«Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.»
«La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.»
«La liberté d'expression vaut non seulement pour les «informations» ou «idées» accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels, il n'est pas de «société démocratique». »
Les Tunisiens préoccupés par une fatwa dans une affaire de divorce
27/06/2008
Le mufti à l'origine de la récente fatwa sur le divorce en Tunisie a déclenché une vaste controverse. Pour de nombreux habitants de cet Etat laïc, cette directive religieuse pourrait être perçue comme se substituant au Code civil.
Par Jamel Arfaoui pour Magharebia à Tunis – 27/06/08
Un édit religieux lancé par le grand mufti de Tunisie concernant le divorce a suscité une grande inquiétude chez les Tunisiens, qui craignent de voir remis en cause les progrès réalisés par les femmes au cours des dernières décennies.
Le débat a été lancé après qu'une femme eut demandé conseil auprès du Dar El Iftaa de Tunisie, l'instance des élites religieuses qui prononcent des avis religieux sur des questions publiques et privées et sont directement responsables devant le Ministère des Affaires Religieuses. Dans un message écrit au grand mufti de Tunisie, Kameleddine Jait, cette femme affirmait que son mari lui avait dit à trois reprises : "Tu es divorcée".
Selon l'édition du 7 juin du journal de gauche du Mouvement Ettajdid, Tarik Jadid, le mufti avait répondu à la question de cette femme, "lui disant qu'elle ne pouvait plus vivre comme la femme de son mari [et] devait accepter le divorce". L'article ajoutait : "Le mufti a remis à cette femme un certificat de divorce."
Une telle décision n'aurait entraîné qu'une légère controverse dans de nombreux pays musulmans, où la sharia est appliquée dans les cas de mariage et de divorce.
Mais dans une société laïque comme le Tunisie, il en va tout autrement.
Depuis 1956, le divorce – comme le mariage – est régi par une législation civile, et non religieuse. Aux termes du Code du statut des personnes, le divorce n'est reconnu que lorsque les deux parties comparaissent devant un tribunal pour valider leur séparation et s'entendent sur les mesures, et seulement après l'échec de la tentative de réconciliation entre les deux époux faite par le juge.
Une source officielle du Dar El Iftaa, qui a préféré rester anonyme, a déclaré que cette affaire n'avait rien à voir avec la législation du pays : "La question de cette femme avait trait à une affaire religieuse, et la réponse du mufti a été conforme à la sharia islamique."
Mais certains Tunisiens ont interprété la décision du mufti comme une tentative de contourner le Code civil.
"[Cette décision constitue] une menace pour le progrès en matière civique ; une décision qui ouvrirait la porte à des interprétations religieuses et à des fatwas à un moment où nous devons renforcer le processus de modernisation, imposer le respect de la loi et clairement affirmer l'esprit de celle-ci", écrit le journal Tarik Jadid.
"Le grand mufti de la République n'a aucune autorité auprès des tribunaux, et le Code du statut des personnes est la référence ultime dans les affaires de divorce", a confirmé Maître Kahna Abbas. Elle se déclare préoccupée par le fait que les instances religieuses pourraient, petit à petit, devenir des instances de législation.
Khadija Cherif, présidente de l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates, qui oeuvre à établir la distinction entre religion et Etat et à faire avancer l'égalité entre les sexes, s'est également déclarée étonnée à l'énoncé de cette fatwa.
Pour sa part, Khemais Khayati, membre de l'Association Tunisienne pour la Défense de la Laïcité, a déclaré : "Le grand mufti de la République aurait eu raison si nous vivions dans un Etat régi par la sharia et fondé sur la loyauté à la foi. Mais nous habitons dans un Etat gouverné par la loi, et le mufti n'a aucun droit d'aller à l'encontre des dispositions de la constitution qui protègent le droit des citoyens à défendre leurs droits."
M. Khayati se dit préoccupé par le fait que les citoyens "se précipitent chez le mufti" plutôt que de tenter de résoudre leurs problèmes. "Qui sait ?", demande-t-il, "demain, ils pourraient bien travailler sous la direction d'un Etat religieux."
Mohammed Ali Ennefzi, un jeune homme d'une trentaine d'années, se dit favorable à cette fatwa "parce qu'elle rend la vie plus simple et nous libère de tous les ennuis liés au règlement des litiges et des problèmes du Code du statut des personnes, qui ont fait des hommes en Tunisie les esclaves de leurs femmes".
Manal El Hammi, salariée dans l'industrie pharmaceutique, affirme de manière sarcastique : "Si toutes les femmes mariées demandaient des fatwas sur les promesses de divorce qu'elles entendent chaque semaine de la bouche de leurs maris, nous ne trouverions plus une seule femme tunisienne chez eux!"
J'ai un peu hésité avant d'écrire cette note, mais finalement, je vais l'écrire. Il n'y a aucune raison de ne pas le faire.
Je le fais, pour essayer de montrer à certains que petit à petit notre société change et c'est cela que je trouve effrayant.
Jeudi soir, je suis allée à une outiya. Les deux familles étaient sfaxiennes, pourtant, à les regarder, on aurait dit 2 familles venant de 2 pays différents ou de religions différentes.
La famille de la mariée est très pratiquante, pas la famille du marié. Les gens étaient donc divisés en deux groupes distincts, d'un coté, la famille de la mariée, les femmes étant toutes voilées, et de l'autre coté, la famille du marié, et les femmes n'étant pas voilées.
C'était à la fois très drôle et très triste. Pourquoi cette division?
Nous avons un peu plaisanté à propos de cela, d'autant plus que j'avais raconté l'incident qui avait eu lieu l'après-midi même, et j'avais ainsi taquiné celles qui portaient des bretelles ou des bustiers.
Mais, sincèrement, plaisanteries mises à part, j'ai eu un peu peur de la division de notre société.
J'ai un oncle qui est très très croyant et pratiquant, et cela depuis toujours et pas seulement depuis ces dernières années. Sa famille est aussi très pratiquante, il a élevé ses enfants dans la pratique de la religion. Prières, jeun... L'alcool n'a jamais pénétré sa maison... D'ailleurs, lorsque j'étais étudiante à Paris, il m'avait causé un petit tracas avec mes voisins: il était en visite chez moi, et chaque jour à l'aube, il faisait sa prière et se mettait à réciter du Coran à voix haute, et cela avait dérangé mes voisins qui préféraient plutôt dormir.
Il a fait le pélerinage à la Mecque à plusieurs reprises avec sa femme. Je me rappelle, j'étais adolescente, nous étions à la plage, et mon père taquinait la femme de mon oncle. Elle était hajja, mais se baignait en bikini. Et j'ai adoré la réponse qu'elle avait faite à mon père: "la foi est dans le coeur et non dans le bikini". Je n'ai JAMAIS oublié cette réponse. En effet, je trouve que la foi se porte en soi, dans son propre coeur, et ne se juge pas d'après les apparences ou les tenues vestimentaires.
Il y a environ 3 ans, j'avais demandé à cette tante ce qu'elle pensait de ce mouvement religieux qui prenait de l'ampleur en Tunisie. Encore une fois, j'ai adoré sa réponse.
Elle m'a dit qu'elle n'appréciait pas la vision de ces gens. Pour eux Dieu est contraintes et terreur, alors qu'elle pense que Dieu est amour et compréhension. Et c'est exactement ce que je pense.
D'ailleurs, lors de l'outiya, cette tante portait une jolie robe de soirée. Elle n'était pas voilée et je ne crois pas qu'elle pense l'être un jour.
Ma cousine, fille de cet oncle et cette tante, portait une sorte de fouta et blousa. Lors de nos plaisanteries et discussions, elle se demandait si elle était dans le péché. Personnellement, je ne trouve pas. Elle était décente, et c'est ce qui importe. La fouta et blousa est quand même un costume traditionnel tunisien. Depuis quand serait-il devenu indécent?
Ce que j'ai trouvé le plus drôle et le plus paradoxal ce soir-là, c'est que la mère de la mariée était complètement couverte, on ne voyait que son visage, alors que la mariée portait une robe inspirée de la kiswa tounsi, et donc complètement "nue", c'est à dire très décolletée, le ventre nu...
Tout le week end, tout le monde commentait cette séparation qu'il y a eu lors de la outiya, mais personnellement, cela me fait peur: arriverons-nous à cohabiter dans le respect mutuel?
Cela m'a rappelé un mariage auquel j'avais assisté lorsque j'étais étudiante à Paris. La famille du marié était ashkénaze, alors que la famille de la mariée était séfarade. Ils étaient donc tous juifs, mais se comportaient les uns envers les autres comme s'ils étaient ennemis. J'espère que nous ne serons jamais comme eux, et que nous parviendrons à garder une cohésion nationale.
Un autre incident a eu lieu ce WE. Avant-hier matin, samedi, j'ai du aller présenter mes codoléances à une famille. Je portait une robe noire, arrivant aux genoux, mais sans manches. On voyait donc mes bras. Alors que j'allais partir, une amie s'est penchée vers moi et m'a dit que j'aurais du porter des manches longues. Cela m'a étonnée. En plus, je n'étais pas la seule à avoir les bras nus. Et cette amie est loin d'être religieuse ou pratiquante. Alors pourquoi?
Je ne sais pas. Même ma belle-mère ne m'avait rien dit. Il n'y a aucune règle qui impose que l'on se couvre les bras pour un deuil. Alors pourquoi?
La seule explication que je trouve est que les critères de décence sont entrain d'évoluer.
En rentrant, nous en avons discuté avec mon mari. Il me dit de les envoyer "izamrou", et de ne pas faire attention. Mais quand même, cela devient préoccupant. Et c'est cela qui me fait peur, ce genre de remarques, ces divisions, cette intolérance... Et cela rejoint finalement ma crainte et mon idée, lorsque je dis que le voile porte atteinte à ma liberté. Je sais que beaucoup ne comprennent pas ce que je veux dire, mais c'est cela, exactement cela: les critères changent et cela porte atteinte à la liberté des gens qui ne veulent pas suivre le mouvement.
Hier, j'étais à La Marsa, dans ma voiture. Soudain, j'aperçois un homme qui me criait: "couvre-toi les épaules et les bras!". Il hurlait, en me faisant des gestes pour m'expliquer qu'il fallait me couvrir.
Le plus drôle la-dedans, c'est que mes épaules étaient couvertes. Je portais un T-Shirt sans manches, mais mes épaules étaient complètement couvertes. Seuls mes bras étaient nus.
Voilà! En Tunisie, en 2008, certains considèrent qu'un T-Shirt sans manches est indécent. Comment cet homme aurait réagis si j'étais sortie en bretelles ou en bustier? Il m'aurait frappée?
J'aimerais bien que les défenseurs de la liberté de s'habiller "comme on veux" viennent me défendre. J'aimerais bien que ceux qui disent que l'habit vestimentaire est une liberté, viennent expliquer à ce Monsieur et à ses semblables, que l'on a le droit de s'habiller comme on veut.
Et surtout, j'aimerais bien que l'on me dise si les femmes de ce monsieur (épouse, filles, mère...) sont vraiment libres de s'habiller comme elles veulent.
Voilà la Tunisie de 2008. Qu'en sera-t-il en 2010? Et en 2015? Et en 2020?
Merci les séoudiens, les wahabites, les azhariens.... &Cie!
Update (16h25): Sur le même sujet, Carpe Diem vient de publier une note "Les mouches et la sucette" qui me laisse sans voix.
"Vous avez le droit de garder le silence. Dans le cas contraire, tout ce que vous direz pourra être utilisé contre vous".
Voilà à quoi nous en sommes réduits aujourd'hui.
On n'a plus le droit de parler, de se confier, de faire une plaisanterie, de dire ce que l'on pense... parce que tout ce que l'on pourra dire pourra être retenu contre nous. Y compris sur un Internet, dans ce monde virtuel, qui n'est pas si virtuel que cela. Et non plus devant ceux que l'on pense être sincères, ceux que l'on considère des amis vrais.
J'aimerais vivre sur une île déserte, ou bien réaliser un rêve d'enfance. Lorsque l'on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je disais que je voulais vivre seule dans un endroit avec plein plein de livres. Finalement, les livres sont les seuls amis qui ne peuvent ni décevoir ni trahir.
Par la même occasion, je profite de cette note pour présenter mes excuses à toutes personnes qui auraient pu penser que je voulais leur porter préjudice d'une manière ou d'une autre.
Et je voudrais aussi dire un grand merci à mon amie Daddou et à son mari qui m'ont beaucoup aidée ces derniers temps. Heureusement que des amis comme vous existent. J'espère ne jamais vous décevoir (et que vous ne me décevrez pas non plus!).
Merci aussi à Emma. Je la connais depuis plus d'un an, et elle ne m'a jamais décue. J'espère que cela durera toute la vie.
"Peu d'amitiés subsisteraient si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu'il n'y est pas".
"Si les hommes savaient ce qu'ils disent les uns des autres, il n'y aurait pas quatre amis dans le monde"
Blaise Pascal - Pensées.
Comme cela est vrai!
Certains pensent peut-être que je suis naïve, certains même me le disent et me le reprochent, mais je tombe toujours dans le piège. J'oublie toujours à quel point les gens sont hypocrites, méchants, jaloux, intéressés, kaffèfas... et je me fais avoir comme une idiote. Oui, une vraie idiote.
Mon fils est plus intelligent que moi, il n'a que 14 ans, alors que moi, dans 3 jours, j'aurais 44 ans, et je n'ai toujours rien compris. Il y a 3 jours, il m'en a fait la remarque. Il a vu à quel point j'étais en colère et déçue par la réaction d'une certaine personne, et il s'est presque moqué de moi: "Tu n'as toujours pas compris qu'il ne faut pas faire confiance à tout le monde? Tu n'as toujours pas appris à réagir face aux hypocrites? tu devrais vivre seule alors!"
Il a raison. Mais que faire?
Je retombe toujours dans le même piège: tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. CE N'EST PAS VRAI. Quand donc le comprendrais-je?
Idem pour mon mari, il me reproche aussi de me faire avoir. On n'a que ce que l'on mérite, m'a-t-il dit. Tu fais confiance à tout le monde, et tu tombes dans les pièges. Apprend à te méfier!
Apprendre à se méfier, je suis d'accord. Mais se méfier de tous? Se méfier vraiment de tous? Des amis, des parents, des voisins, des collègues?????
Mais pourquoi donc?
Et comment reconnaitre les vrais amis, les gens sincères?
Je suis tombée par hasard sur cet article concernant le film «Le Destin» de Youssef Chahine. Ceux qui me connaissent bien savent à quel point j’apprécie ce film, d’où d’ailleurs mon pseudo: Massir.
"Ils" ont interdit L'Emigré. Sous prétexte qu'il représentait un prophète. Et Chahine de leur répondre d'un grand coup d'irrévérence, par un film magistral contre l'intégrisme et l'intolérance. Le Destin, situé au 12° siècle en Andalousie arabe, est un tourbillon épique foisonnant d'allusions au temps présent comme à l'Histoire, une révolte contre l'obscurantisme, un bouillonnement où Chahine est au plus fort de son style, alliant souffle hollywoodien (où il a étudié) et grouillement humain de ses sources: l'âge d'or du cinéma populaire égyptien alliant comédies musicales et mélos sociaux.
C'est en jouant ainsi sur la magie du spectacle autant que sur la détermination des idées que Chahine nous propose des pistes pour déjouer les pièges du destin. Comment contrer la progression inlassable de la bêtise et de l'exclusion? Quels outils avoir contre le rouleau compresseur de ceux qui, en s'emparant de la Révélation, mettent de côté la raison? Chahine nous donne trois pistes. Ce sont d'abord la danse, le chant, la fête : ils font resurgir chez Abdallah, endoctriné et possédé par les intégristes, un souffle de vie. Face à l'endoctrinement du corps et de l'esprit, refaire parler les corps sensibles: "Je peux encore chanter" entonne Marwan, le poète-chanteur que l'on a voulu assassiner. Mais sans les femmes, la fête ne suffirait pas. Elles marquent tout le film de leur beauté, leur amour, leur lucidité et leur détermination. Alors qu'elles sont absentes dans le clan intégriste, elles illuminent et rythment l'entourage d'Averroès et lui rappellent que seuls, les intellectuels (ni même les hommes) ne pourront changer le cours des choses. Chahine ne peut que croire en elles, lui pour qui la sensibilité est un art de vivre et de filmer.
La troisième piste est la résistance, bien sûr, mais pas n'importe comment : Averroès, philosophe mis en danger pour défendre la nécessaire interaction de la raison et de la Révélation, est déterminé mais pas jusqu'au-boutiste. Il se résout à démissionner et fuir lorsqu'il comprend avoir perdu la partie. Une façon de rappeler que l'homme ne peut vaincre son destin, tant les déterminismes sont puissants, même avec toute la bonne volonté du monde, ce qui ne va pas sans agacer les Occidentaux qui croient pouvoir en être maître. Fatalisme islamique? Averoes montre justement que la soumission à Allah (inch'Allah, maktoub - c'est écrit) n'implique aucunement de se crisper sur des vérités immuables mais de délier ce qui emprisonne l'homme pour recevoir la nuit de Qadr (la nuit du destin), la descente du Coran dans l'univers, la nuit de l'agrandissement de soi. C'est de s'en sentir dépositaire (amanat) qui donne au philosophe l'intégrité nécessaire à sa détermination. C'est par cette intégrité, définition de sa résistance, qu'il réunit autour de lui ses fidèles et finit par vaincre. Et c'est sans doute cette conscience de la prééminence du destin, cette capacité à le regarder tel qu'il est, qui lui permet de remercier ceux qui brûlent ses livres à la fin du film et, dernier geste d'ironie lancée au sort, d'en lancer lui-même un dans le feu en nous regardant en face.
Chahine s'attarde longuement sur un personnage secondaire, le fils du traducteur français d'Averroès. Son père est brûlé vif sur un bûcher languedocien au début du film: élégante façon de rappeler que l'intégrisme n'est pas seulement un produit de l'islam ("Ceux qui veulent monopoliser Jeanne d'Arc, c'est presque une secte et leur patron est un gourou!" déclarait Chahine à sa conférence de presse cannoise). Pour sauver les écrits du philosophe, il bravera montagnes, froid et torrents déchaînés. Et c'est par chance qu'il arrivera à en sauver un. Mais toute chance se double de malchance : l'eau a rendu le livre illisible. Le destin est ainsi. Belle leçon logistique : se livrer à sa chance ne sert à rien; le destin est rusé! La chance existe mais demande une bonne dose de raison. Plus prévoyant, le prince héritier saura saisir la sienne pour déjouer les pièges et mettre les livres en lieu sûr en Égypte.
Fidèle au thème favori de son cinéma, les relations avec le pouvoir, Chahine rappelle à brûle pourpoint que l'intégrisme ne poursuit qu'une seule chose: monopoliser le pouvoir. Mais avec une fougue jubilatoire qui nous atteint heureusement à la vision de ce grand film, il détache en lettres d'or sur l'autodafé final une maxime à laquelle il nous donne la force de croire: "La pensée a des ailes. Nul ne peut arrêter son envol." Olivier Barlet
Hier soir, Emma et moi sommes allées voir le film «Tendresse du loup», dans le cadre du ciné club de l’AfricArt.
Personnellement, j’ai beaucoup aimé le film. Emma et les copines qui nous accompagnaient aussi.
Il s’agit du 2ème film de Jilani Saadi, avec dans les rôles principaux Mohamed Grayaa et Anissa Daoud.
Anissa Daoud est d’ailleurs l’actrice qui avait joué le rôle féminin du film «Hia w’houwa». Quant à Mohamed Grayaa, j’avais déjà eu l’occasion de faire sa connaissance sur le plateau de tournage du film «Cinecitta», mais c’est la première fois que je le vois à l’écran.
Synopsis:
Une nuit froide, dans l'hiver tunisien. Stoufa, révolté et humilié par son père, rejoint sa bande de copains losers. Ils traînent dans les rues de Tunis, désœuvrés, perdus. Plus tard dans la nuit, ils croisent une jeune escort girl, Saloua. La jeune femme est harcelée par la bande, qui finit par la violer. Stoufa refuse de se joindre à l'acte barbare et essaye en vain d'arrêter ses camarades. Pourtant c'est de lui que Saloua se venge. Blessé et meurtri, Stoufa part à sa recherche...
Pourquoi ce film est-il intéressant?
Tout d’abord parce qu’il nous montre une réalité autre, une réalité que nous, habitants des Manar, Menzah, Mutuellevelle… ne connaissons pas, et peut-être même que nous pouvons la soupçonner sans même jamais l’imaginer. Une réalité complètement autre et ignorée.
On voit ce que peut être la vie de ces jeunes, sans diplômes ni emplois, sans avenir… Désabusés, vivant dans un milieu où règne la loi de la jungle…
En soit, déjà cela est pour moi comme un documentaire. C’est vrai.
En plus de ce documentaire, on ressent des émotions, parce que c’est le coté humain de chaque personnage qui est mis en relief, sans aucun jugement, sans aucune censure, sans complaisance… Seulement l’humain.
Voici certaines critiques que j’ai trouvé sur le net:
«Le film se veut miroir pour conjurer la violence qui gagne une société touchée par la crise. Inégal mais touchant et courageux, il témoigne de la complexité et des ambivalences d'une jeunesse tentée par la dérive.»(Africultures)
«Entre chronique sociale et film noir, du crépuscule à l'aube, Jilani Saadi, dont c'est le deuxième long métrage, nous propose la vision abrupte d'une Tunisie froide et dure, où règnent d'innombrables frustrations, sexuelles et existentielles. Un film âpre qui cède parfois à une certaine complaisance (la scène du viol est, à ce titre, assez dérangeante), mais reste convaincant, grâce à l'énergie de ses interprètes et à une mise en scène tendue, électrisante.» (Télérama)
«Superbe interprétation ,une histoire qui raconte l'exclusion, la violence, la tendresse, des moments bouleversants d'émotions». (Alice)
Après le film, il y a eu un débat avec le réalisateur, son assistant Elyes Zrelli et Med Grayaa, acteur principal. D’après le réalisateur, les spectateurs qui ont vu son film ont soit aimé soit détesté.
Ceux qui ont détesté n’ont pas apprécié l’image véhiculée par ce film à propos de la Tunisie. En fait, je pense que ces gens voient ou veulent montrer la Tunisie carte postale pour touristes. Or, la Tunisie n’est pas que cela. Pourquoi se voiler la face. En Tunisie, n’y a-t-il donc que les plages, le soleil et les gens heureux et souriants? Sûrement pas. Et se voiler la face à mon avis ne changera pas la réalité.
Ces critiques me rappellent les critiques faites à Youssef Khaledpour son film «Hina Il maysara», qui montre lui aussi un visage de l’Égypte différent de l’image idéale que certains veulent montrer.
Le sujet de la censure a aussi été abordé. Comment la commission de la censure a-telle pu laisser passer la scène du viol, et surtout comment a-telle pu laisser passer un film qui ne punit pas pénalement les méchants?
Heureusement, il y avait dans la salle un membre de la commission de censure. Il nous a expliqué qu’il y avait eu un débat au sein de cette commission, et qu’il a été décidé de ne strictement rien couper, censurer, modifier… de ce film. Pourquoi? Parce que d’après lui, ils ont décidé que l’humain devait prévaloir sur la morale.
Ce film est avant tout humain. Personne n’y est le parfait gentil ou l’horrible méchant. Pas de jugements. Or, quelle morale? Qui est le méchant et donc comment le punir? Les personnages sont tous tour à tour bourreaux et victimes, gentils et méchants… Humains.
J’ai apprécié cette position de la commission, d’autant plus qu’il est vrai qu’en regardant le film, je me suis surprise à ne détester aucun d’eux en particulier, même pas les violeurs.
La scène du viol est terrible. A faire mal vraiment. Mais ce malaise est atténué lorsque la victime se relève et pense surtout à sa robe qui a été déchirée. C’est un peu étonnant venant de la part d’une fille qui vient de se faire violer, non?
J’ai remarqué lors des discussions que plusieurs des spectateurs avaient déjà vu le film «Khorma» et l’avaient aimé, et que c’était la raison pour laquelle ils étaient venus voir «Tendresse de loup».
Alors, je sais ce qu’il me reste à faire, puisque ce film passe actuellement à l’AfricArt.
Hier, j’étais dans ma voiture, j’écoutais distraitement Radio Mosaïque, lorsque mon attention a été attirée par ce qu’il s’y disait. L’émission Forum était consacrée au temps libre.
J’ai entendu un homme dire qu’après le travail, il avait BESOIN de décompresser et que c’était la raison pour laquelle il allait au café, voir ses copains, avant de rentrer chez lui. Il disait aussi qu’il ne comprenait pas pourquoi sa femme était contre et n’aimait pas le café.
J’ai enragé. J’entends cette rengaine depuis des années, et cela me fait toujours enrager.
Ces messieurs travaillent tellement dur qu’ils ont besoin de décompresser. Alors, c’est le café du quartier ou le verre au Plaza, Shilling, Khereddine Pacha, Maison Blanche, L’Amphitrite, La petite Etoile et Cie.
Les pauvres chéris, il faut les comprendre : une journée de travail et de stress !
Ils ne peuvent faire autrement !!!!
Ok, pourquoi pas ?
Certains, il est vrai, se limitent à passer une petite heure et rentrent chez eux, mais d’autres oublient le temps qui passe et ne rentrent chez eux qu’à des heures impossibles, et ne voient donc ni leurs femmes ni leurs enfants. Sans oublier que pour beaucoup, ces heures passées à DECOMPRESSER grèvent drôlement le budget familial et privent leurs familles de bien des choses.
Mais ce qui me fait vraiment enrager, c’est qu’aucun de ces hommes ne dit la même chose à propos des femmes. Aucun ne reconnaît ce droit à décompresser aux femmes.
Dites-moi, vous êtes stressés après une journée de travail ?
Alors que diriez-vous si en plus de ces heures de travail, vous auriez reçu des coups de fils, style : il me faut un nouveau cahier de texte, la maîtresse veut que l’on ramène un t-shirt blanc pour la fête, j’ai besoin d’un compas urgent pour mon devoir de demain…..
Que diriez-vous, si en plus du travail, il vous faut penser au dîner, au déjeuner du lendemain, au pressing, aux courses, au cours de danse, au cours de foot, au rideaux qu’il faut changer, au RDV chez le dentiste à prendre, aux vêtements d’hiver à ranger, aux vêtement d’été à sortir, à faire faire essayer les vêtements de l’année précédente, à penser à acheter de nouveaux vêtements aux enfants qui ont poussé, à préparer les vacances, à organiser les anniversaires, à faire préparer les examens, à corriger la dictée, à expliquer un exercice d’anglais…..
Que diriez-vous ????
N’avons-nous pas BESOIN, nous aussi de décompresser ?
Que diriez-vous si on vous laissait toutes ces choses sur les bras et que nous allions nous aussi DECOMPRESSER au café avec nos copines ????
Ne le méritons-nous pas nous aussi ?????
Ah oui, j’ai oublié : ce n’est pas pareil. Vous êtes les HOMMES et nous ne sommes que des FEMMES !
J'ai enfin eu la chance de voir le film «bahib el cinema (J’aime le cinéma)» en entier. Il m’était arrivé à plusieurs reprises d’en voir des extraits, mais malheureusement, j’ai du atttendre pour pouvoir le voir en entier, et surtout dans l’ordre.
Il s'agit d'un film égyptien, sortit en salles en 2004.
Avant de sortir, ce film a eu bien des problèmes. D’abord financiers ce qui a fait que la réalisation a pris 5 ans. Ensuite, des problèmes «religieux» ou «sociaux».
En effet, certaines organisations ont essayé de le faire interdire. Mais la justice égyptienne leur a donné tort, et le film est enfin sortit.
Et en fin de compte, tous les problèmes, polémiques, discussions… ont eu un effet inverse: au lieu d’être interdit, le film a bénéficié d’une grande publicité, et au lieu d’un film pour «intellectuels», il est aussi devenu un grand film «commercial» à succès.
Pourquoi toutes les polémiques et controverses au sujet de ce film?
Ce film nous raconte la vie quotidienne d’une famille égyptienne chrétienne. Le père, Adly (Mahmoud Hemeida), est un grand croyant, un devot très pratiquant. Il mène la vie dure à sa famille parce qu’il voit la religion comme une série d’interdits et de pêchés. Pour lui, Dieu est crainte.
Sa femme (Leïla Alaoui) était une enseignante de dessin, mais est ensuite devenue surveillante générale d’une école. Elle est aussi croyante, mais plus ouverte que son mari.
Et Naïm, le petit garçon. Ce petit est fou amoureux du cinéma, seulement son père considère le cinéma comme un pêché, comme l’enfer.
Pour le père donc, tout est haram. Tout est interdit, le dessin, l’art, le cinéma, la TV, et même le sexe avec sa propre femme, sauf pour procréer.
Même lorsqu’il ose le faire, il éteint toutes les lumières et se dêpeche comme s’il commettait une faute impardonnable.
Cet homme passe son temps à prier et à craindre Dieu. Il jeune 200 jours par an, et n’arrête pas de faire pénitence.
Haram. Haram. Haram….
Sa bigoterie fait vivre sa famille dans la frustration et la crainte.
Sa femme par contre est devenue sexuellement frustrée. Elle a envie et besoin de sexe, mais il lui ferait presque sentir que cela est sale. Cela la jette pratiquement dans les bras d’un autre homme.
Le petit garçon, espiègle et très sympathique veut sortir du joug paternel. Il reproche à son père tous ces interdits. Il en détesterait presque son père, il commence à le détester, mais il déteste déjà l’église et tous les gens de l’église.
«Je déteste mon père, je déteste l’église, et tous les gens de l’église ».
En plus, son père lui a tellement répété qu’il irait en enfer qu’il commence à se dire que cela ne changerait plus rien. Puisque de toute façon, il va en enfer, autant en profiter et faire ce qu’il a envie de faire.
Par ailleurs, il est un peu perdu. Dieu est-il bon ou mauvais? Va-t-il vraiment aller en enfer? Le cinéma est-il vraiment pêché? Il pense que non, le cinéma est le paradis. Mais il ne sait pas vraiment. Il adresse des prières à Dieu, il lui demande de le laisser aller au cinéma encore une dernière fois, et ensuite, il promet de se repentir.
Il pose des questions à sa grand-mère. Va-t-il aller en enfer? Grand-mère répond que non, Dieu est bon.
Le gamin commence à défier l’autorité de son père. Dans son dos, il fait ce que son père désapprouve, par exemple, il enlève ses vêtements alors que son père veille toujours à le couvrir et va au cinéma.
L’enfant commence à se détacher des autres. Il se détache de son clan et de sa famille. Il crée son propre monde où le cinéma est le Paradis rempli d’anges.
Il se moque des autres. Le pire, a été de «pisser» sur les gens à l’église. Il défie l’autorité paternelle, mais aussi les règles et le sacré des religions.
La scène finale du film est d’ailleurs assez éloquente, alors que toute la famille se presse autour du grand-père mourant, il allume la TV, s’installe sur une chaise en leur tournant le dos. Il quitte leur monde réel, et se concentre sur son propre monde.
Pourquoi ce film a-t-il fait du bruit et a-t-il suscité les polémiques?
Les chrétiens égyptiens se sont élevés contre ce film, pour eux, il donne une mauvaise image des chrétiens et de l’église. Ils ont même fait un appel au boycott du film. Pour eux, le film montre un intégrisme et une bigoterie qui n’existent pas dans leur société.
Les musulmans n’ont pas aimé, ils disent qu’il n’est pas normal qu’un film égyptien montre exclusivement des chrétiens et pas un seul musulman. Pour eux, c’est une sorte de provocation, qui risquerait même de diviser la société égyptienne.
Les deux communautés reprochent aussi au film de ne pas respecter la part sacré de Dieu. L’église est une maison de Dieu, or on y voit des égyptiens se chamailler comme des chiffonniers, s’insulter, se bagarrer… On y voit deux jeunes entrain de flirter. Et on y voit le petit Naïm qui les regarde de haut, et pisse sur eux.
Sacrilège!!!!
Personnellement, je ne vois pas ce film sous cet angle.
Je ne pense pas du tout qu’il s’attaque aux chrétiens, je pense qu’il parle tout seulement de l’intégrisme, ou de l’excès de religiosité. Or cela est commun à toutes les religions. L’excès de religion est anti-humain, il ne permet plus de vivre «normalement». Il maintient la personne dans une prison de frustrations et d’interdits. Est-ce ce que demande et veut Dieu de ses créatures?
Je ne pense pas.
Le père lui-même à la fin du film a une prise de conscience. Il va changer.
«Je me prends pour un saint, alors que je suis un pêcheur.
Nous sommes tous des pêcheurs. Nous tous, et les prêtres, tous, nous disons que nous te connaissons, nous disons que nous te comprenons, nous disons que nous savons ce que tu dis, nous expliquons ce que tu attends de nous. Nous nous divisons, nous discutons…. La réalité, bien que je prie, jeune…. Je ne t’aime pas. Je voudrais t’aimer mais je ne t’aime pas. Je voudrais t’aimer comme si tu étais mon père, mais ce n’est pas le cas, tu es mieux que nous.»
Je ne pense pas que Dieu a crée l’Homme pour faire de sa vie une longue suite de tortures, de frustrations, de peines… Pourquoi Dieu voudrait faire de la vie de ses créatures un enfer? Pourquoi voudrait-il les priver des joies toutes simples, et de la beauté de la vie?
En fait, tous les interdits, sont crées par des hommes. Ce sont eux qui créent ces règles. Ce sont eux qui imposent, interdisent…
Dieu ne peut être comme cela.
Dieu est beauté et amour.
Ce film passe actuellement à la TV sur la chaine Rotana Cinéma.
Ce film a remporté plusieurs prix dans des festivals divers, dont 2 prix aux journées cinématographiques de Carthage (meilleur scénario et meilleure photo).
Je ne sais pas si Mahmoud Hameida a reçu un prix pour son interprétation, mais personnellement, je l’ai trouvé excellent dans son rôle du père. Il est à noter que Mahmoud Hemeida est un des acteurs fétiches de Youssef Chahine.
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