personnes qui n'ont même pas pris la peine de se déplacer et écouter. C'est bien dommage. Mais bon, c'est une spécialité bien de chez nous de critiquer toute initiative.
"La critique est aisée, et l'Art est difficile."
Sinon, quelles étaient les impressions des présents?
Cela dépend. Certains étaient pessimistes, d'autres étaient optimistes. Certains ont perçu le discours des politiciens comme de la langue de bois, d'autres y ont cru, mais en voulant juste qu'ils se dépêchent un peu.
Quant à moi, j'ai eu l'impression de revivre une certaine réunion du mois de mai dernier. C'était dans un autre hôtel, mais en présence des mêmes partis. La demande était la même, mais la réponse avait été négative. Une perte de temps énorme. Cette fois-ci, ces politiciens sauront-ils mettre de cotés leurs calculs partisans, leurs égos surdimensionnés, leurs ambitions personnelles pour avancer vraiment ensemble? Ont-ils vraiment retenu la leçon du 23 octobre? Sauront-ils changer de discours? Sauront-ils parler aux tunisiens?
C'est d'ailleurs ce qu'avait souligné M.Fadhel Moussa (membre de l'Assemblée Constituante) en rappelant qu'au mois de mai dernier, seul Ahmed Brahim parmi les présents, avait accepté l'union qui avait donné lieu au PDM. D'après lui, aujourd'hui, il faut corriger les erreurs de cette expérience passée et essayer de travailler dans toute la Tunisie. Par ailleurs, il a ajouté que la gauche devrait aujourd'hui travailler de façon à ce qu'elle soit perçue comme défendant la justice sociale, non pas la modernité qui n'a pas été comprise par le tunisien pour lequel elle est restée un concept vide de sens.
UPDATE (le 28/12/2011): je précise, je répète, je crie haut et fort, parce que à travers les divers commentaires que j'ai vu ici et là, que ce n'est pas un meeting organisé par ces partis. CES PARTIS N'ONT PAS ORGANISE cette réunion. Ils N'ONT PAS CHOISI LE LIEU. Ils ont JUSTE RÉPONDU à une INVITATION qui leur a été été faite par une ASSOCIATION. Pourquoi est-ce que tous se focalisent sur ce détail? Vous préférez que dorénavant les associations ne prennent aucune initiative? Personnellement à la place de cette association, je n'aurais plus envie de faire quoi que cela soit tellement les gens, au lieu d'aider, détruisent et critiquent pour des détails. Cette association a cru bien faire, et voila sa récompense. Qui vous dit qu'elle n'a pas eu cette salle gratuitement et qu'elle ne pouvait pas faire autrement? Pourquoi accordons-nous plus d'importance à la forme plutôt d'au fond? Je me demande si cette réunion avait eu lieu dans une petite salle, elle aurait eu autant d'échos puisque tous ne parlent que du choix de la salle!!!!!
Lundi dernier, notre standardiste n'est pas venue travailler. Mardi, nous lui en avons demandé la raison.
Elle habite un quartier qui s'appelle Nkhilette (comme les petits palmiers). Elle m'a expliqué qu'il y avait une rue principale dans laquelle se trouve un arrêt de bus où se rendent la plupart des habitants le matin pour aller sur leurs lieux de travail.
Lundi matin, vers 07h00, alors qu'un grand groupe de personnes, essentiellement des femmes, se rendait à cet arrêt de bus, un autre groupe d'hommes, moyenne d'age 30/35 ans, armés de bâtons, leur a barré la route. Ces hommes ont exigé que toutes les femmes retournent chez elles se voiler avant d'aller travailler.
Certains hommes qui accompagnaient les femmes ont essayé de s'interposer et de défendre celles-ci. Ils auraient répondu aux agresseurs que les femmes étaient libre de s'habiller comme elles le veulent.
Une bagarre a eu lieu entre les hommes des deux camps, les agresseurs accusant les autres d'être des "tahhana" puisqu'ils acceptaient que leurs femmes sortent non-voilées dans la rue, indécentes à la vue de tous.
L'arrivée de la police a mis fin à la bagarre. Mais avant de partir, les agresseurs ont dit aux femmes que ce n'était qu'un premier avertissement et qu'ils allaient revenir bientôt pour les "corriger" si elles n’obéissaient pas.
D'après notre standardiste, certaines femmes et hommes sont allés porter plainte. On verra s'il y aura une suite.
Notre standardiste eu eu tellement peur ce jour-là qu'elle est rentrée chez elle se cacher et n'est ressortie que le lendemain.
Lorsque j'avais publié ma note Pouponnières en détresse, je ne pensais pas que j'aurais autant de demandes pour aider. J'étais désemparée parce que malheureusement, je ne connaissais même pas le nom du monsieur et je ne savais pas comment le joindre. J'ai vraiment enragé contre moi-même parce que j'aurais du lui demander ses coordonnées.
J'essayais de me creuser la cervelle pour trouver une solution, et je me suis rappelée l'avoir vu discuter avec un autre homme dont j'avais par hasard la carte visite. Donc coup de fil et deux jours plus tard j'avais les coordonnées de ce monsieur. Ce qui m'a permit d'avoir les coordonnées de l'association.
J'ai discuté encore une fois avec ce monsieur qui m'a confirmé tout ce qu'il m'avait déjà raconté, en précisant que tous les projets de développement de cette pouponnière ont du être annulés faute de moyens financiers, suite à ces déclarations inconscientes de RG et SA.
J'ai envoyé un lien vers mon article à cet homme, et j'ai eu en réponse un mail de la directrice que j'ai fini par avoir au téléphone samedi dernier.
L'association s'appelle Horizons de l'Enfant au Sahel.
Il s'agit d'une pouponnière associative qui accueille environ une cinquantaine de bébés abandonnés par an, avec un maximum de douze bébés à la fois puisque cette association ne dispose que de douze lits.
La directrice m'a raconté qu'en principe ces bébés proviennent de l’hôpital. Soit des gens les trouvent abandonnés dans les rues et les ramassent, mais ils sont quand même emmenés à l’hôpital avant d’être donnés à l'association, soit ces bébés naissent à l’hôpital, mais les mamans ne peuvent les garder.
Ces cas sont les plus fréquents en ce qui concerne cette association dont l'objet premier est justement d’aider les mères pour qu'elles puissent récupérer leurs bébés au bout de quelques mois.
Cette aide aux mères et aux familles biologiques est soit matérielle, soit morale. L'aide matérielle consiste essentiellement en la formation et l'orientation pour permettre à cette mère de voler par ses propres ailes et pourvoir aux besoins de son enfant.
Par ailleurs, il y a aussi un travail de médiation avec le père et la famille paternelle pour essayer d'aider à la ré-insertion du bébé dans sa famille biologique.
J'ai interrogé la directrice à propos des conséquences des paroles de Rached Ghannouchi et de Souad Abderrahim et elle a confirmé ce qui m'avait été dit. Elle a insisté sur la peur des employés de la pouponnière et des mères. Elle m'a parlé de l'ambiance qui règne actuellement autour de la pouponnière. Les gens les agressent et les accusent d'encourager le fsed (dépravation).
Les employés ne sont plus à l'aise dans leur travail. Ils craignent les agressions, ils ne supportent plus le regard méprisant et parfois menaçant des gens, ni leur nouveau discours désapprobateur.
Les mères sont très inquiètes. Certaines passent leur temps à pleurer et à recommander à l'association de bien prendre soin de leurs bébés si jamais elles étaient tuées.
Toute cette ambiance a eu des conséquences néfastes sur les donateurs.
Si vous voulez aider, vous pouvez appeler ces numéros:
- tél/fax 73 817 938
- GSM 93 110 701, ce numéro est disponible 24h/24h, 7/7 jours pour toute urgence.
Hier, je suis allée à l'UTICA pour participer à un atelier avec d'autres blogueurs et avec des personnes travaillant dans des associations.
Au déjeuner, un homme que je ne connais pas et qui partageait notre table s'est mêlé à la conversation. J'étais avec un membre du Front des Associations Tunisiennes. Nous parlions des associations, de leurs actions...
Cet homme nous a appris qu'il était impliqué dans la vie associative à travers deux associations. L'une d'elle s'occupe d'une pouponnière qui essaye d'aider les mères célibataires et les bébés abandonnés.
Cette association s'occupe donc de bébés de 0 à 2 ans, et essaye autant que possible de les réintégrer dans leurs familles biologiques en aidant la mère.
Je lui avais demandé ce qu'il pensait des déclarations de Rached Ghannouchi en ce qui concerne l'adoption, et qu'elle ne fut ma surprise d'apprendre que ce discours avait déjà eu des répercussions graves sur la vie de ces petits enfants.
Cet homme nous a appris que depuis les déclarations de Rached Ghannouchi qui a parlé de ces enfants comme de "la9it" et des déclarations de Souad Abderrahim en ce qui concerne les mères célibataires, les employés de la pouponnière vivent dans une peur permanente et particulièrement la nuit. Ces employés ont peur d'agressions.
En plus, les aides ont presque disparues. Les bénévoles ne viennent presque plus et les aides matérielles se sont arrêtées.
Les bénévoles ont peur du qu'en dira-t-on et ne veulent plus aider des "la9its" et des femmes célibataires.
Pour ce qui est des dons, il parait que beaucoup de gens en donnaient en pensant faire leur devoir de zaket, et suite aux déclarations de Ghannouchi, ces gens ont compris que c'était hram et ne donnaient donc plus. De même pour les bénévoles qui pensent maintenant qu'ils sont entrain d'aider au hram.
Par ailleurs, il y a des gens qui s'intéressent aux petits orphelins dans l'espoir d'en adopter un. Lorsque cet espoir n'existe plus, ces gens ne viennent plus.
Les mères elles-mêmes ont peur. Il parait qu'elles passent leur temps à pleurer et à craindre d'être emprisonnées.
Cet homme nous disait que toute personnalité politique devrait réfléchir aux conséquences de ses paroles avant de dire quoi que cela soit.
C'est vrai.
Rached ghannouchi et Souad Abderrahim auraient du réfléchir profondément avant de lancer de telles paroles.
Mais je suis quand même choquée. A ce point le tunisien est influençable? A ce point des déclarations pareilles peuvent modifier leurs comportements en un temps aussi court?
Mon ami a confirmé tout ce qui a été dit. En effet, il m'a raconté que la semaine dernière, il y avait eu sur facebook l'appel au secours d'une autre association qui s'occupe de petits orphelins et que son association l'avait contactée pour les aider. Et cette association leur avait dit la même chose que ce monsieur. Cette association n'avait même plus de quoi acheter des couches et du lait pour les bébés parce que les bénévoles et les dons ne venaient plus. Et il a fallut les dépanner. Mais que va-t-il se passer à l'avenir?
Pourquoi?
Pourquoi tout cela?
Pour répondre à des soi-disant critères de bonne conduite et de bonne morale?
Les mères célibataires et les bébés abandonnés existent partout, dans les pays du monde entier. Les stigmatiser ou les rejeter ne résoudra aucun problème.
Par ailleurs, même si on pouvait faire des reproches aux mères, que peut-on donc reprocher à ces petits bébés? De quoi sont-ils responsables? Pourquoi devraient-ils subir les conséquences des actes d'autrui?
Si on veut combattre un tel phénomène, ce n'est surement pas par le rejet ou la stigmatisation.
Je viens de lire ce commentaire sous cet article et j'ai trouvé que ce qu'il dit est tout à fait vrai. Si vous n'avez pas encore lu "la ferme des animaux" de Georges Orwell, faites-le. Vraiment faites-le. Et ensuite, enchainez avec 1984 du même auteur.
Je fais un coper/coller de commentaire:
"La Ferme des Animaux" / Georges Orwell
Ahmed |09-12-2011 17:03
Je conseille vivement de lire la fable de Georges Orwell : « La ferme des Animaux ». La ferme des animaux a pour cadre une exploitation agricole. Parmi ces animaux, le groupe des cochons. L'un des cochons, est l'idéologue de service. Il excite le ressentiment, dans le présent, et promet une vie meilleure dans le futur : « Quelle est donc la nature de notre existence ? Nous avons une vie de labeur, une vie de misère. Tous les maux de notre vie sont dus à l'homme, notre tyran. Débarrassons-nous de l'homme. C'est presque du jour au lendemain que nous pourrions devenir libres et riches. » La révolution a lieu. Le fermier est renversé. Un triumvirat, composé de trois cochons s'empare des rennes du pouvoir. Les trois cochons proclament l'animalisme idéologie officielle. Ils édictent sept commandements, parmi lesquels on trouve : Aucun animal ne dormira dans un lit, aucun animal ne boira de l'alcool, tous les animaux sont égaux. Rapidement, ils détournent la démocratie à leur profit : « Là se tenait l'assemblée générale' On y adoptait différentes résolutions. Celles-ci, les cochons les proposaient et les imposaient toujours. » L'absence d'intervention du peuple animalier dans les débats conduit à la dictature. Progressivement, l'un des cochons évince ses deux rivaux et instaure un régime de terreur grâce à sa meute de chiens féroces. La suite du récit reprend, certains thèmes importants. Notamment : l'abrutissement des masses, la dilution de la mémoire collective et la réécriture permanente de l'histoire. C'est l'un des cochons qui est chargé de cette tâche. Au fur et à mesure de la transgression des principes de l'animalisme, par les cochons dirigeants, celui-ci réécrit les sept commandements. Ainsi, sous sa plume, deviennent-ils : Aucun animal ne dormira dans un lit avec des draps. Aucun animal ne boira de l'alcool à l'excès. Et le plus savoureux : Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres. La terreur porcine est assise et les pauvres animaux se retrouvent dans une situation pire que sous le fermier."
Jeudi 1 décembre, j'ai passé une très grande partie de ma journée au Bardo en solidarité avec le rassemblement des universitaires.
Lorsque je suis arrivée, il y avait énormément de monde. A mon habitude, je m'étais promenée parmi les manifestants. J'avais ainsi pu remarquer quelques visages connus, dont ceux de certains élus. La grosse majorité des revendications de ces gens concernaient la fac.
(Cliquez sur les photos pour les agrandir)
J'avais aussi vu les tentes dressées par les sit-inners: des membres de Doustourouna, des citoyens venus du bassin minier, des membres du Mouvements du 24 Octobre, et d'autres.
Ces associations/mouvements réclament en fait ce pour quoi la révolution a été faite: liberté, dignité, démocratie, travail...
La crainte est de voir la dictature revenir à petits pas. Et les évènements de ces derniers jours ne sont pas vraiment de bonne augure. Il faut vraiment veiller à la nécessité de la séparation des pouvoirs, au refus du cumul des pouvoirs entre les mains du chef de Gouvernement ou celles d’un parti et la retransmission des délibérations de l'assemblée en direct sur une chaine de TV, et toujours insister pour inscrire le code du statut personnel dans la constitution.
Par la suite, toujours à mon habitude, j'étais allée me mêler à la foule, parler avec les uns et les autres, écouter les débats...
Des gens à tendance islamique étaient présents. Ils étaient eux aussi mêlés à la foule.
Le sujet principal de discussions était bien-sûr le niquab. Comme quoi Samir Dilou qui avait dit qu'il fallait ouvrir un débat national à ce sujet avait été écouté! Certains sont pour, d'autres contre.... Liberté individuelle. Liberté académique. Obligation religieuse. Mode wahhabite. Mais la plupart des discussions étaient pacifiques (à ce que j'ai vu).
Ce qui m'avait frappée, c'est le récit de certains médecins. Ils ont raconté les problèmes rencontrés dans les hôpitaux à cause de cette histoire de mixité et de niquab... Certains malades refusent d'être soignés par des gens du sexe opposé, ce qui donne lieux à des situations inextricables. Et le pire est que parfois cela dégénère, certains patients ne comprenant pas que parfois il est impossible de trouver une femme pour soigner leur femme ou un homme pour s'occuper d'eux. Il parait que parfois le ton monte et des esclandres sont de plus en plus fréquents. Comment résoudre ces problèmes? Va-t-il falloir, pour en satisfaire quelques uns, créer des hôpitaux pour femmes et des hôpitaux pour hommes? En avons-nous les moyens? Idem pour les écoles, les lycées, les transports publics....
Alors que je partais, je m'étais retrouvée dans un groupe de discussion, je ne me rappelle même plus comment. J'étais seule face à des nahdhaouis (ce sont eux qui me l'ont dit, ce n'est pas écrit sur leur visage). Et puis d'autres personnes "modernistes" étaient arrivées. Cela se passait très bien. Je pense que nous avons du passer au moins une heure à parler.
C'était très bien. Bien que chacun défendait bec et ongles ses idées, cela se passait dans le respect. Pas de violence, pas de grossièretés, pas d'injures... Nous étions des gens bien élevés qui discutaient ensemble.
Mais. Mais il y a toujours un mais. A leurs théories théoriques, nous opposions des arguments pratiques, et surtout logiques. Nous ne discutions pas religion, mais comment vivre ensemble en société. Et certaines de leurs demandes sont plutôt très très difficiles à mettre en œuvre en Tunisie, surtout par manque de moyens financiers, comme justement cette demande d’hôpitaux réservés aux hommes et hôpitaux réservés aux femmes (vous imaginez les frais s'il fallait tout faire en double!!!). Nous avions discuté de libertés, de liberté d'expression, de refus de la violence... Et ils étaient d'accord, bien que parfois en leur donnant des exemples concrets, ils "coinçaient" un peu... Mais bon, cela se passait relativement bien.
Et tout d'un coup, l'un d'entre eux nous regarde et affirme que de toute façon, ce sont eux, les vrais musulmans, qui commanderont et que nous, musulmans de seconde catégorie, n'aurons qu'à obéir aux ordres. Je lui avais fait répéter et il avait affirmé que oui, nous n'aurons qu'à exécuter les ordres et que toutes ces discussions étaient inutiles. Avec les mains, il a mimé un avion et nous a dit en nous narguant: "Vrommmm, l'avion et allez-vous en. La Tunisie est à nous!" Et il a continué à faire ses gestes.
Je l'avoue, et méa culpa, j'avais perdu le contrôle. J'avais hurlé. Je me demande s'il y avait une personne au Bardo qui ne m’avait pas entendue hurler de toutes mes forces. J'avais hurlé que nous étions 12 millions de Tunisiens, et qu'il n'est pas question qu'un citoyen quelconque ait le moindre milligramme de droits de plus qu'un autre citoyen. Je l'avais hurlé et re-hurlé. Et tous doivent comprendre: plus aucun citoyen tunisien ne doit avoir un droit de plus qu'un autre citoyen tunisien.
Et je suis partie. J'avais quitté. Et le plus drôle est que je ne m'en étais même pas aperçue. Cela n'avait pas été une décision. Je m'étais juste retrouvée entrain de hurler et de quitter ce groupe.
Je me suis moi-même posée des questions. Pourquoi ai-je réagis de cette manière?
J'avais perdu patience.
Mais je pense aussi que c'est parce que cela m'avait rappelé une discussion qui avait eu lieu il y a quelques mois, plus précisément en mai 2011. Je participais à une table ronde dont l'invité d'honneur était Lotfi Zitoun de la nahdha. Cette rencontre m'était restée en mémoire.
M.Lotfi Zitoun nous avait parlé pendant environ 3 heures. Il avait été génial. Très poli, très posé. Très sincère aussi je pense sur certains sujets. Et même de bon conseil parfois.
J'avais beaucoup apprécié cette discussion avec cet homme. Et contrairement à deux ou trois autres personnes de la nahdha que j'avais rencontré ça et là, celui-là m'avait presque convaincue. Il était très logique, très perspicace. Et franchement, il m'avait fait entrevoir des aspects de la nahdha et des ses sympathisants que je ne connaissais pas.
Mais (encore un mais) il y avait quand même eu un "clash" lors de cette discussion. M.Zitoun après nous avoir expliqué en long et en large que la Tunisie restera "civile" et que tous les acquis, et en particulier ceux de la femme seront préservés... (je sais, ils disent tous cela, mais lui l'avait dit d'une façon bien plus convaincante) nous avait sorti une "énormité". Il nous avait dit qu'il fallait savoir qui étaient les vrais musulmans, sachant que toute personne qui se disait musulmane ne l'était pas nécessairement et que pour être un vrai musulman, il fallait le vouloir très profondément et dire la chahada du plus profond de son être.
Ah oui? Qui peut donc juger du degré "d'islamité" d'une personne? Et pourquoi? Dans quel but?
Et là... je ne vous raconte pas. Clash de chez clash. J'avais attendu la fin de la réunion pour lui répondre que dans un "État civil", tous les citoyens étaient égaux et que la foi et les croyances étaient strictement personnelles. Et que justement ce qu'il venait de dire là faisait tomber tout ce qui avait précédé dans l'eau. Personne n'avait le droit de juger les croyances des autres, ou les remettre en cause, ou les quantifier... La religion reste du domaine strictement privé et personnel.
Voila. je n'avais jamais oublié cet incident. Il était resté dans un petit coin de ma tête. Il résonnait de temps en temps. Comme un signal d'alarme. Attention. Attention. Attention. Les discours même les plus beaux et les plus convaincants peuvent cacher des "catastrophes".
Nous sommes tous citoyens tunisiens ÉGAUX. Il n'est pas question d'accepter une hiérarchie quelconque entre les citoyens tunisiens.
Ce que TOUS devraient comprendre, est que nous sommes tous tunisiens égaux et que nous sommes "CONDAMNES" à vivre ensemble, bon gré mal gré, et qu'il faut donc impérativement trouver le moyen de le faire pacifiquement.
Pour voir toutes les photos, il faut aller sur ma page facebook, ici.
Hier, je suis allée au rassemblement qui a eu lieu au Bardo à l'appel de plusieurs associations et mouvements, à l'occasion de la séance inaugurale de l'assemblée constituante.
J'ai malheureusement été coincée dans la circulation et je ne suis arrivée que vers 10h45 je pense.
A mon arrivée, il y avait déjà un monde fou. Certains avancent les chiffres de 3000/4000 personnes. Peut-être bien. Et peut-être même plus, parce que certains venaient, d'autres partaient.
Les gens étaient plus ou moins organisés par groupes, associations, revendications...
Les premiers que j'ai vu sont Amnisty International. Cela m'a rappelé qu'en décembre 2010, j'avais été à leur bureau au centre ville à Tunis, et qu'on m'avait raconté leurs conditions de travail et la pression permanente que cette organisation subissait. Les voir à la lumière, entrain de manifester dans un endroit public était une belle surprise.
(Cliquez sur les photos pour les agrandir)
Je suis arrivée juste quelques minutes avant M.Ahmed Nejib Chebbi qui a été pratiquement ovationné. J'ai essayé de le prendre en photo, mais je n'y ai pas réussi.
Ensuite, je me suis promené ça et là, j'ai pris des photos, j'ai écouté quelques personnes.
Il y avait toutes sortes de revendications. C'était assez hétéroclite. Mais l'ambiance était saine. Du moins au début.
Comme le montrent les photos, les revendications étaient vraiment diversifiées. Les citoyens étaient là pour demander la/les libertés, la justice, l'emploi, l'indépendance par rapport aux pays étrangers, l'indemnisation des victimes de la révolutions, les droits des femmes, les droits des enfants, des médias libres et indépendants, des élections libres et transparentes.... Bref, le rassemblement reprenait en gros les revendications de la révolution. Pour résumer: LIBERTÉ - DIGNITÉ - JUSTICE - CITOYENNETÉ - JUSTICE SOCIALE.
A un certain moment, des sympathisants de la nahdha, et même l'un de ses dirigeants (je ne me rappelle pas son nom, mais je l'ai déjà rencontré avec Ajmi Lourimi) sont arrivés. Tant mieux. Cela peut en étonner certains, mais j'adore cela parce que cela permet des discussions intéressantes, avec des points de vues complètement opposés parfois. J'adore lorsque bien-sûr le respect est mutuel et que les discussions sont "pacifiques". Ce qui devrait être la règle. Il faut que nous tous, puissions nous parlez dans le respect total.
Je me suis donc promenée d'un groupe à l'autre. Juste pour écouter parfois, ou pour participer d'autres fois.
Je peux vous dire que cela discutait. De sujets divers. Par exemple de mères célibataires. C'est du moins la discussion la plus houleuse à laquelle j'ai assistée. Ce qui est dommage, c'est que parfois on sent qu'il y a une désinformation monstre. Et la rumeur a la peau dure parfois.
Ce que je trouve dommage en ce qui concerne ce sujet précisément, est que la plupart des gens en entendant parler de mères célibataires ne pensent que femmes "perverses" et oublient très souvent les victimes. Les victimes de viols, d'agressions et même les victimes de leurs ignorances ou de la société.
Un autre groupe parlait de tenues vestimentaires. Ce que j'ai trouvé étonnant, c’est la réaction d'une femme voilée. Elle était là pour la défense des droits des femmes. Elle m'a raconté qu'elle est voilée par conviction. Elle avait pris cette décision par elle-même sans aucune pression d'aucune sorte. Elle était d'ailleurs accompagnée de sa fille, jeune femme non voilée. Cette dame était tellement en colère. Elle a dit à un certain moment: "wallah, wallah, si jamais un jour le voile devenait obligatoire, wallah je l'arrache de suite et le jette. Moi qui l'ai porté par conviction, je l'enlèverais". Elle était émouvante dans sa colère.
Une autre discussion à propos de la tenue vestimentaire avec un papi qui portait cette pancarte:
Je l'avais remarqué et j'avais été lui demander ce qu'il voulait dire par sa pancarte et s'il s’adressait à un parti particulier. Sa réponse est que sa pancarte s'adresse à tous. Tous sans exceptions. Tous ceux qui trichent. Mais ensuite, la discussion a dévié sur le voile à cause d'une vielle mamie qui avait abordé ce sujet. Elle disait que c'est une obligation religieuse, il avait dit que non. Ensuite, il nous a regardé (nous étions environ 3/4 femmes non voilées à discuter avec lui) et nous a dit que nous étions si smè7 (mignonnes) et vraiment décentes telles que nous étions! :-)) Gentil le papi.
Pas loin de ce papi, deux tunisiennes noires revendiquaient l'égalité entre les races. L'une d'elles portait cette pancarte:
Un jeune homme était étonné par cette revendication et est allé leur poser des questions. Et elles nous ont raconté. Elles nous ont raconté le racisme des tunisiens. Elle nous ont raconté le racisme des Tunisiens envers leurs frères tunisiens. Elles nous ont raconté le racisme des tunisiens blancs envers leurs frères tunisiens noirs. C'était étonnant et épouvantable. Nous ne connaissons pas ou nous ne voulons pas connaitre ce genre de racisme en Tunisie, pourtant il existe.
Tout d'un coup, mon attention a été attiré par des cris. Je suis allée voir. Il s'agissait de Sofiène Ben Hamida. Il était venu et avait été agressé. Des gens lui criaient de dégager, d'autres l'insultaient. Mme Zeyneb Farhat et d'autres essayaient de le protéger.
Cela devenait insupportable et certains lui ont conseillé de s'en aller pour que cela ne dégénère pas. Ce qu'il a essayé de faire. Mais sur son chemin, il a malheureusement été agressé encore plus violemment, et certains en sont venus aux mains. L'agression verbale s'est transformée en agression physique. SBH était proche d'une voiture de police, mais les policiers ne faisaient que regarder sans intervenir. Une femme d'environ 55/60 ans est allée leur parler. Elle était en colère et leur criait de faire leur travail. Elle leur a dit que c'était normal que les tunisiens ne les aiment pas puisqu'ils ne les protégeaient pas et se contentaient de regarder.... Bref, elle a enfin réussi à les faire bouger. Ils ont alors essayé de protéger SBH et de l'escorter loin pour qu'il puisse s'en aller.
Je déplore et condamne fermement cette agression et toutes agressions. Je suis contre la violence. Je trouve vraiment dommage que cet incident ait eu lieu. Normalement, tout citoyen a le droit d'occuper l'espace public et de s'exprimer librement. Je dis bien tous. Tous les citoyens. Je signale au passage que le membre de la nahdha dont j'ai parlé plus haut essayait de calmer les gens et s'opposait aux agresseurs.
Personnellement cette agression est la seule à laquelle j'ai assisté hier. Mais on m'en a raconté une autre. Celle de Souad Abderrahim. Que je condamne aussi fermement.
Je ne connais pas les détails puisque je n'y étais pas. Certains disent qu'un homme lui aurait tiré les cheveux. D'autres disent qu'en réalité, il s'agit d'une mère célibataire.
Sur facebook, il y a le témoignage de Mme Zeyneb Farhat qui nie ou nuance cette agression:
Témoignage: lors de son arrivée aujourd'hui, à pied, pour se rendre à la &ère séance du CS au Bardo, Souad Abderrahim a été prise à parti par une femme qui s'est jetée sur elle en pleurant ! Nous avons tiré cette dame en arrière en protestant fortement ! Nous avions hué Souad Abderahim quant à ses positions rétrogrades et son insulte aux longues années de militantisme pour les Droits des Femmes MAIS NUL-le n'a le droit de porter atteinte à l'intégrité physique de qui que ce soit !!!
La seule vidéo que j'ai trouvée, toujours sur facebook semble corroborer ce témoignage, bien qu'elle ne soit pas vraiment explicite.
Sur Internet, certains semblent dire que cette agression est une comédie. Ils trouvent étonnant que Souad Abderrahim soit la seule à être venue à pieds, alors que tous les autres élus sont venus en voiture. Ils trouvent aussi étonnante la crise d'hystérie de cette femme avant l'arrivée de SA, et la manière dont elle s'est donnée en spectacle, peut-être juste pour attirer l'attention. Et la facilité qu'elle a eu à traverser le cordon de sécurité.
Y-a-t-il eu agression ou pas? Je ne sais pas. Quoiqu'il en soit, je le répète, je condamne fermement toutes agressions et violences. Et je suis contente de constater que la grosse majorité de mes amis a aussi fermement condamné cet acte.
On m'a raconté qu'un huissier notaire pro-nahdha (?) se promenait parmi les gens pour relever les "atteintes" à la nahdha. Cela me fait sourire. Ce huissier aurait pris la photo de cet homme et de sa pancarte pour porter plainte contre lui:
Le "phénomène" Jalel Brick était aussi représenté hier:
Bref, que c'est beau de pouvoir exercer librement sa citoyenneté. J'espère que cela durera à l'infini. Pouvoir s'exprimer, pouvoir protester, pouvoir manifester.... Et surtout s’approprier l'espace public. S’approprier son propre pays. S'approprier sa Tunisie.
Je me rappelle que lors de ma première manif sur l'avenue Habib Bourguiba, je pleurais. Oui je pleurais parce que de ma vie, je n'aurais jamais cru qu'un jour, je pourrais marcher au beau milieu de la rue et manifester. Et depuis, ce miracle s'est répété à plusieurs reprises.
L'espace public est à nous Tunisiens. A nous les citoyens. Et personne ne pourra plus nous l’arracher ou nous le voler.
La Tunisie est à nous, son peuple, ses enfants. Nous tous.
J'espère juste que nous trouverons un moyen d'y vivre tous en bonne entente, sans dictature, sans discriminations, sans exclusions....
Demain, Nabil Karoui et deux autres personnes vont passer devant la justice pour avoir diffusé le film Persépolis à la TV. Ce film a pourtant eu un visa d'exploitation du Ministère de la culture et a été projeté plusieurs fois au cinéma et dans les maisons de la culture, et cela avant et après la révolution. Ce film est en vente dans les vidéothèques en tunisie. Je l'ai moi-même acheté il y a deux ans. Et tout d'un coup ce film est devenu sacrilège!!! Ce film a aussi été projeté à Abou Dhabi lors d'un festival de cinéma. Je me demande si les Emiratis sont de bons musulmans puisqu'ils ont diffusé ce film.
Par ailleurs les gens qui ont agressé, cassé, violé le domicile privé, violenté une femme... n'ont été condamnés qu'à 9d600 d'amande. C'est beau un Etat de droit!!!! Justice mon oeil!!!!!
C'est ce que j'appelle la dictature. Et la mort de la liberté d'expression.
Update (17/11/2011 à 12h45) : l'audience a été reportée au 23 janvier 2012.
Je vous publie ci-dessus un article écrit par un ami. Il s'agit d'une reflexion au sujet de l'article 1 de la constituante de 1959. L'avenir nous dira s'il avait raison ou pas.
Jaouhar M'barek avait déjà soulevé le problème de l'ambiguité de cet article 1 dans son projet DOSTOUROUNA. Dernièrement, j'ai lu un article dans lequel Mohamed Abbou du CPR aurait dit que cet article 1 ne serait pas maintenu dans la nouvelle constitution pour éviter toute ambiguité dans l'avenir.
En ce qui me concerne, j'ai toujours été contre cet article 1 justement à cause de son ambiguité qui lui permet d'être utilisé par les uns et par les autres dans des sens complètement différents. J'avais d'ailleurs refusé de signer la pétition de l'Initiative Citoyenne qui demandai le maintient de cet article 1, et c'était un point de désaccord que j'avais avec le PDM qui préférait le maintenir tout en y ajoutant d'autres articles pour éviter l’ambiguïté.
La rédaction de cet article 1, tel qu'il est, est une brèche par laquelle pourraient s'engouffrer bien des malheurs.
Et je pense que c'est la raison pour laquelle nahdha voudrait le conserver. Il pourrait en effet servir à nous conduire petit à petit vers un État théocratique.
Et rabbi yoster.
La guerre de l’article premier n’aura pas lieu
Sami Bostanji
Professeur à la faculté de droit et des sciences politiques de Tunis
A la faveur d’une liberté d’expression longtemps étouffée, on a assisté au lendemain du 14 janvier à l’émergence au-devant de la scène politique d’un débat fondamental ayant trait aux rapports entre Politique, Droit et Islam au sein de l’Etat. Cela remettait à l’honneur une question centrale, constamment biaisée par les régimes autoritaires qui ont hérité de la phase postcoloniale.
Sur ce terrain miné par les clivages qui séparent les acteurs politiques, un certain consensus semble s’offrir autour du concept d’Etat civil. Ignoré, il y a quelques mois, le terme Etat civil fait une pénétration fulgurante dans le lexique politico-juridique tunisien. Tant et si bien, que les principales parties prenantes au jeu politique en arrivent à oublier leurs dissensions, s’attelant chacune de son côté à lancer un appel non équivoque à couler les institutions de la deuxième république dans le moule de l’Etat civil. Par une sorte d’effet d’attraction, un curieux phénomène de convergence s’établit sur la scène politique tunisienne pour entériner ce nouveau concept.
Pour s’en rendre compte, il suffit d’égrener les positions des principaux pôles politiques en concours : le pôle moderniste progressiste et le pôle islamiste. Dans ce contexte, il est à rappeler qu’après un lâcher d’essai orienté vers la revendication d’un État laïc, les modernistes ont vite fait de changer leur fusil d’épaule. Désormais, ils crient haut et fort que le salut de la Nation passe par la consécration du caractère civil de l’Etat, laquelle consécration est parfaitement conciliable avec le maintien de l’ancienne formulation de l’article premier de la Constitution qui prévoit que l’Islam est la religion de l’Etat tunisien. Quant aux islamistes, leur noyau dur revendique l’Etat civil en précisant toutefois que cet État ne peut se dissocier du référentiel islamique qui est appelé à accompagner, de manière incontournable, toute édification d’un nouveau cadre constitutionnel (Voir en ces sens, l’Interview de l’un des hommes forts du Parti Ennahdha, Ali Laaridh, Journal Le Maghreb, 2 septembre 2011; voir également, Le programme du Parti Ennahdha, Journal El Fejr, 16 septembre 2011).
Est-ce à dire que l’on se trouve en présence d’un concept qui présente des potentialités fédératrices au point de contenir des mouvances qui semblaient prima facie antinomiques ou bien faut-il tout simplement voir dans ce phénomène de convergence une simple manœuvre politicienne destinée « à botter en touche » les questions qui dérangent en attendant la joute finale qui aura lieu sur le terrain de l’élaboration de la nouvelle Constitution tunisienne?
Ces questionnements nous amènent à une introspection théorique de la clef de voûte de ce débat: le concept d’Etat civil.
Dans son acception générale, l’Etat civil s’oppose à l’Etat théocratique. Au rebours de celui-ci, il repose sur l’idée que l’Etat ne peut être défini par une référence quelconque à la religion, fut-elle celle de la majorité de ses ressortissants. Ceux-ci participent à l’exercice de la souveraineté par l’élection de leurs représentants, lesquels représentants sont appelés à forger des normes organisant la vie en société en contemplation des principes d’égalité et de liberté, sans l’interférence d’une quelconque transcendance divine.
L’appel à ce concept nécessite une reconfiguration des notions clés du cadre étatique: société, pouvoir et droit.
La société est identifiée au regard de son appartenance à une nation spécifique constitutive d’un État. La notion d’Umma, autrefois fédératrice de la collectivité, est reléguée au champ du symbolique ou tout au plus, celui du cœur. L’allégeance est donc concrétisée par un lien politico-juridique: la nationalité, lequel lien est rétif à toute interférence du religieux.
Quant au pouvoir, il trouve son fondement exclusif dans la souveraineté populaire. Point n’est besoin ici de chercher une quelconque validation de ce pouvoir au regard du sacré (Compagnons privilégiés du Prophète ou encore un prétendu lien de sang avec un membre de la famille du Prophète). Le gouvernant exerce le pouvoir par la volonté du peuple qui, par le biais de ses représentants, fixe les modalités d’exercice du pouvoir et les conditions au regard desquelles celui-ci prend fin.
Enfin, le droit est désacralisé en ce sens qu’il est dissocié du voile sacré qui l’a toujours couvert en terre d’Islam. Sur le plan formel, le droit n’est plus une production des jurisconsultes, il est désormais l’apanage exclusif de l’Etat qui s’approprie le monopole de la production des normes juridiques suivant des techniques bien établies. Sur le plan substantiel, le droit apparaît comme une médiation entre des intérêts antagonistes. A cet effet, il se présente comme le reflet des besoins et des exigences de la société qu’il prend en charge. Mieux encore, le droit se projette parfois comme un vecteur du changement social emportant dans son sillage une véritable mutation des relations qu’il est appelé à gouverner. Ce droit s’élabore sur terre sans prétention d’ancrage au ciel.
Au regard de cette présentation, on comprend mal comment le concept d’Etat civil peut se concilier avec la référence à l’Islam en tant que religion de l’Etat tunisien. Plaider pour l’Etat civil tout en cherchant à maintenir le lien ombilical avec le modèle originel place les chantres d’un tel discours dans l’impasse: quelle que soit la portée à conférer au référent religieux, le résultat de cet «attelage baroque» pèche par son incohérence. A défaut de pouvoir être justifiée, cette position trouve son explication dans la pression des faits politiques qui balayent toutes les certitudes théoriques et viennent rappeler que la Politique reste avant tout «l’art du possible».
I- Les incohérences du concept
Si l’on affirme, comme le pense en sourdine la frange moderniste que la référence à l’Islam doit être cantonnée dans le champ du symbolique on est alors acculé à s’interroger sur l’utilité d’une telle référence. Sachant que la solution véhiculée par l’article premier a été élaborée dans un contexte postcolonial, on peut émettre de sérieux doutes sur l’opportunité de la pérenniser au-delà de son contexte originel. Il est à rappeler à cet égard que la formulation, à l’aube de l’indépendance, de l’article premier de la Constitution tunisienne véhicule un effet d’annonce à double détente: l’annonce à la fois d’une rupture et d’une continuité par rapport à l’ancien système.
Ce texte évoque la rupture par rapport au passé sur le plan de l’organisation politique. Cette rupture se traduit par le passage d’une monarchie sous protectorat français à un État-Nation indépendant organisé suivant un mode républicain. La rupture vient ici exalter la souveraineté fraîchement acquise du nouvel État.
Quant à la référence aux éléments de continuité, elle permet de rassurer la population tunisienne: le nouveau fait politique n’emporte pas une subversion sur le passé puisque la société tunisienne reste soudée par les segments traditionnels, en l’occurrence la langue et la religion. De ce point de vue, la religion musulmane apparaît comme l’un des éléments fédérateurs de la Nation.
Les prescriptions de l’article premier de la Constitution de 1959 se retrouvent dans la quasi-totalité des Constitutions arabes. Cette disposition s’inscrit dans la voie de l’instrumentalisation des symboles religieux par les acteurs politiques. Lorsque la matrice structurante d’une collectivité est animée par le sacré, le référent religieux reste une source intarissable de consolidation du pouvoir. Il est ici question de capter l’audience et la force structurante de ce référent auprès de la population tunisienne, de l’endosser et de l’afficher afin de profiter des bienfaits de légitimation qu’il emporte. L’utilisation de ce référent apparaît donc comme une nécessité pour des régimes en quête de stabilité. Il révèle également que contrairement aux États laïques, il y a dans ces systèmes une interférence entre le Politique et la Religion. D’un côté, l’Etat gère l’Islam dans l’espace public (organisation de l’enseignement et du culte), d’un autre côté, l’Islam influence certains aspects du système politique (l’exigence par exemple que le chef de l’Etat soit d’obédience musulmane).
Toutefois au-delà de ces aspects, force est de constater que pour le cas tunisien, la place du religieux dans l’édification des institutions juridiques et politiques fut très tôt neutralisée. Cette assertion trouve consolidation, tout d’abord, sur le terrain de l’organisation du pouvoir qui s’est faite selon les paradigmes du constitutionnalisme occidental tournés vers l’idée centrale de limitation du pouvoir. Cette conception se traduit notamment par l’exaltation de l’idée de souveraineté populaire, l’affirmation du principe de séparation des pouvoirs et la proclamation des libertés publiques. Par ailleurs, le législateur tunisien ne s’est jamais obligé à aligner la loi sur les principes de la Sharia; de même, le Conseil constitutionnel n’a jamais contrôlé, de manière frontale, l’islamité des lois.
Certes, certains juges ont vu dans l’article premier, un visa ouvrant la voie à l’interprétation de certains textes, notamment ceux du Code du statut personnel, par référence au droit musulman classique. Néanmoins, une telle lecture ne demeure pas moins contestable dans la mesure où elle se trouve en porte-à-faux avec le caractère national de ce Code ainsi que les principes d’égalité et de liberté de conscience qui coiffent l’ordre juridique tunisien.
Si l’on se place dans la perspective qu’il faut maintenir cet article dans la dimension symbolique qui lui a été attribuée successivement par les régimes de Bourguiba et Ben Ali et qu’il faut, en parallèle, maintenir la perspective de laïcisation du droit, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’utilité d’une telle entreprise.
Y a-t-il, aujourd’hui, un besoin impérieux 56 ans après l’accès du pays à l’indépendance, de faire pareille déclaration identitaire? Avons-nous encore besoin de nous rassurer? Pourquoi s’obstiner à se représenter au regard d’une seule strate identitaire au mépris des autres éléments constitutifs de notre identité? N’est-ce pas oublier que l’identité n’est pas un état mais plutôt un processus. « Elle n’est pas une essence, mais une donnée historique qui se construit, se déconstruit et se reconstruit au gré des conjonctures économiques et sociales, locales ou régionales » (Sélim Abou, De l’identité et du sens, La mondialisation de l’angoisse identitaire et sa signification plurielle Perrin/PUSJ 2009). Notre identité arabo-musulmane, à la supposer exclusive est-elle vraiment menacée dans son existence si on venait à omettre ce genre de mention?
Autant d’interrogations qui fissurent le mur de certitudes des adeptes de cette position. L’Etat civil invoqué est certainement viable sans cet effet d’annonce qui interpelle un référent religieux. Partant du principe que les dispositions inutiles affaiblissent les dispositions nécessaires, le maintien de cette solution devient nuisible car elle nourrit une représentation du droit et de la politique qui tourne le dos à la réalité. Cette attitude schizophrénique joue sur l’ambiguïté de l’association Etat civil – Islamet entretient le flou de ce binôme. Elle appelle à la méfiance car, comme le souligne Edgar Morin « La conscience n’est jamais assurée de surmonter l’ambiguïté et l’incertitude » ( E.Morin, Le paradigme perdu ) . Pis encore en regardant devant soi, l’Histoire nous apprend que l’ambiguïté est souvent le masque derrière lequel s’embusque la perversion.
Mais le danger est plus grand dès lors qu’on réfléchit à dissocier l’article premier de son caractère symbolique pour le canaliser vers un terrain plus concret où il autoriserait une plus grande pénétration de la religion dans les domaines politique et juridique. Ce projet qui tient à cœur à certains dirigeants islamistes et à une bonne partie de la base acquise à leur cause viendrait alors déconstruire un à un les éléments de l’Etat civil par une confusion entre le temporel et le spirituel ; de même qu’il emporterait l’affaiblissement du principe d’égalité qui se trouverait battu en brèche par les nombreuses discriminations véhiculées par le droit musulman classique (discrimination en raison de la religion, du sexe, de l’origine de la naissance…). Enfin, assisterait-on à travers une telle approche à la réactivation in fine d’une identité religieuse aux lieu et place de l’identité nationale. Sous cet angle, Droit et Politique obéiraient à une conception identitaire au sein de laquelle l’Islam transcende les règles appelées à régir les rapports gouvernants-gouvernés et à réguler, de manière générale, l’organisation de la vie sociale. L’incompatibilité de cette démarche avec le concept d’Etat civil est saillante. C’est toute l’organisation rationnelle que présuppose ce concept qui se trouve ici ruinée. S’il est vrai que l’Etat civil est une illustration édifiante de la modernité, il est aussi vrai que celle-ci s’accommode mal de toute transcendance. Comme le souligne Juergen Habermas, la modernité est nécessairement un phénomène endogène; elle ne peut trouver sa référence dans autre chose qu’elle même.
Loin d’assumer les véritables implications de l’Etat civil, les acteurs politiques de la scène tunisienne semblent nourrir ce concept d’une vision qui le délite de sa conception originelle. C’est là qu’entrent en jeu la pression des faits politiques. On sort alors du domaine théorique des concepts pour aller sur le terrain de la stratégie politicienne.
II- La pression des faits politiques
Par l’intermédiaire du concept d’Etat civil, les acteurs politiques simulent l’accalmie en essayant de maintenir les divergences en suspens ; chaque partie cherchant à bénéficier d’un « temps mort » qu’elle espère prolonger à volonté. Derrière cette stratégie commune visant à lénifier les appréhensions d’un électorat que l’on cherche vaille que vaille à captiver, se terrent les mobiles divergents des parties au débat.
Le clan moderniste vise le maintien du statu quo ante : c’est à dire continuer à brandir l’étendard de l’Islam, au plus haut niveau, tout en s’efforçant de neutraliser la charge juridique de cet article premier. Cette partie préfère continuer à surfer sur le flou du texte, à compter sur « la baraka de l’ambiguïté »pour maintenir l’aiguillage du système politico-juridique vers le cap de la sécularisation. Pour elle, la posture idéale est d’esquiver le débat avant le 23 octobre mais également après cette date afin de ne pas entrer dans une bataille où elle risque d’être mise au ban compte tenu du fait que l’Islam conserve au sein de la société une force structurante dont il est difficile de faire fi.
Quant à l’autre partie, elle simule le jeu de la continuité pour ne pas choquer les forces séculières qui, pour des raisons historiques (la Tunisie a été un pays précurseur dans le mouvement réformiste amorcé au milieu du XIXème siècle) et politiques (laïcisation par le haut du système politico-juridique amorcée par Bourguiba et pérennisée par Ben Ali) sont plus vives en Tunisie que dans les autres pays arabes. In petto, la faction islamiste rêve de lendemains prometteurs; des lendemains où elle pourra, à la faveur d’une légitimité solidement acquise, donner satisfaction à une bonne partie de sa base qui réclame le rétablissement de « l’ordre juridique et moral originel ».
Quels que soient les objectifs non avoués des parties en concours, force est de relever que l’abandon de toute référence à l’Islam en tant que religion de l’Etat Tunisien est, aujourd’hui, difficilement concevable. A l’instar des autres sociétés arabes, la société tunisienne demeure profondément marquée par une fibre religieuse. L’Islam est le véritable ciment de la collectivité et le segment indéfectible qui structure la pensée, le comportement et la sensibilité de la collectivité. Il est à la fois croyance, morale, culture… Dans l’imaginaire populaire, renoncer à cette dimension identitaire véhiculée par l’article premier équivaut à se perdre. Conscients de cette réalité, les forces modernistes savent que sur ce terrain, elles ne peuvent réellement aller très loin. D’où la quasi unanimité qui se cristallise dans les milieux politiques progressistes sur le maintien de l’article premier de l’ancienne Constitution.
Pour leur part, les islamistes ont une marge de manœuvre non moins limitée. En effet, si, dans l’absolu, un retour à l’ordre charaïque n’est pas théoriquement exclu, il est d’une mise en œuvre très hypothétique au sein de la société tunisienne. Dans cette collectivité, la modernité ne date pas d’hier. Il n’est point question ici d’une modernité projetée ou différée; bien au contraire, la modernité en Tunisie est une pratique vécue sur les terrains politique, économique et social. La rationalisation de l’organisation de la vie au sein de la société aussi bien sous le rapport individuel que collectif est inscrite dans les mentalités et les mœurs de la société; l’exemple édifiant étant ici celui du statut personnel. Le droit objectif est venu prendre en charge cette modernité emportant dans son sillage la consécration de droits subjectifs qui, par un effet de répétition, vont accéder au rang de droits acquis. Qui plus est, cette rationalisation est aujourd’hui rendue nécessaire par la complexification de la vie sociale, laquelle complexification rend toute remise en cause des paradigmes qui découlent de la modernité difficilement envisageable.
En somme, nous nous trouvons en présence d’une situation qui a atteint un point d’équilibre qui fait que quelque soit le résultat du scrutin du 23 octobre aucun de ces principaux pôles ne serait en mesure d’imposer ses vues à propos de l’article premier, à la partie adverse. Au regard de ces considérations, il est probable que la nouvelle Constitution ne contienne pas d’innovations substantielles sur le terrain de la conception des rapports entre Politique, Droit et Religion; se contentant d’introduire le concept d’Etat civil qui s’apparente ici à «un concept placébo» qui permettra à toutes les parties prenantes de sauver la face moderniste du débat; en même temps, on cherchera à maintenir la référence à l’Islam en tant que religion de l’Etat tunisien pour sauvegarder la dimension identitaire à laquelle tient une grande partie de la population.
Ce positionnement nuancé semble en l’état actuel des choses incontournable. La politique, dit-on, est «l’art du possible»; or n’est possible que ce qui est réellement praticable. Le pragmatisme dans l’appréhension de la situation l’emportera nécessairement sur la logique et la cohérence des concepts.
Dans ces conditions, il est légitime de penser que la guerre tant annoncée de l’article premier n’aura pas lieu.
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