En publiant hier sur ma page facebook les photos du déjeuner Patrimoine Culinaire Sfaxien, je me suis rappelée un déjeuner auquel j'ai participé cet été.
J'étais invitée à déjeuner chez des amis juifs tunisiens, originaires de Sfax, comme moi. D'ailleurs, nos familles sont amies depuis 3 générations et j'espère que cela durera encore et encore, sur plusieurs autres générations.
C'était samedi, donc Shabbat. Au menu, il y avait un plat qu'il m'a semblé ne pas connaitre: harissa. Cela ressemblait au borghol.
On m'a alors raconté qu'à Sfax, à l'époque, toutes les familles juives préparaient ce plat de harissa pour le déjeuner du samedi. Mais comme à Shabbat, ils ne pouvaient ni allumer le feu ni faire la cuisine, en fait, la harissa était préparée la veille dans un plat en terre, et ensuite était envoyée à la koucha ou elle mijotait toute la nuit au chaud dans le four de la koucha.
Le lendemain, samedi, un homme était chargé de recueillir toutes ces harissas et de les amener dans les familles. Il parait qu'il avait une petite remorque (je ne sais pas s'il s'agissait d'un vélo ou d'un âne!) ou il mettait tous ces plats en terre et qu'il s'arrêtait dans chaque maison pour distribuer ces harissa.
Il parait que dans chaque famille, il était bien accueilli et était invité à boire un verre de boukha. A la fin de sa tournée, il parait que le bonhomme était complètement ivre!
Et donc, hier, en regardant les photos, c'était là: une harissa cuite dans un plat en terre, et à l'époque, on m'avait en effet dit que cela mijotait pendant 24h!
Par contre, à Sfax, on m'avait dit que ce plat n'était pas de Sfax la ville, mais des environs. Je me dit que peut-être c'était plutôt un plat juif sfaxien et que les musulmans ne connaissaient pas très bien et pensaient donc que cela venait des environs. Je le pense d'autant plus que ce plat était servi avec des sortes de boulettes qui rappellent les boulettes que l'on mange le soir de Shabbat dans les familles juives tunisiennes.
Je ne sais pas. Mais ce que j'ai aimé, c'est que maintenant, pour moi, à cette photo est associé une anecdote, une histoire, un pan de mémoire, des souvenirs... Et j'adore cela!
Je viens d'apprendre le suicide de l'artiste peintre Amar Ben Belgacem.
Je suis choquée.
Je l'ai connu à travers facebook, et nous échangions des messages, des liens, des impressions...
Il me semblait un artiste passionné.
Je l'ai rencontré il y a quelques mois à la Galerie El Borj à la Marsa. Très gentil garçon.
Je trouve cela incompréhensible.
Pourquoi un jeune artiste si prometteur attente-t-il à sa vie?
Paix à ton âme Amar. J'espère que tu pourras trouver dans l'au-delà ce que tu n'as pu trouver ici-bas.
Update: Une amie de Amar m'a laissé un message. D'après ce que j'ai compris, une enquête de police est en cours pour savoir s'il s'agit d'un suicide ou pas. Attendons donc le rapport de la police.
Quoiqu'il en soit, paix à son âme.
Update 2: Le groupe "Les amis de Amar" a donné cette information:
"Nous venons d'avoir
l'information qu'Amar quittera demain matin l' institut médico-légal de
Paris, place Mazas quai de la Rapée Paris 75012, à 11h pour être
rapatrié en Tunisie.
Nous donnons rdv à toutes les personnes qui souhaitent s'y rendre à 10h30 Place Mazas
soyez discret SVP."
Précision:
C'est un ami proche de Amar qui le premier m'a donné l'information de son suicide. Ensuite d'autres amis ont nié le suicide. Une amie de Amar m'a dit qu'il y avait une enquête policière.
En ce qui me concerne, je ne connais pas avec exactitude les circonstances de sa mort. Est-ce un suicide comme me l'a dit un de ses amis?
S'il y a une enquête policière, je suppose que c'est parce que les choses ne sont pas claires. J'espère que nous en saurons plus plus tard.
Il y a très très longtemps, j’avais quitté ma maman pour aller faire mes études en France.
A l’époque, je ne savais pas particulièrement faire la cuisine. Je savais faire des tartes salées ou sucrées, des crêpes, des gâteaux, des omelettes… Mais pas la vraie cuisine, ma maman s’en chargeait pour nous. En plus, ma maman est un vrai cordon bleu, et dans une cuisine, elle sait tout faire, absolument tout.
Les trois premières années, j'avais habité chez l'habitant et ensuite en cité universitaire, donc je ne cuisinais pas particulièrement. Mais ensuite j'avais loué un petit appartement. J'avais enfin mon chez moi. Ma maman m’avait donc donné quelques recettes de base que j’avais soigneusement notées.
J’en avais essayé plusieurs et petit à petit j’avais appris à faire la cuisine. Mais j’avais eu un blocage.
J’avais essayé une fois de préparer un couscous et je l’avais raté. C’était il y a environ 25 /26ans. Depuis ce jour-là, je n’ai plus jamais osé préparer un couscous.
Cela a été la première et la dernière fois que j’avais cuisiné un couscous à la tunisienne. J’ai par contre préparé du couscous à la marocaine. Mais mon blocage concernait le couscous tunisien.
Dès que l’on m’en parle, je dit NON. Je ne cuisine pas le couscous.
Mon mari me l’a demandé à plusieurs reprises. NON.
Les enfants ont grandi et l’ont réclamé. NON.
Les années ont passé. Si je trouve quelqu’un pour nous préparer un couscous, c’est tant mieux, sinon nous n’en mangeons pas, tout simplement.
Au fil des années, les taquineries ont augmentés. Elles se sont mues en railleries et moqueries. Et toujours NON de ma part.
Ensuite, cela est devenu un sujet de reproches. Mais j’ai dit NOOOOON!
C’est devenu un sujet de disputes parfois, mais NON. NON.NON.
JE NE PRÉPARE PAS DE COUSCOUS. POINT A LA LIGNE.
Qu’on me laisse tranquille avec ce couscous. C’est NON.
Mais sincèrement, je commençais à voir rouge. L’agacement a laissé place à la colère. Qu’on ne me parle plus de mon incapacité à préparer ce couscous!
Et lundi dernier, il y a eu un déclic. Une moquerie de trop je crois. Et je me suis dit que cette fois-ci j’allais relever le défi.
Non mais….
Combien d’années encore va-t-on me reprocher mon incapacité à préparer un couscous?
Et puis, cela ne doit pas être sorcier de préparer un couscous, non?
Je suis allée chez le boucher, j’ai acheté de la viande d’agneau. J’ai acheté du couscous et des légumes et avant-hier j’ai relevé le défi. Amma éna walla il kosksi!!!
J’ai ressorti la vieille recette que m’avait donné ma maman, et voilà!
J’ai fais mon premier couscous depuis 25/26 ans.
Quelle surprise pour mon mari et les enfants! Ils n’en croyaient pas leurs yeux!
Et vous savez quoi? Cette fois-ci je ne l’ai pas raté du tout. Ils ont tous mangé avec appétit, particulièrement Poupée qui a adoré et en a repris 3 fois!
Ce que j’ai trouvé formidable est que finalement c’est facile de préparer un couscous!
Comme quoi, parfois nous faisons des blocages sur des futilités!!!!
Voici la recette de ma maman:
Pour 5 personnes:
- Un couscoussier - 750 g de couscous moyen - de la viande d’agneau - 2 gros oignons - des pommes de terre - des carottes - des pois chiche préalablement trempés la veille dans l’eau - des poivrons (ou piments) - 2 c à s de paprika (fil fil ahmer) - poivre - sel - 2 c à s de tomate concentrée - de l’eau - de l’huile
Chez mes parents, nous n’aimons pas trop les légumes avec le couscous. Donc nous n’en mettons pas beaucoup. Je n’indique pas les quantités, chacun en mettra selon ses goûts. Par ailleurs, on peut ajouter d’autres légumes tels les courgettes et le chou vert…
Par rapport à la recette de ma mère, j’ai ajouté un cube Knorr à l’agneau, de l’harissa diari et des raisins secs.
Dans la marmite (partie inférieure du couscoussier), mettre de l’huile, 2 c à s de paprika, du poivre, du sel, les pois chiches préalablement trempés, les oignons émincés et la viande. Faire revenir un peu et ajouter un peu d’eau. Faire bouillir environ 15 mn.
Mettre le couscous dans une jatte. L’humecter d’huile et d’eau. Ajouter du sel et du poivre. Le travailler avec les mains. Ensuite mettre dans la couscoussière (partie supérieure du couscoussier) et mettre à cuire à la vapeur par dessus la sauce.
Rincer les raisins secs et les laisser tremper dans un peu d'eau.
Dans la marmite, ajouter 1,5 c à s de concentré de tomate, de l’harissa, le cube knorr et de l’eau.
A mi-cuisson, remettre le couscous dans la jatte et le mélanger pour l’aérer. Le remettre ensuite dans la couscoussière et poursuivre la cuisson.
Lorsque la viande est presque cuite, ajouter les légumes.
Prélever un peu de sauce, la mettre dans une casserole, y mettre les raisins secs et faire bouillir.
Lorsque le couscous est cuit, le remettre dans la jatte. L'étaler de façon qu'il n'y ai pas de grumeaux.
Goûter la sauce, rectifier l’assaisonnement si nécessaire.
Mettre les légumes et la viande de coté.
Avec une louche recueillir la sauce et la verser délicatement sur le couscous. Mélanger. Refaire cette opération à plusieurs reprises jusqu'à ce que la semoule soit bien imbibée. Il ne faut pas que le couscous soit sec, mais pas non plus trop imbibé. Il faut trouver le juste milieu. Laisser reposer.
En principe, le couscous se sert dans un tebsi. On met la semoule et ensuite on la décore avec les légumes et la viande. Chez mes parents, comme je l'ai dit plus haut, nous n'aimons pas trop les légumes, donc nous servons le couscous dans deux plats différents, l'un pour la semoule et l'autre pour les légumes et viande. C'est peut-être moins joli, mais c'est plus facile pour le service.
Comme j'étais un peu crispée, mon plat n'est pas particulièrement beau. Je ferais mieux la prochaine fois. J'étais quand même tendue cette fois-ci dans l'attente du verdict!!!!
- La première épouse d'un homme est celle qui l'aide à se faire de l'argent.
- La deuxième épouse d'un homme est celle qui commence à dépenser son argent.
- La troisième épouse d'un homme est celle à qui il laisse son argent.
La maman d'un ami nous l'a dit hier. Et d'après ce que je vois en Tunisie autour de moi, elle a bien raison. Les hommes deviennent de plus en plus ****!
Mardi dernier, des amis ont eu une petite fille (1000 Mabrouk!).
Le soir, nous avons rencontré l'heureux père. Bien-sûr, la discussion a porté sur la nouvelle petite princesse. Comment va-t-elle? A qui ressemble-t-elle? Quel est son prénom?
Elyssa.
C'est joli Elyssa comme prénom.
Elyssa, reine fondatrice de Carthage.
Enfants, nous connaissions tous la reine Elyssa, sa beauté et surtout sa légendaire intelligence qui lui a permit d'acheter la colline de Carthage.
Elyssa, prénom qui existe en Tunisie depuis des millénaires. Nous connaissons ou avons tous connu dans notre vie une Elyssa.
La nouvelle petite princesse de notre ami s'appellera donc Elyssa.
Hier, sur facebook, j'apprends que la petite princesse ne s'appellera pas Elyssa. Ainsi l'ont décidé les officiers d'état civils tunisiens!
Le soir, je rencontre le nouveau papa. Mais que s'est-il passé? Qu'est-ce que cette histoire?
Voila ce dont il s'agit.
Le papa est allé déclarer la naissance de sa petite fille à la municipalité. On lui répond que le prénom Elyssa est interdit en Tunisie.
Ah? Depuis quand? Pourquoi?
On lui répond qu'il existe maintenant un petit livret recensant tous les prénoms permis. Par conséquent les prénoms qui ne s'y trouvent pas sont interdits.
Le prénom Elyssa ne figure pas dans le livret et est donc interdit. En Tunisie, on ne peut désormais plus appeler les petites filles Elyssa.
L'explication donné par l'agent est que les prénoms tunisiens doivent dorénavant être arabo-musulmans.
Ah?
Lina est un prénom qui figure dans le livret. Est-il arabo-musulman?
Peut-être. Personnellement, je ne le sais pas. Mais il n'en a pas l'apparence.
Linda est un prénom qui y figure. Est-il arabo-musulman?
Il parait que Linda est le nom d'une fleur en arabe. Peut-être.
Mais Elyssa n'est manifestement pas arabo-musulman.
Qu'il soit le prénom d'une reine "tunisienne" n'a apparemment aucune importance.
Qu'il soit le prénom d'une grande figure historique de notre pays ne compte pas.
Qu'il fasse partie de notre mémoire collective non plus.
Que des centaines de filles tunisiennes ont porté et portent encore ce prénom n'a pas d'importance non plus.
L'essentiel est que ce prénom ne figurant pas dans le livret est désormais interdit.
Le papa décide alors d'aller tenter sa chance dans une autre municipalité.
Mais le scénario est le même . Tous les prénoms qui ne figurent pas dans le livret sont interdits. Point.
La petite fille ne s'appellera pas Elyssa.
Elle s'appelle Yasmine.
Cette histoire m'a choquée. Une nouvelle restriction à nos libertés?
Ce matin, j'ai essayé de connaitre la législation tunisienne en ce qui concerne les prénoms. Je n'ai rien trouvé sur Internet. Peut-être que je n'ai pas su où chercher. Quelqu'un pourrait-il nous éclairer?
S'agit-il d'une loi? Y-a-t-il un texte législatif quelconque? Y-a-t-il une mauvaise application des textes par les agents?
Qu'est donc ce livret?
Un livret pourrait-il recenser tous les prénoms permis?
C'est inconcevable. Comment un tel livret pourrait-il être complet? Celui ou ceux qui l'ont rédigés ne peuvent en aucun cas connaitre tous les prénoms "permis". Il pourrait y avoir des oublis, des omissions...
Est-ce une volonté politique de limiter le choix des prénoms?
Peut-être que le livret a été donné aux agents à titre d'exemple des prénoms permis et que la mauvaise utilisation par eux a rendu cette liste limitative et non plus simplement indicative?
Beaucoup de questions. Qui pourrait nous répondre?
Si la liste des prénoms permis en Tunisie est fixée dans un livret, comment ces prénoms vont-ils évoluer? Qu'en sera-t-il des mouvements de mode, des changements des mentalités...?
Les prénoms en Tunisie sont-ils condamnés à être figés?
Les prénoms non listés dans ce livrets sont-ils condamnés à disparaitre?
Les prénoms à consonance historiques, tels Hannibal ou Elyssa sont donc condamnés à l'oubli.
Dites, est-ce que le prénom Iskander est arabo-musulman? Ou bien fait-il référence à un personnage historique non musulman?
Le prénom Sarra ou Sarah est-il arabo-musulman? Ne renvoi-t-il pas à la femme d'Abraham, mère d'Isaac?
- Vous avez une autorisation de quitter le territoire pour les enfants?
- Oui. Voici celle de mon neveu.
- Et celle de votre fille?
- La voilà aussi. Mais ce n’est pas normal, c’est quand même ma fille. N’ai-je donc pas le droit d’emmener ma fille en voyage avec moi?
- Vous les femmes, vous voulez tous vos droits, subissez alors les obligations.
- Justement, emmener ma fille avec moi en voyage n’est pas une obligation, c’est un droit.
- Non, c’est une obligation.
A priori, cet agent ne connaît pas la différence entre droits et obligations. Je n’ai pas discuté avec lui, après tout, cela ne m’aurait avancé à rien.
- Je trouve normal qu’on vous demande une telle autorisation.
- Pas moi. Cela peut se concevoir pour une mère étrangère car elle pourrait s’enfuir avec ses enfants, mais pourquoi pour une mère tunisienne?
- Beaucoup le font. Nombreuses sont les femmes tunisiennes qui fuient avec leurs enfants.
- N’y a-t-il pas de pères tunisiens qui fuient avec leurs enfants?
- Si, il y en a.
- Alors pourquoi leur permettez-vous de partir avec des enfants en laissant des mères éplorées en Tunisie?
- Parce que ce sont des hommes et qu’ils ont le droit d’emmener leurs enfants.
Mes papiers étaient en règles, j’avais les autorisations nécessaires et j’ai pu emmener les enfants.
Mais cette conversation avec cet agent m’a mise en colère.
On parle d’égalité entre hommes et femmes en Tunisie. Où est-elle?
De quel droit un homme peut-il emmener ses enfants hors du territoire tunisien, alors qu’une femme tunisienne ne peut pas le faire?
Pourquoi accepte-t-on que des enfants soient emmenés, parfois même définitivement, hors du territoire tunisien par leur père alors que l’on n’accepte pas qu’une femme le fasse?
Quoi que l’on dise, notre société reste quand même misogyne.
Je trouve qu’il serait plus juste de demander à tout parent sortant seul du territoire tunisien de fournir une autorisation de l’autre parent. De cette façon, on protègerait toutes les parties: les deux parents et les enfants. De cette façon, personne ne pourrait s’enfuir avec les enfants et en priver l’autre.
Cette discrimination actuelle entre le père et la mère est insupportable.
A chaque fois que j’ai voyagé avec les enfants et qu’on m’a réclamé cette autorisation, je me suis sentie diminuée. On ne me reconnaît pas à moi, mère des enfants, le droit de les emmener, alors qu’on accorde ce droit au père.
Depuis le début de la séance unique, je ne sais pourquoi je suis
attirée par La
Goulette. J'y suis allée plusieurs soirées en voiture. Je fais un
ou deux allers retours. Je regarde les gens: ils se promènent, ils
mangent, ils discutent, ils prennent un café... Et j'ai envie d'être
parmi eux.
Drôle d'envie?
Peut-être, mais elle est bien là.
La Goulette m'appelle ces derniers temps.
Lorsque nous étions
gosses, je me rappelle que notre GRANDE sortie d'été était la banlieue
nord. Nous mettions de beaux vêtements (bien-sûr, tout est relatif,
parce qu'aujourd'hui en regardant nos anciennes photos, nos vêtements
étaient loin d'être beaux!). C'étaient les années 1970, pantalons pattes
d'eph, robes imprimées... Une année, Papa nous avait acheté des petits
sacs à main d'Italie. Nous prenions donc ces sacs (quelle élégance!).
C'est très simple, maman refuse complètement que nous montrions les
photos de cette époque à nos amis.
Et direction banlieue nord.
La promenade
commençait par la Goulette. Papa garait la voiture, et nous partions à
pieds. Nous faisions toute l'avenue Franklin Roossvelt. Il nous achetait
des chips...
Ensuite direction Sidi Bou Said, bambalouni et thé
aux pignons.
Et puis La Marsa. Chez Salem pour la glace. Pour moi,
c'était toujours noisettes/chocolat ou fraise/chocolat.
Et enfin,
ijmal idour. Vous avez compris, il s'agit de Saf
Saf et de sa noria. Lorsque j'étais enfant, je l'appelais ijmal
idour (le chameau qui tourne). Et là, parfois un petit spectacle. Et la
queue pour acheter les bricks à l'œuf, les fricassés et les chips.
Nous
dinions, et ensuite retour à la maison.
Je ne sais pas pourquoi, cet
été, j'ai envie de revivre ces moments. Nostalgie?
Je ne sais
pas, mais j'ai envie de la Goulette. J'ai envie de son bain de foule.
J'ai envie de ses cafés. J'ai envie de ses restaurants....
Connaissez-vous la définition
du postmodernisme ou de la postmodernité? J’ignorais le terme jusqu’à
ce qu’atterrit sur mon bureau l’étude de Hassen Zargouni publiée
vendredi dernier dans nos colonnes. De cette étude, on apprend que
le Tunisien lambda, qui se dit et se croit le plus moderne et le plus
intelligent de toute la planète, est encore loin de ce que M. Zargouni
appelle postmodernité. Et c’est quoi la postmodernité ? Le patron
de Sigma l’a très bien expliqué dans son article. Mais M. Zargouni a la
fâcheuse habitude d’utiliser des termes savants visant une caste bien
déterminée de la société. Or, il me semble que le terme et le
concept se doivent d’être vulgarisés, généralisés, médiatisés et
pénétrer les articles des tabloïds populaires et populeux. Si je devais (et je me dois) d’expliquer la postmodernité à ma fille, voilà ce que je dirai.
C’est considérer le tabac comme nocif et voir les fumeurs comme des gens sales et rétrogrades. C’est
considérer le code de la route comme un texte sacré et voir ceux qui ne
le respectent pas comme des gens idiots et arriérés. C’est
considérer la terre et l’environnement comme un héritage de nos parents
qu’on doit transmettre intact à nos enfants et voir les pollueurs comme
des gens égoïstes et primitifs. C’est considérer la création
(qu’elle soit artistique, entrepreneuriale, scientifique ou autre)
comme un objectif de tout individu et voir les passifs et simples
spectateurs/consommateurs comme des gens sots et retardés mentaux.
Sauf
que voilà, tout ce que je venais de dire là ressemble plutôt à un
langage de martien qu’à celui de quelqu’un qui vit sur terre et
particulièrement en Tunisie. Chez nous, les priorités c’est la
famille, la religion et l’argent. La famille nous donne l’impression
d’avoir rempli son devoir sur terre en pérennisant l’espèce. La religion rassure ici-bas et assure la vie de l’au-delà. L’argent
garantit le confort et, surtout, le paraitre : on est meilleurs que les
voisins. Mais comme on est toujours le riche de quelques uns et le
pauvre de beaucoup d’autres, l’argent on n’en a jamais assez. Du coup, et au vu de ces priorités, voilà comment le Tunisien explique (sans l’avouer) la postmodernité à ses rejetons.
Le tabac? Je fume, mais tu ne dois pas fumer. Et pourquoi fumes-tu papa ? Parce que c’est une affirmation du soi! Le
code de la route? Tant qu’il n’y a pas de flic ou de radar
automatique, les panneaux et les feux sont valables pour les autres et
érigés pour l’esthétique urbaine. La terre? Après moi le déluge. L’environnement? Il faut bien que les éboueurs travaillent! La pollution sonore? Il faut bien qu’on fête à coups de klaxons et de baffles nos mariages, réussites et victoires! Le sport? On en fait assez au lit. La création? On ne va pas concurrencer le bon dieu, seul créateur sur terre! L’objectif sur terre? La maison, cercueil de la vie. L’objectif dans la vie? Satisfaire le bon Dieu pour garantir la belle vie après le cercueil!
«Cette introspection serait féconde pour identifier le socle de nos
valeurs, savoir d’où on vient et où on voudrait aller», a conclu
Zargouni avec ses termes savants. Interrogations étranges puisque le Tunisien a déjà les réponses. Ses réponses! Qui, forcément, sont les VRAIES réponses.
Quant à Zargouni and co, ils n’ont absolument rien compris à la vie! Postmodernisme, disent-ils. Pfffff!
Comme vous le savez, j'ai fais partie ces derniers mois d'un atelier d'écriture dirigé par M.Ali Bécheur.
Eh oui, j'aimerais devenir un jour écrivain. Et qui sait, peut-être le deviendrais-je?!
En attendant, je publie aujourd'hui ma première nouvelle. J'attends vos remarques. Peut-être que je vous dirais par la suite quelles ont été celles de M.Ali Bécheur.
Enjoy!
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JE NE SUIS PAS DE PIERRE
Mon voisin est en train de mourir. La mort. La fin. La destruction. L'anéantissement. L'oubli. Faire de la place. Se faire remplacer par les nouveaux. Mon voisin est en train de mourir. Boum. Boum. Boum. J’entends le bruit de la destruction. J’entends ce bruit lourd. J’entends ce bruit sadique. J’entends ce bruit de torture. Boum. Boum. Boum. J’entends son cœur qui bat de plus en plus faiblement. Je l’entends crier au secours. Je le sens. Je sais qu’il souffre. Il souffre parce qu’il se voit mutilé, spolié, massacré. Je ne suis pas de pierre, j’ai un cœur. Je sens donc sa souffrance. Je sens son angoisse. J’en tremble pour lui. J’en tremble pour moi. Serait-ce mon tour prochainement? La mort, est-elle notre destin? Pourtant, nous pourrions être immortels. Il suffit de soins, d'amour et d'entretien, et nous pourrions être centenaires, millénaires et même éternels. Nous le pourrions. Mais le permettraient-ils? Ils pourraient s'ils nous aimaient. Mais nous aiment-ils? Font-ils attention à nous? Nous respectent-ils? Comment donc nous voient-ils? Je ne saurais répondre à de telles questions. Je pense que cela dépend des gens. Certains sont plus sensibles que d'autres. Certains nous respectent plus que d'autres. Certains nous ont compris. Ils ont compris notre valeur. Ils ont compris notre âme. Ils ont compris notre mémoire. Notre mémoire qui enregistre. Notre mémoire qui préserve. Notre mémoire qui témoigne surtout. D'autres pas. D'autres n'ont rien compris. D’autres sont imperméables à tout cela, à toutes ces sensations, à toutes ces émotions. Ils sont de pierre. Ils n’ont pas de cœur. Si mon voisin est en train de mourir, cela veut dire qu'on ne l'aime plus. Ou du moins qu'on pense qu'il ne sert plus, qu’il est facilement remplaçable. Pire, on pense que son successeur sera encore meilleur que lui, plus utile, plus rentable, plus beau. Et on ne prête aucune attention à son âme. Son âme. Sa souffrance. Ses souvenirs. Dommage. Avec lui, avec tous ceux qui disparaissent, disparaît tout un pan de notre mémoire, de notre histoire, de notre identité, de notre pays. Notre pays. En ce qui me concerne, j'ai eu de la chance. J'appartiens à deux pays. Ce qui est une richesse. Moi, je le considère comme tel. D’autres par contre trouvent que c’est une tare. Pour eux, lorsque l’on n’est pas à 100% d’un même pays, on est un «bâtard» et donc pas digne d’intérêt, et parfois même méprisable. Ce n’est pas vrai. Lorsque l’on est binational, on est encore plus riche. On a une double histoire, une double mémoire, une double identité. Je suis né ici, en Tunisie. Mais mon créateur vient d'un autre pays. Quelle était son histoire? Quelle était sa formation? Pourquoi était-il venu en Tunisie? Comment? Quand? Des questions auxquelles je ne saurais répondre. Mais je connais son nom: Claude Chandioux Que m'apprend son nom? Pas grand chose en fait. Juste qu'il était français. Il venait de l'autre coté de la Méditerranée. Et avec lui, il avait amené sa culture et son savoir-faire. Avec lui et ses semblables, des usages et des coutumes avaient fait la traversée. Des tenues vestimentaires différentes. Des cuisines différentes. Des goûts différents. Une sensibilité artistique différente. Et tout cela a contribué à nous enrichir, nous tunisiens. Je l’affirme et j‘en suis convaincu, le patrimoine culturel tunisien est aujourd’hui riche de tous ces apports étrangers qui se sont succédés sur son sol depuis des millénaires. Cet homme n’était pas le seul à être venu, la Tunisie était sous protectorat français à cette époque-là, et beaucoup de français y habitaient. Et puis, en cette fin du XIXème siècle, la Tunisie était aussi une terre d’immigration pour un grand nombre d’européens. Ils arrivaient de Sicile, de Malte, de France, de Russie… Ils pensaient pouvoir y trouver une vie meilleure. Et pendant un certain temps, ils l’avaient sûrement trouvée. Imaginez tous ces gens qui avaient fui leurs pays, leurs terres, chassés par la famine, la pauvreté, la révolution… et qui avaient trouvé en Tunisie une terre d’accueil clémente. Quel bonheur pour eux cela a dû être! J’ai eu envie d’en savoir un peu plus sur mon père, sur son parcours, sur ses pensées, sur sa façon de vivre. Son histoire est aussi la mienne, il ne faut pas l’oublier. Quel âge avait-il lors de son arrivée en Tunisie? Y était-il resté toute sa vie? Qu’y avait-il accompli? J’ai eu beau chercher, poser des questions ici et là, essayer de me souvenir, regarder dans les divers registres et livres. Rien. Le seul renseignement que j’ai pu trouver est qu’un certain Claude Chandioux s’était marié en 1907 à la Cathédrale de Tunis. Était-ce lui? Je ne sais pas. Peut-être. Peut-être bien que c’était lui, et que ce jour-là avait été le plus beau de sa vie. Comment était-il? Je ne sais pas non plus. Mais j’ai envie de l’imaginer grand, portant un beau costume gris. Un costume à l’Européenne. Un costume fait sur mesure et dont le tissu serait arrivé tout droit de Paris. Et puis, il portait sûrement un chapeau. Sur les anciennes photos de cette époque-là, tous les Européens portaient des chapeaux. Sa jeune épouse devait être bien timide. Elle devait se tenir à ses cotés, dans une jolie robe blanche en dentelle de Calais, le visage couvert d’un long voile blanc. Était-elle française elle aussi? Oui, fort probablement. Mon créateur n’avait apparemment pas marqué son temps puisque ni les manuels d’histoire, ni les journaux de l’époque ne parlent de lui. Mais il avait gravé son nom en moi d'une façon indélébile. Il l'avait gravé dans ma chair, tel un tatouage permanent. Il est en moi pour toujours. Du moins, tant que je vivrais. Je suis une partie de lui qui lui a survécu. Je suis le fruit de son esprit. Je suis sorti tout droit de son imagination. En avait-il crée d’autres que moi? Je ne sais pas vraiment. Je sais qu’il y en a au moins un. Il se trouve à Sfax. Y-en-t-il d’autres? Probablement. Mais je n’en ai pas entendu parler. Mon frère de Sfax est né en 1923. Je le sais parce qu’il est célèbre. Sa date de naissance n’a pas été emportée par l’oubli. Au fil des années, il a été photographié, visité, occupé... Il est même entré dans l’Histoire, bien que par la petite porte. En effet, il a été le siège du commandement italien durant l’occupation de Sfax en 1942-1943. Je sais, ce n’est pas très glorieux, mais cela lui a au moins permis d’échapper à la souffrance de l’indifférence, et peut-être même à la destruction totale. Quant à moi, quel est mon âge? Je ne le sais pas avec certitude. Je pense que j'existe depuis les années 1910. Pourquoi ai-je été crée? Je ne sais pas. Comme toutes les créations, je suis né sans avoir rien demandé, sans savoir pourquoi. Je ne me souviens pas de mon enfance. Mais je suis sur d’une chose: dès ma conception, j’avais vocation à servir une collectivité. Cela est évident. Tout en moi le prouve. Mais quel genre de collectivité? Je ne sais pas. Une collectivité religieuse? Peut-être bien! J’appartenais en effet à l’église catholique. Non pas qu’il y ait des signes particuliers en moi qui prouvent cette appartenance. Pas du tout. Aucune croix nulle part, aucune représentation d’un saint quelconque. Non rien. Mais je le sais. Au cours de mes recherches, j’ai trouvé une liste des biens de l’église dans laquelle je figure. Cette liste est annexée à l’accord, connu sous le nom de modus vivendi, qui avait été conclu le 09 juillet 1964 entre le Vatican et la République Tunisienne. A part cela, je dois me fonder sur ma mémoire. Aussi loin que je me souvienne, j’ai été au service des enfants. J’ai été un éducateur. Et je le suis encore. Bien que mon frère soit bien plus connu que moi, je pense que mon rôle dans la vie a été plus important que le sien. Plus noble. Plus utile à notre pays. J'ai eu plus de chance que lui, parce que moi, j'accompagnerais toujours les souvenirs de petits enfants à qui j'ai apporté du bonheur et diverses connaissances j'espère! Mon frère a été inauguré en grande pompe, mais j’ai formé des générations entières. De grandes personnalités lui ont rendu visite, mais de grandes personnalités ont été formées chez moi. Des touristes, des visiteurs illustres, des hommes politiques l’ont connu, mais moi, je resterais toujours au fond du cœur de milliers d’enfants. J’ai donc eu plus de chance que lui. Je me rappelle les enfants, leurs cris, leurs jeux, leur joie de vivre. Je me rappelle leurs sourires innocents. Je me rappelle leurs rires allègres. Je me rappelle les jours des rentrées scolaires pour les tous petits, lorsqu’ils arrivaient le cœur serré et triste. Pour la plupart d’entre eux, c’était la première fois qu’ils quittaient leur maman pour de si longues heures de séparation. On voyait l’angoisse sur leurs visages. Mais aussi la fierté. Ils devenaient grands et allaient à l’école! Je me rappelle. Au début, seuls les petits garçons avaient le droit de venir étudier. Ils arrivaient en traînant leurs livres ou leurs cartables, portant tous une blouse par dessus leurs vêtements. Plus tard, les filles se sont jointes aux garçons. Il fallait qu’elles s’instruisent elles-aussi. De plus en plus nombreuses. Mignonnes comme des cœurs dans leur jolie petite robe et leur tablier. Je me rappelle des enfants jouant avec mes poissons rouges et mes petites tortues. Ils se mettaient tout autour de mon bassin. Ils regardaient les poissons et les tortues et essayaient de les attraper. Ils riaient aux éclats lorsque les poissons leurs glissaient entre les doigts. Ils jouaient avec mes chiens aussi. Ou plutôt, ils avaient envie de jouer avec mes chiens, mais devaient se contenter de les regarder de loin parce qu’ils en avaient peur. Mes chiens étaient plutôt gros et impressionnants. Des chiens de garde qui aboyaient au moindre bruit suspect mais qui n’avaient jamais fait aucun mal aux enfants. Ah les enfants! Ces adorables petits écoliers! Dès que retentissait le gong, ils se mettaient tous en rang, deux par deux, et entraient sagement dans leurs classes. Ces enfants-là avaient eu une chance inouïe. Pas les toutes premières promotions, composées presque exclusivement de petits enfants européens, mais celles qui ont suivi, celles qui comprenaient des enfants européens et tunisiens, donc des enfants de diverses nationalités et religions. A leur époque, on leur apprenait la tolérance et l’égalité entre les êtres humains. Ils avaient bénéficié d’une double culture. Une culture française et une culture tunisienne. Une double culture fondée sur la compréhension et le respect de l’autre. Ces enfants apprenaient simultanément l’alphabet latin et l’alphabet arabe. Ils étudiaient les auteurs arabes et les auteurs européens. Ils apprenaient aussi bien Mohamed que Moïse ou Jésus. Ils découvraient le Coran, la Thora et la Bible. Plusieurs générations d'enfants se sont succédées chez moi. Quelle émotion lorsqu’un jour, j'ai entendu une maman raconter à sa petite fille ses souvenirs. J’aurais pu pleurer si j’en avais eu les moyens. Elle lui disait:«Tu vois, là, c’était ma classe. Là, c’était le bureau de la directrice, lorsque j’avais un peu grandi, une fois par trimestre, mon papa me donnait un chèque et je venais payer la scolarité toute seule, comme une grande personne, mais j‘étais toujours très intimidée de me retrouver en cet endroit et de voir la directrice. La cuisine se trouvait là, et un jour, avec mes camarades de classe, on nous avait appris à faire du pain, et nous l’avions fait cuire dans un grand four qui se trouvait justement dans cette cuisine. Le bassin que tu vois encore là, était plein de poissons. Tu vois la-bas, il y avait un gong bol. Ce gong nous impressionnait tous, mes camarades et moi. Nous nous en approchions parfois pour l’observer et découvrir son mystère. Nous n’en avions jamais vu un similaire auparavant. Il s’agissait d’un gong bol. Il s’appelle ainsi à cause de sa forme qui rappelle un grand bol. Il était posé à terre, pas loin du chenil où se trouvaient les chiens. Six fois par jour, il annonçait le début et la fin des cours et surtout la récréation, notre moment préféré. Parfois, nous guettions la bonne sœur qui devait frapper le gong. Elle arrivait munie de son lourd bâton qu’elle soulevait et abattait sur le gong. Trois coups. Bong bong bong. Un son lourd et puissant. Un son que je n’oublierais jamais. Il donnait l’impression de se répercuter en nous, de pénétrer notre corps. C’était particulier comme sensation. Dommage que ce gong ait été remplacé par une sonnerie, j’aurais aimé que tu le connaisses toi aussi et ressentes cette sensation. Tu vois là? C’était l’infirmerie. J’en garde un drôle de souvenir. C’était là que nous passions les visites médicales et que nous étions vaccinés, mais le souvenir que j’en garde est très particulier. Un jour, je n’avais pas voulu terminer mon déjeuner. Ma maman nous avait préparé un plat que je n’avais pas du tout aimé. C’était une tbikha de fèves. C’était la première fois qu’elle nous cuisinait ce plat. Je n’avais pas pu le manger. Papi avait voulu me forcer, mais impossible d’avaler la moindre bouchée. Alors j’avais eu droit à une fessée. L’après-midi, en classe, je sanglotais encore et encore. La maîtresse avait été obligée de m’envoyer à l’infirmerie où j’avais continué à pleurer et à sangloter jusqu’à ce que ma maman, prévenue, soit venue me chercher. Depuis, Papi ne m’a plus jamais obligée à manger ce que je n’aimais pas. A propos de déjeuner, là, il y avait le réfectoire. Je n’y ai jamais mangé parce que j’étais externe, mais je voyais les enfants qui étaient demi-pensionnaires y prendre leur déjeuner, et je les enviais. J’aurais voulu rester un jour moi aussi et prendre mon déjeuner avec mes camarades. Moi aussi ma maman m’accompagnait ici, comme je t’accompagne moi-même aujourd’hui…. ». Quelque part, je me suis senti grand-parent. J'accueillais en mon sein les enfants de mes enfants. Comme tous les parents et grand-parents, lorsque j’apprends que j’ai changé ou influencé la vie de mes chéris, je me sens fier. Très fier même. Un jour, j’ai entendu une maman raconter à son enfant une histoire assez étonnante. Elle lui disait qu’à l’époque où elle venait ici, la plupart de ses camarades étaient issus de couples mixtes et que très souvent leur maman était française. Ces enfants-là parlaient donc couramment le français, contrairement aux quelques enfants tunisiens qui parlaient en arabe chez eux et n’utilisaient le français qu’en classe. Cette maman, tunisienne de père et de mère, avait donc des difficultés pour parler le français aussi aisément que ses petits camarades. Un jour, sa maîtresse avait recommandé à sa mère de lui acheter des livres de bibliothèque et de l’encourager à beaucoup lire pour combler ses lacunes. Une passion était née ce jour-là. Cette petite fille était tombée amoureuse de la lecture. Elle avait amélioré son français et même, plus tard, étudiante en France, elle avait été complimentée par ses professeurs pour son français parfait, meilleur que celui des français eux-même! Parfois, je me demande ce que sont devenus mes autres enfants? Des ministres? Des pilotes? Des hommes d’affaires? Des restaurateurs? Des architectes comme mon créateur? Sont-ils devenus célèbres? Ont-ils profité de mes enseignements? Je pense souvent à eux. J’ai envie qu’ils viennent me rendre visite. J’aimerais avoir de leurs nouvelles. Je sais, j’ai des réactions de vieux parents. J’en suis conscient. Mais ils me manquent tellement. Il y a environ deux mois, j’ai revu une de mes anciennes élèves. Elle est devenue une femme maintenant. Mais je me rappelle d’elle. Elle était très grande par rapport à ses camarades, et elle est toujours très grande. Et puis, elle était restée chez moi six années, et même après qu’elle soit partie faire ses études secondaires au lycée, je la voyais de temps en temps, elle habitait le quartier, et ses petits frères et sœurs venaient encore chez moi. Ce jour-là, je l’ai vu arriver. Elle avait garé sa voiture, en était descendue, s’était approchée de moi et m’avait regardé. Ensuite, elle avait ouvert son sac à main, en avait sortit un appareil photo et m’avait photographié. Oui, elle m’avait photographié. Elle avait pris des photos, une multitude de photos. Des photos de ma façade, des photos de mes fenêtres, des photos du fer forgé, de la porte d’entré…. Des photos encore et encore, la moindre moulure, le moindre détail. Elle avait photographié le nom de mon père.… Et tout d’un coup, je l’ai vu sursauter. Elle avait entendu le bruit. Le bruit de destruction. Elle était allée voir. Et elle avait vu. Elle avait vu mon voisin se faire tuer. Elle m’avait paru bouleversée par cette destruction. Elle regardait mon voisin et me regardait. Ensuite, elle s’était mise à observer tous mes voisins. Que cherchait-elle? A quoi pensait-elle? Elle paraissait en colère. Et triste. Et déçue. En colère contre ceux qui nous manquaient de respect. Triste pour nous. Déçue par le comportement de certains. Toutes ses émotions que j’avais vues sur son visage, je les avais ressenties avec elle. Je l’avais comprise. J’avais compris cette femme. N’était-elle pas ma fille, mon enfant? N’est-ce pas moi qui lui avait appris le respect des autres, de la mémoire, de l‘Histoire? Oui, j’ai compris ce qu’elle ressentait. J’ai un cœur, vous savez? J’ai des sentiments. J’ai des souvenirs. J’ai plein de souvenirs. Je me rappelle mon quartier. Je me rappelle autrefois. Je me rappelle comment ce quartier était il y a bien longtemps. Je me rappelle lorsque nous n’étions encore que quelques-uns uns à y habiter. Pendant des décennies j’ai résidé à Mutuelleville sans même savoir pourquoi ce quartier s’appelle ainsi. Et puis, récemment je l’ai appris. A l’origine, Mutuelleville était une petite colline couverte d’olivettes et s’appelait «Kirch il ghaba», le ventre de la forêt. C’est joli comme nom, non? Et puis, vers les années 1900, cette campagne a commencé à être peuplée. En si ce quartier s’appelle ainsi, c’est parce que ses premiers habitants étaient les adhérents d'une mutuelle: l'Assistance Mutuelle Tunisienne. Et le nom est resté. C’est joli. Et puis, on y ressent comme une déclaration de fraternité. A l’époque, il n’y avait encore que quelques rares maisons. Des petites maisonnettes en réalité. Les mutualistes n’étaient pas très aisés et ne pouvaient se permettre de construire de grandes maisons. Mais ces petites habitations avaient, comme moi, une identité, donc une personnalité et une âme. Elles avaient des noms: Villa Les Géraniums, Villa Robert, Villa Shangrilha, Villa Minouche, Villa Padou, Villa Bel Azur… Aujourd’hui, les maisons portent des numéros. N°1, N°3, N°5... Ce qui les rend impersonnelles. Et si on continue ainsi, un jour, les nouvelles maisons porteront peut-être un code à barres! Bientôt, les humains seront répertoriés grâce à un code à barre, alors pourquoi pas les bâtisses? Bien que construites assez éloignées les unes des autres, je ressentais une certaine chaleur entre ces maisons. C’était comme si elles communiquaient entre elles, et bien-sûr avec moi aussi. Nous nous racontions des petites histoires, nous nous partagions nos impressions. Nous murmurions, nous gloussions de rire parfois. Nos mots volaient d’un arbre à l’autre, d’une branche à l’autre, créant une liaison entre nous. Notre arbre préféré était le bougainvilliers. Ses branches collées aux murs étaient le meilleur pourvoyeur de nos dialogues. Et puis, les matériaux utilisés à l’époque, comme le bois et les tuiles, dégageaient une telle chaleur qu’ils ne pouvaient que favoriser ces échanges. Ce n’est pas comme de nos jours où le marbre et le verre glacials ne donnent que des frissons. A l’époque, Mutuelleville était très fleurie. Il y avait plusieurs plantations de fleurs et même des potagers. D’ailleurs, dans les années 1920, la Société d’Horticulture de Tunisie, à l’issue de ses conférences théoriques, amenait ses auditeurs à Mutuelleville afin de mettre en pratique son enseignement. En ce temps-là, les Européens avaient l’habitude de venir à Mutuelleville pour respirer un peu d’air pur, loin de la ville et de ses bruits. Ils venaient les dimanches et les jours de fêtes. Ils amenaient leurs enfants, leurs amis, leurs parents. Ils venaient s’y reposer et oublier un peu la monotonie des fatigues quotidiennes. Dès le matin, je les voyais arriver. J’entendais de loin le bruit des calèches, les roues peinant sur la route, les chevaux qui trottaient… Plus tard, j’ai aussi été témoin de l’apparition des premières automobiles. Les premières Renault, les premières Peugeot… Mais quels bruits elles causaient avec leurs pétarades! C’était assourdissant! De là où je me trouvais, je pouvais admirer les jolies dames, protégées du soleil par des ombrelles en dentelles et des chapeaux énormes. Elles portaient de belles robes longues, des bijoux divers, des colliers de perles, des broches ou des camées en pendentifs, des rubans de satin, des sacs à main. Leurs cheveux étaient bien coiffés en chignons ou en mise-en-pli et étaient souvent ornés d’épingles nacrées. A leurs pieds, des souliers ou des bottines à hauts talons suivant la mode de ce début de siècle. Pendant des journées entières ces familles profitaient d’un moment de détente bien mérité. Enfants et parents pouvaient se relaxer, jouer ensemble, pique-niquer, courir, se reposer à l’ombre d’un arbre, flâner ... J’adorais cette ambiance de fête champêtre, mais ce que j’aimais le plus, c’était la petite animation culturelle ou artistique qui ne manquait pas d’être organisée. Il m’était arrivé de voir des danseurs, d’écouter des chanteurs, de voir passer une fanfare… Un jour, j’ai même eu le privilège d’assister au spectacle de M.Ferdinand Huard en train de déclamer l’un de ses poèmes. Quel moment merveilleux! Quelle émotion surtout, il ne faut pas oublier qu’il avait été le fondateur de mon quartier puisqu’il était justement le père de la mutualité en Tunisie! A ma grande fierté, cet événement avait été relaté dans la revue «La Tunisie illustrée». Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’un article était consacré à mon cher quartier dans cette revue. M.Ferdinand Huard, ce poète amoureux de Mutuelleville avait d’ailleurs décidé d’y prendre sa retraite et d’y passer ses derniers jours.
Au fil du temps, j’ai du subir plusieurs transformations. On m’avait tout d’abord agrandi. Les besoins s’en étaient fait sentir du fait que de plus en plus de filles avaient intégré l’école, et aussi que les Tunisiens avaient aussi fait un grand effort de scolarisation de leurs propres enfants. On m’avait alors ajouté de nouveaux bâtiments, mais construits dans un style complètement différent du mien. Claude Chandioux m’avait conçu selon le style architectural à la mode à cette époque-là: l’Art Nouveau. Ce mouvement artistique de la fin du XIXème et du début du XXème siècle s’appuyait sur l’esthétique des lignes courbes, en s’inspirant des arbres, des fleurs, des insectes et des animaux. Les nouveaux bâtiments par contre, étaient carrés et sans aucune ornementation. On voyait donc la différence. Mes fenêtres hautes et ma porte d’entrée étaient toutes en courbes et décorées de guirlandes de fleurs. Conformément à la mode de l’époque, j’étais pourvu d’une porte d’entrée en verre et fer forgé. Tel une couronne, un bel auvent, lui aussi en fer forgé et verre, était posé dessus. Un beau travail de ferronnerie! Surplombant le tout, une baie permettait l’éclairage naturel du hall du premier étage, et donnait à l’ensemble un bel aspect harmonieux. Je sais, je n’ai pas la prétention de me croire aussi beau que le Casino Municipal de Tunis construit lui-aussi dans le style Art Nouveau et à la même époque. Non bien-sûr je n‘ai pas cette prétention. Mais, mais j’étais beau. Et je suis toujours beau!
Les années ont passé, et un siècle plus tard, je suis toujours là. Fidèle au poste comme on dit. Mais je ne suis plus pareil, ni physiquement, ni moralement. Mes bâtiments ont été «divisés» en deux. Les sœurs catholiques qui me géraient sont parties. La partie moderne de mes bâtiments et mon nom ont été vendus à une dame, qui en a fait ce que l’on appelle aujourd’hui, l’École Privée Chevreul. Quant à moi, c’est-à-dire, l’ancien bâtiment, j’ai été vendu à une association française, qui m’utilise en partie comme école maternelle pour les enfants de ses adhérents, mais aussi comme club de bridge. Je suis donc toujours une école, mais seulement une petite école, et on m’a affublé du nom ridicule de Piou Piou. Piou Piou, on dirait un nom d’oiseau. Moi, qui suit une école, vieille d’environ 100 ans, on m’appelle Piou Piou! Quel outrage! J’ai beaucoup souffert de la perte de mon nom. Comment peut-on vendre un nom? De quel droit peut-on spolier quelqu’un de son nom? Un nom est quand-même une identité, une part intrinsèque de soi, comment peut-on en être dépouillé? Je n’ai jamais pu accepter cela. Mais je suis complètement impuissant. Je souffre, je m’indigne, mais je ne peux rien y faire. Mon frère, lui, a eu plus de chance que moi en ce qui concerne le nom. Bien qu’il ait changé de propriétaire, il s’appelle toujours l’Hôtel des Oliviers. Tout à changé. La façon de vivre, les valeurs, les principes, les priorités… Autour de moi, plus de campagne, plus d’oliviers, presque plus de petites maisonnettes, à part quelques-unes, disséminées dans le quartier et presque ignorées de tous. Elles seront très probablement détruites dans un futur proche. A perte de vue, des murs, et encore des murs. Mutuelleville est devenu un quartier résidentiel. On y a construit des villas. Encore et encore. La moindre parcelle de terre a été construite. Il n’y a que des villas, des résidences d’ambassadeurs, des sièges de grandes compagnies…. A l’image de leurs propriétaires, ces nouvelles maisons sont sans charme, sans personnalité. Plus de convivialité. Plus de communication. Plus d’échanges. Les bougainvilliers sont devenus muets. Ces maisons ont-elles donc des âmes? On ne le croirait pas. Elles sont fonctionnelles, elles sont snobs, elles sont un reflet de la situation sociale de leurs propriétaires. Mais pas plus. Placement. Argent. Rendement. Plus-value. Telles sont les nouveaux critères d’évaluation des constructions. Où est la poésie? Où est le charme? Est-ce pour cela que mon voisin se fait tuer? Est-ce pour cela qu’il se fait détruire? Boum. Boum. Boum. Va-t-on le remplacer par un nouveau bâtiment sans âme et sans personnalité?
Et moi? Quand donc mon tour viendra-t-il? La mort. La fin. La destruction. L'anéantissement. L'oubli. Faire de la place. Se faire remplacer par les nouveaux.
La mort, est-elle notre destin?
En ce qui me concerne, tant que je demeurerai dans la mémoire de mes enfants et tant qu’ils me chériront, je ne mourrais pas vraiment!
P.S.: Pour en savoir un peu plus sur Mutuelleville et voir les photos, aller voir cette note:
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