Par : Khémais Khayati
Dimanche dernier, la rue du 18 janvier 52 du centre ville a assisté à une mini manifestation de sauvegarde du cinéma tunisien sous le titre explicite «Que vive le cinéma»…Il y avait dans la salle Afric’Art une centaine de jeunes, probablement appartenant à l’Esam, venus comme pour une messe d’adieu au 7è art dans notre pays…
Il y a de quoi se rassembler. C’est comme pour le lion de Tunisie (le Lion de l’Atlas), on lui a tellement tiré dessus, qu’il a disparu sans laisser de traces autres que celles dans les salons cossus de la coloniale ou dans les peintures orientalistes… Dans tous les cas de figure, le cinéma tunisien vit la même situation que celle du lion d’antan…
Cachez-moi ce sein…
Depuis
un certain temps, des articles – principalement en langue arabe –
tirent à boulets rouges sur le cinéma tunisien lui faisant porter tous
les maux de la terre. C’est à croire que si la banquise perd du poids,
la raison n’est nullement le réchauffement de la planète, mais bel et
bien le cinéma tunisien…
Cette
rengaine a commencé bien avant la représentation du juif tunisien dans
«L’Homme de cendres» de N. Bouzid et dont une certaine presse
orientale en a fait son choux gras et bien même avant ces scènes de
hammam de F.Boughdir ou l’histoire adultérine du «Silence des
Palais» de M. Tlatli… Ce trio, Bouzid, Boughdir, Tlatli, et quelques
soient leurs films, demeure aux yeux des gardiens d’une morale « bête
et méchante » des cinéastes à abattre, car c’est par eux que le mal
arrive. Étant entendu que la mal est la dépravation, la licence, la
débauche, la perversité, le vice, l’irrespect de l’identité et j’en
passe. La chose s’est aggravée avec d’autres productions comme « Le fil
perdu » de K. Bornaz, «Demain je brûle» de Ben Smail, «Le Prince»
de M. Zran, «Elle et lui» de E. Baccar, «la Tendresse
du loup» de J. Saadi ou «Douweha» de R. Laamari sans oublier son
«Satin rouge» et «Fatma» de Kh. Ghorbal… En un mot, cette poignée
de films orphelins d’une politique culturelle est devenue l’expression
d’un ennemi intérieur dont il faut extraire les racines…
Outre
le fait qu’aux yeux de certains mentors de la «régression identitaire» qui se propage comme la chienlit grâce aux satellitaires du Golfe,
ces films ne représentent nullement
On donnerait sa langue au chat
« La tragédie, c'est lorsqu'on se coupe le doigt. La comédie, c'est quand on tombe dans une bouche d'égout ouverte et que l'on meurt. »
disait le cinéaste et comédien américain Mel Brooks… Les doctrinaires
de l’image angélique et du « cinéma propret » n’ont jamais senti que
l’état du cinéma tunisien est plus qu’une tragédie… on a l’impression
qu’il est tombé dans un dégoût forcé et le voici qui se meurt sans
qu’on lui portât assistance… L’Etat donne certes de l’argent. Mais ce
qu’il donne à fonds perdus n’honore nullement la finition d’une œuvre
et ce, en l’absence d’un capital privé intéressé par la chose
culturelle…
Que
dire d’un pays qui donna au monde arabe son premier film de fiction
(Ain al-Ghazal de Shamama Chekly) en 1924 et qui, moins d’un siècle
plus tard, patauge dans la flaque d’une moyenne d’un film et demi par
an ?
Que
dire d’un pays qui connut les projections d’images mouvantes dès 1897
et qui, un siècle plus tard, ne possède plus que 13 salles de cinéma
(et non 19 comme dans un document du Ministère de tutelle) avec 8500
sièges pour 10 Millions d’habitants… Tous les comptes aboutissent à un
siège pour 1177 Tunisiens… Une vraie surpopulation…
Que dire d’un pays qui possédait les laboratoires les mieux équipés de toute l’Afrique, ceux de Gammarth (1964).
Que
dire d’un pays où des quartiers, des villages, des villes, des
gouvernorats entiers ne savent plus ce qu’est une salle de cinéma. Un
pays où on oublie maintenant que le cinéma n’est pas que la salle et le
film… C’est une sortie. Et qui dit « sortie » dit une vie publique, un
petit commerce florissant, une saine promiscuité dans une mixité de bon
aloi, etc. Tout ceci, pfuuut ! Il y a des jeunes de notre pays qui ne
savent du cinéma que ce que diffusent les télévisions. Et il n’y a pas
de média plus casanier que la télé… Plus des trois quarts des Tunisiens
regardent des films à la télé et bien plus se réfugient chez les
graveurs…. .
Que
dire d’un pays qui s’intéresse peu, très peu à l’image nationale.
Sinon, comment comprendre cette nuée de pirates qui non seulement
squattent les productions étrangères, mais en plus « chapardent» les
films nationaux au grand dam de la loi…
Peut-on
alors en vouloir à un cinéaste de chercher ailleurs un co-financement
pour son film ; fut-il auprès du Bon Dieu, car l’aide du Ministère est
de 30% du devis eu égard à toutes les causes citées précédemment… Et on
ose accuser son chien de rage!
Que des jeunes se regroupent pour crier un « SOS Cinéma tunisien », c’est qu’il y a encore de l’espoir en l’air… ça a toujours été ainsi dans mon pays… Pourquoi ? Va savoir…
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