En
novembre 2006, quand le ministre [de la Culture] égyptien, Farouk
Hosni, avait critiqué le voile, les membres du Parti national-démocrate
[PND, au pouvoir] s’en étaient violemment pris à lui au Parlement. L’un
d’eux s’était emporté jusqu’à lui crier : “Fossoyeur de l’islam !”,
avant de s’évanouir sous le coup de l’émotion. Si les représentants du
parti au pouvoir tiennent si ardemment à l’islam, pourquoi ne
pensent-ils jamais à la contradiction entre les principes de l’islam et
le trucage des élections, les arrestations d’innocents, la torture, le
pillage de l’argent public, l’appauvrissement des Égyptiens et
d’autres crimes commis par le régime qu’ils représentant ?
De nombreux officiers des services de sécurité sont pratiquants et
observent scrupuleusement la prière, le jeûne et le pèlerinage. Cela ne
les empêche nullement de faire tous les jours leur métier de
tortionnaires, de tabasser et d’électrocuter les prisonniers. Un membre
de ma famille est un haut responsable gouvernemental connu pour ses
tripatouillages électoraux et ses violations de la loi. Mais, au sein
de la famille, il passe pour quelqu’un de profondément religieux, et on
fait appel à lui pour éclaircir des points théologiques délicats.
Il existe d’innombrables exemples de ces Égyptiens qui s’acquittent de
leurs obligations religieuses tout en se comportant au quotidien de la
manière la plus contraire à la religion. Au cours du dernier mois de
ramadan, le journal égyptien Al-Masri Al-Yom
a publié une excellente enquête sur l’hôpital public, qui relatait que
la plupart des médecins abandonnent les malades pour faire leur prière
au moment de la rupture du jeûne. Et il ne s’agit pas de quelques
ignares, mais de médecins diplômés. Ils considèrent tout simplement
qu’il est bien plus important de faire la prière que de s’occuper des
malades, même si la vie de ces derniers est en danger.
Ce n’est pas seulement une question d’hypocrisie ou d’ignorance. Le
fond du problème est que bien des gens se font une conception erronée
de la religion, qui valorise les aspects visibles de la religiosité.
Cette prétendue religion est confortable parce qu’elle ne demande pas
d’effort, ne coûte pas cher, se limite à des slogans et à des
apparences, et donne un sentiment de paix intérieure et de satisfaction
de soi. Les vrais principes de l’islam en revanche – justice, liberté
et égalité – vous font courir le risque de perdre votre salaire, votre
situation sociale et votre liberté.
Ceux qui ont adopté cette prétendue religion jeûnent, prient, saluent à
la manière musulmane et imposent à leurs épouses le hijab [voile des
cheveux] et le niqab [voile du visage]. Ils participent probablement
aux manifestations contre les caricatures danoises [jugées
antimusulmanes] et contre l’interdiction du voile en France, et
écrivent des courriers de lecteurs à Al-Ahram
[principal quotidien égyptien] pour dénoncer la frivolité des
vidéoclips. Ils estiment avoir ainsi accompli tout leur devoir
vis-à-vis de la religion.
Le régime a toujours favorisé cette caricature de religion
Ils ne s’intéressent
nullement à la politique et ne se soucient pas de la succession au
pouvoir. Certains ne voient aucun mal à ce que le président lègue le
pays à son fils, comme s’il s’agissait d’un élevage de moutons dont on
hérite en famille. Les adeptes de cette religion de façade ne
considèrent pas qu’ils ont des droits politiques en tant que citoyens
et ne sont pas mus par l’idée de la démocratie.
Cette prétendue religion est pour les Égyptiens une triste maladie.
Elle les pousse à la passivité et à l’indifférence face à la tyrannie
et à la répression.
Anouar El-Sadate [qui fut président de 1970 à 1981] a utilisé cet
islam-là afin de contenir l’opposition de gauche. Ensuite vint la
révolution iranienne, qui constituait une vraie menace pour le régime
saoudien. Celui-ci a dépensé des milliards de dollars afin de propager
la conception wahhabite [fondamentaliste] de l’islam, une conception
qui mène immanquablement à pratiquer une religion de pure façade (ceux
qui le contestent devraient regarder l’énorme hiatus entre le discours
et la réalité en Arabie Saoudite). Sur les chaînes satellitaires
saoudiennes, des dizaines d’hommes de religion parlent vingt-quatre
heures sur vingt-quatre de questions religieuses, mais jamais du droit
des citoyens à élire leurs gouvernants, ni des lois d’exception, ni de
la torture et des arrestations arbitraires. Leur pensée ne s’attarde
jamais aux questions de justice et de liberté. En revanche, ils se
vantent d’avoir réussi à mettre le voile à une femme. Comme si Dieu
avait révélé l’islam dans le seul but de couvrir les cheveux des
femmes, et non d’établir la justice, la liberté et l’égalité.
Le tyrannique régime égyptien a toujours veillé à favoriser cette
caricature de religion. Il considère ses adeptes comme des citoyens
modèles, puisqu’ils gardent profil bas du berceau jusqu’à la tombe.
Quand ils se révoltent, c’est par rapport à des évènements qui se
passent à l’étranger ou des choses qui ne risquent pas d’importuner le
pouvoir. Le régime ne trouve rien à redire à tout cela : la seule chose
qui l’intéresse est de ne pas avoir à rendre des comptes sur son action.
Quant aux martyrs du régime de Hosni Moubarak, dont le nombre dépasse
celui de toutes les guerres de l’Egypte – victimes d’accidents
ferroviaires, de naufrages de ferries, d’effondrements d’immeubles, de
maladies, de cancers et d’empoisonnement par les pesticides –, tous
ceux-là sont, selon le véritable islam, les victimes de la corruption
et des abus de pouvoir. Pour un islam de façade, tous ces drames
relèvent de la malchance. Ceux qui sont morts seraient morts de toute
façon, tôt ou tard, et cela n’a donc aucun sens d’incriminer quiconque.
L’islam dans toute sa grandeur avait poussé les musulmans à faire
connaître au monde l’humanité, la civilisation, l’art et la science.
Mais la tartuferie nous a menés à toute cette ignominie et à cette
misère dans laquelle nous vivons.
Alaa Al Aswani (Al-Dustour, Le Caire)
Source: Courrier international.
En fait, le problème n'est en aucun cas l'islam, mais bien certains musulmans!
"En fait, le problème n'est en aucun cas l'islam, mais bien certains musulmans!", termines-tu... Et je partage ce point de vue.
Le problème n'est pas la religion, mais ce que les croyants en ont fait et en font... Idem pour toutes les religions... Je suis et serai toujours scandalisé qu'au nom de la justice, de la fraternité et de l'amour on puisse asservir et tuer...
Rédigé par : Account Deleted | 06/10/2009 à 18:41
"Tartufferie" est bien le terme qui rappelle hélas que la religiosité de façade n'est ni une histoire d'époque ni de pays.
Rédigé par : Mad Djerba | 06/10/2009 à 22:13
On s'attache et on s'arrache des morceaux de tissu, on délaisse, on ignore la noblesse de la liberté et de la justice !!!
Rédigé par : Bakhta | 06/10/2009 à 22:42
Exactement. Dieu est innocent de ce que font les hommes.
Je me rappelle une scène du film "Yentl" avec Barbara Streisand, où son père rabbin, lui expliquait que Dieu comprendrait, mais pas les voisins.
Je suis toujours étonnée par le fait que des hommes se préoccupent de formalisme et d'apparences, et oublient l'essentiel.
Rédigé par : Massir Destin | 06/10/2009 à 22:50
Justement, et tout à l'heure je pensais à Molière!
Rédigé par : Massir Destin | 06/10/2009 à 22:51
On privilégie les futilités aux choses essentielles!
Rédigé par : Massir Destin | 06/10/2009 à 22:56
Super texte de ce monsieur que j'adore ces écrits. Il a bien résumé la situation qui peut être transposé dans tous les pays musulmans du Maroc à l'Iran. J'espère que les bloggueurs n'essaieront pas cette fois ci de juste chercher à discréditer l'auteur sans aller sur le fond.
Rédigé par : Profilo | 07/10/2009 à 10:11
En effet, je suis d'accord avec toi.
Rédigé par : Massir Destin | 07/10/2009 à 14:56
Une religion n'a aucune existance en dehors des comportement et des agissement de leurs adeptes. Jusqu'à nouvel ordre nous ne connaissons aucune religion indépendante de la pensée d'un groupe humains se reclamant d'elle. Alors cessons de dire "L'Islam" comme si l'Islam existe independemment des musulmans, de leurs consciences et de leurs actes.
Ce qui m'a frappé dans cette article c'est la révolte de son auteur et surtout ses observations et ses remarques très pertinentes,mais je dois dire aussi qu'il m'a déçu par son insistance de nous faire croire que l'Islam est le contraire de tous les maux de la société Égyptienne et les idées rétrogrades et totalitaires. Prenons un exemple simple: La torture. L'Islam n'a jamais étais contre la torture, la flagellation des libertins, la bastonnade des femmes qui n'obéissent pas à leurs maris, ou qui les contrarient ou tout simplement qui contrarient les parents de leurs maries est institué comme une loi divine dans le texte du coran même. L'obéissance aveugle à dieu, à Med et aux hommes au pouvoir ( awliaou el amr) est érigée comme un précepte fondamental de l'Islam... Alors cessons de dire "L'ISLAM" comme s'il est quelque chose qui existe en dehors de la pensée et de la conscience des musulmans. Sachons une fois pour toute que le texte coranique que nous connaissons n'a jamais été appliqué intégralement ni au temps de Med ni après...Que ceux qui ont voulu se tenir au texte coranique( les 9orraa ) ont commis des crimes abominables au nom de l'Islam et ont été massacrés sans pitié au temps de Ali... Que le coran et Assounna étaient toujours un sujet de discorde ente les Ulémas, que ces derniers, et malgré leurs savoirs et leurs piétés sont en désaccord permanent sur les sens même des mots utilisés dans le texte du coran, sur sa grammaire et sur sa finalité...
Rédigé par : abed ahmed | 13/10/2009 à 13:29