Le 15 Avril 2011, 4 associations, Touensa, Fhimt.com, ACT "Khammem ou karrer" et "Génération Tunisie Libre" avaient co-organisé une conférence sur le rôle de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique.
M. Ghazi Ghrairi, porte parole de la haute commission, nous avait expliqué les tenants et aboutissants de cette haute commission.
J’ai essayé autant que possible de prendre des notes, que je vous retranscris ici, pour essayer de faire profiter un maximum de gens de ces explications.
Je vous prie d’être un peu indulgents quant au style. J’écrivais aussi rapidement que possible.
Conférence de M. Ghazi GHRAIRI
Le 14 Janvier, et plus particulièrement le 15 janvier, M. Mohamed Ghannouchi a annoncé la constitution de 3 commissions, dont la Commission de la Réforme Politique, avec l’idée de poursuivre avec l’ancienne constitution, préparer des élections présidentielles, et faire une réforme de la constitution et du code électoral.
Aujourd’hui, cela a changé. La direction prise est autre.
Avant, la direction était de faire un toilettage de l’ancienne constitution et la réforme des lois. Donc, on avait juste besoin d’un groupe d’experts.
En bref, c’était le même scénario qui est aujourd’hui adopté par l’Egypte.
Seul M. Ben Achour avait été nommé par le gouvernement. Les autres experts avaient été choisis par M. Ben Achour lui-même.
Il a été prévu d’écouter tous les partis, les citoyens et les régions pour tirer l’information de ce que veulent les citoyens pour préparer ces réformes.
Mais la résistance de certains, qui ont refusé cette commission et son gouvernement, a changé la donne.
M. Mohamed Ghannouchi a essayé de résister au maximum jusqu’au jour de sa démission. Par la suite, M.Béji Caïd Essebsi a annoncé la constitution de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique
L’instance d’aujourd’hui est donc une réponse à une pression de la rue et à la pression de certains juristes experts qui composaient cette commission.
Donc, puisque l’objectif a changé, il fallait tout changer car cette commission n’avait pas mandat pour représenter les tunisiens.
Ce nom de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique est le fruit d’un certain nombre de compromis. Le gouvernement était sous la pression du Conseil de Protection de la Révolution et était faible car il avait commis des erreurs.
Le gouvernement a essayé d’absorber ce Conseil de la Protection de la Révolution, il était impossible de lui conférer tous les pouvoirs qu’il réclamait, mais il a fallut trouver un compromis. En fait, c’était une opération politique et l’idée de départ a changé.
Aujourd’hui la Haute Instance pour la Réalisation des Objectifs de la Révolution, de la Réforme Politique et de la Transition Démocratique est constituée de deux commissions :
- le comité d’experts
- l’assemblé de l’instance
Les premières réunions ont eu lieu à l’avenue Med V, aujourd’hui, elles ont lieu au Bardo.
Le problème est comment trouver une représentation du peuple.
Il a été convenu de former cette haute instance comme suit, pour se rapprocher au maximum d’une représentation.
1/ On ne connaît pas le poids des partis et il était impossible de nommer tous les partis parce que très nombreux, ce qui a obligé à ne nommer que certains d’entre eux (au début seulement 12)
2/ Des personnalités patriotiques (ce qui a donné lieu à beaucoup de critiques)
3/ Des représentants de la société civile: ceux qui ont milités pendant la période Ben Ali, l’UGTT, certains représentants de professionnels.
Nonobstant la forme, il y avait des problèmes. Même si la Haute Instance était composée de 71 personnes, il y avait pourtant beaucoup d’absences : pas de représentant des régions et pas de représentants du peuple…
Certains ont dit qu’il y avait aussi un déséquilibre dans l’idéologie.
Aujourd’hui, il y a 155 membres, les partis ayant 3 représentants chacun: un homme, une femme, un jeune (sauf le PDP).
La question s’est posée de savoir comment nommer un représentant d’une région alors que dans chaque région, il y a des dissensions.
En fin de compte, il a été décidé que l’UGTT, les avocats et la F.T.D.H nommeront ces personnes.
Grosso modo, sur la composition de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, il y a un assentiment: c’est un microcosme qui représenterait la société tunisienne.
Donc après une dizaine de jours d’incertitude, il y a eu un certain accord.
Un décret-loi a été publié le 01/03/2011, daté au 18/02/2011, donc antidaté, pour créer cette instance.
Quelles sont les prérogatives de cette Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique ?
Elle n’a aucun pouvoir décisionnel elle a juste une autorité de proposition. Elle ne peut que proposer
L’article 2 du décret-loi dispose que la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique étudie les projets de loi qui concernent la révolution et la transition et les propose au gouvernement, donne son avis sur la politique du gouvernement en accord avec le Premier Ministre et étude les propositions des textes.
Le 24 juillet est une date fixée par le gouvernement et la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique doit mettre en place le minimum de règles pour la constitution.
Deux textes ont été proposés au gouvernement :
1/ Un texte concernant l’instance de surveillance des élections, ce qui constitue
une rupture avec le passé et l’éviction du Ministère de l’Intérieur des élections.
Cette commission est composée de 15 membres que la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique va coopter.
2/Le projet de la loi électorale : c’est juste un projet qui a été donné au gouvernement. Ce texte a été voté (les experts ne votent pas). Trois points ont particulièrement chauds :
- Scrutin de liste ou uninominal? Ce qui a été retenu : liste de 4 à 10 noms
- La parité. C’était la proposition des experts. Il y avait au début une certaine résistance, mais ensuite, elle a été acceptée. La presse internationale a d’ailleurs reporté cette nouvelle. En effet, si ce projet est adopté, nous serions le premier pays au monde à adopter la parité avec alternance des noms et annulation de la liste en cas de non respect de cette condition.
- L’exclusion des membres du RCD : les experts avaient proposé d’exclure les gens qui étaient soit jugées, soit en cours de poursuites judiciaires, soit dont les biens ont été gelés. Les membres ont refusé, parce que d’après eux, il y a eu révolution et donc qu’un renouvellement est nécessaire. La tendance était de limiter l’exclusion à 10 ans, pourtant ensuite, les membres ont voté pour l’exclusion pendant 23 ans. Le texte parle de responsables du RCD. Quels responsables ? Où s’arrêter ? Le texte a quitté la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique sans précisions. Qu’est-ce qui sera décidé ?
Aujourd’hui, quelle est donc la mission de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique ?
- Quid du financement des partis ?
- Et les médias ?
Il faut donc mettre un minimum de règles pour tout cela.
Il faut par ailleurs penser à une ambiance générale à préparer pour la transition démocratique.
Aujourd’hui, il y a des discussions autour d’un pacte républicain. Il serait en effet important de signer un pacte qui regrouperait nos acquis, et c’est un plancher à partir duquel l’assemblée constituante devrait démarrer.
Il y a des discussions à ce sujet, certains n’ont pas envie de la faire, mais mercredi prochain le débat reprend.
Questions et commentaires de certains présents:
1) La constitution aura-t-elle une durée ?
L’assemblée constituante sera une autorité initiale, donc elle ne peut être limitée. Toute limite qu’on lui fixerait peut être supprimée puisqu’elle a tous les pouvoirs. L’assemblée va s’auto-régir.
Moralement, on pourrait essayer de la limiter dans le temps.
2) Les mosquées continueront-elles à être utilisées à des fins politiques ?
Le texte existant a prévu de pénaliser les gens qui utiliseraient les mosquées pour les élections. De même que les lieux de travail, les écoles et les lycées.
3) La parité est-elle une garantie de la présence des femmes dans l’assemblée constituante ?
La parité ne peut garantir la présence des femmes. C’est variable, on ne sait pas du tout ce que cela va donner. La parité est un saut dans le vide, mais nous souhaiterions que tous soient représentés puisqu’il s’agit d’une assemblée existentielle.
4) Si le pacte n’a pas force obligatoire, à quoi sert-il ? Donne-t-il des garanties ?
Ce pacte est purement politique, il aura une certaine force morale, mais juridiquement non. Sa force est morale parce qu’un parti qui aura signé, pourra t-il se désister?
5) Le caractère confidentiel de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique doit être levé pour permettre aux citoyens de tout savoir.
Le décret-loi dit que les travaux doivent être confidentiels, d’ailleurs Gilbert Naccache a démissionné à cause de cette confidentialité.
Aujourd’hui, contrairement au texte, les médias sont présents en permanence.
6) Y aura-t-il vote par procuration?
Non. Mais il y a certains cas d’assistance aux personnes handicapées.
7) Y a-t-il obligation de vote ?
C’est très rare en droit comparé.
C’est quelque chose qui n’a même pas été débattue au sein de l’instance.
D’après mon avis personnel, voter est un acte politique, ne pas voter aussi. Chacun est libre.
8) Pourquoi BCE n’a-t-il pas répondu à la question à propos de la nomination du Ministre de l’Intérieur ?
Cela concerne le rapport entre l’instance et le gouvernement. La question s’est posée lors de la nomination MI, d’où la séance du 05/04/2011.
BCE a dit que probablement les membres de la Haute Instance avaient raison, qu’il allait enquêter, et ensuite si la culpabilité du MI est prouvée, il sera changé.
9) Ne trouvez-vous pas qu’il est injuste de favoriser certaines régions en leur attribuant des sièges en plus ?
Cela est du à un déséquilibre démographique en Tunisie. Et puis, la révolution a quand même démarré des régions, donc c’est aussi une sorte d’hommage.
10) Qui êtes-vous pour préparer un pacte national ou tout autre texte ?
La Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique est un consensus, un compromis. Cette instance est celle qui représente le plus le peuple, ce n’est sûrement pas la meilleure, mais c’est la moins mauvaise.
11) Quid des tunisien à l’étranger ?
Ils vont voter, et auront même des représentants, donc 1 ou 2 circonscriptions à l’étranger.
Sur la Tunisie, il y aurait en principe 27 circonscriptions
12) Quelle est la coloration politique actuelle de l’instance?
Le POCT a refusé de participer.
Au départ, le centre gauche avait la meilleure présence (hommes de culture…..). Aujourd’hui, au delà des 3 membres du parti il y a plusieurs personnes qui représentent d’autres formations et sont aussi des nahdhaouis.
13) Etes-vous encore à l’écoute de la rue ?
Des télégrammes, des lettres, des pétitions, des familles arrivent tous les jours, il faut les voir, lire….
14) Quand donc le gouvernement va-t-il promulguer les lois ?
Aucune idée
Par contre en ce qui concerne l’instance des élections, le texte sera promulgué une dizaine de jours après le code électoral.
La campagne électorale commencera 3 semaines +1 jour avant la date des élections.
Il y aura un financement publique, cela est certain. Concernant le financement privé : il est prévu une interdiction mais le gouvernement changera peut-être cela. Par ailleurs, l’instance des élections va surveiller l’origine des financements et les dépenses des partis.
Dans les bureaux de vote, les partis peuvent avoir leurs propres observateurs. Le contrôleur et l’observateur ne peuvent voter que dans un autre bureau que là ou ils exercent leur contrôle ou observation.
Les observateurs seront tunisiens et étrangers, mais seulement des ONG sérieuses et connues.
15) Y aura-t-il vote par Internet ?
Non, pas de vote par Internet parce que cela pourrait poser énormément de problèmes. Mais Internet est un outil d’accompagnement des élections. Les médias sur Internet sont considérés comme la presse écrite et doivent répondre aux mêmes règles.
16) Les binationaux auront-ils le droit de voter ?
Il n’y a pas de citoyenneté à deux vitesses. Dans le projet, il n’y a aucune différence entre les binationaux et autres.
17) Quand est-ce que la mission de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique prend-elle fin ?
Sa mission prendra fin lors de la déclaration des résultats des élections.
Il y a eu d’autres questions, mais je n’avais plus la force de tout écrire. L’essentiel est là quand même.
M.Ghazi Ghrairi a conclu son intervention par cette citation d’Alain :
« Le pessimisme est d'humeur ; l'optimisme est de volonté ».
L’Histoire nous regarde.
Merci pour ces explications et eclaircissements.
Rédigé par : sonia | 06/05/2011 à 22:30