Mercredi soir, je suis allée avec mon amie Douda voir le film Thalathoun. Je l'avoue, j'appréhendais un peu, car bien que la majorité de ceux qui l'avaient vu en disaient du bien, ceux qui n'ont pas aimé avaient été virulents dans leur critiques.
Sur place, j'ai rencontré Emma, Azwaw et Stupeur. Il faut dire que la projection de ce soir-là avait quelque chose de particulier, elle se déroulait dans le cadre du ciné-club du CinéafricArt, et un débat avec Fadhel Jaziri était prévu après la projection.
Dès les premières images du film, j'ai été attirée. Très attirée même. D'abord par l'esthétique du film. Les images et les couleurs étaient très belles. Avec une dominance du bleu et du rouge.
Certains ont par la suite reproché cet esthétisme au film en disant qu'il donnait une image fausse de la société tunisienne de l'époque. Ils ont dit que cette beauté esthétique montrait des tunisiens tous beaux, bien habillés, très propres, impeccablement vêtus..., alors que la réalité était tout autre. Un spectateur avait même précisé qu'il trouvait que les images récemment filmées du film dénotaient avec les images d'archives qui étaient inclus dans le film.
Personnellement, cela ne m'a pas dérangé. Au contraire, j'ai beaucoup apprécié cet aspect du film.
Fadhel Jaziri a répondu à ce "reproche" en disant que le film n'était ni un film historique, ni un documentaire. Il n'avait pas à coller à la réalité de la société tunisienne de l'époque. Je suis d'accord avec lui. Le réalisateur nous a montré sa propre vision de cette période de l'histoire tunisienne, et une vision personnelle ne peut qu'être imaginaire et subjective.
En fait, si on fait abstraction de cette dimension historique, on peut voir le film comme une œuvre d'Art, un tableau, que l'on aime ou n'aime pas. Personnellement j'aime.
Le réalisateur a d'ailleurs insisté sur cet aspect subjectif. Il nous a appris que dans le même contexte, certains textes de Abou Kacem Chabbi avaient été "re-écris" pour "coller" un peu mieux au film.
Bref, sur cet aspect, bien que pas réel, je dirais "waow, malla wahra avaient nos aïeuls!", et je préfère les imaginer ainsi plutôt qu'en guenilles. Peut-être bien que leurs djellabas n'étaient en réalité pas aussi belles, ni aussi propres, ni aussi nettes..., mais pourquoi, pour les besoins d'un film/tableau, ne pas les représenter ainsi?
Peut-être aussi que le réalisateur voulait de part cette beauté esthétique montrer un changement: l'éveil qui se produisait en Tunisie cette époque là, un éveil à plusieurs facettes: éveil politique, éveil poétique, éveil littéraire...
Peut-être aussi qu'il voulait de cette manière nous montrer que sur une base ancienne, commençait à se greffer un discours moderne, inhabituel pour l'époque. La diction même des acteurs est moderne. Anachronisme? Non, je ne le pense pas.
Toujours est-il que les images de ce film sont en totale rupture d'avec les images habituelles du cinéma tunisien. Images sublimes je trouve.
Autre reproche qui a été fait à ce film: la quasi absence de présence féminine. Oui, c'est vrai, il n'y a dans ce film presque pas de femmes. Mais à l'époque, quel rôle jouaient-elles donc? N'étaient-elles pas souvent prisonnières des maisons et des traditions? Faisaient-elles partie de la vie culturelle ou intellectuelle tunisienne?
On voit dans le film un meeting, et une femme sur le podium demander que les femmes enlèvent le voile. C'étaient les années trente. Le plus drôle, celui qui dit qu'il est trop tôt pour cela est un jeune homme du nom de Habib Bourguiba. Celui-là même qui quelques années plus tard enlèvera le voile de la femme tunisienne.
Cela m'a fait sourire. Nous sommes en 2008, et en Tunisie, nous débattons encore du problème du voile. Mais paradoxalement, nous en discutons actuellement parce que certaines veulent le porter à nouveau!
Que dirait Habib Bourguiba aujourd'hui s'il voyait cela?
Autre chose qui à mon avis n'a pas évoluée depuis les années trente: l'intolérance.
Tahar Haddad écrit un livre révolutionnaire pour l'époque. Que se passe-t-il?
Une campagne de dénigrement se met en place. Il est rejeté par presque tous. Il est accusé d'hérésie, de kofr... Il est mis au ban de la société. Il est renvoyé de son emploi. Certains ont réclamé que son livre soit brulé... En fait, c'est encore ainsi que cela se passe, non? Sauf que peut-être aujourd'hui, il y aurait en plus une fatwa à son encontre!
Les idées de Tahar Haddad seront quand même reprises lors de la rédaction du Code du Statut personnel Tunisien.
Mais l'absence féminine dans le film nous montre aussi que les droits de la femme tunisienne n'ont pas été arrachés par elle, ils lui ont été donnés par des hommes qui se sont battus à sa place. Après le film, j'ai eu l'occasion de discuter un peu avec Youssef Seddik, lui aussi présent à cette projection. Monsieur Seddik semble très très pessimiste quant à l'avenir de la condition des femmes tunisiennes, auxquelles il reproche de ne pas avoir été des féministes réclamant leurs droits, et donc n'accordant pas assez d'importance à ces droits qui leur ont été offert par des hommes. D'après lui, dans une trentaine d'années, la femme tunisienne, si elle reste toujours aussi effacée et inerte, aura perdu tous ces droits qui lui semblent des droits acquis mais qui tendent à disparaitre. J'espère de tout cœur qu'il a tort, j'espère que ma fille, et ses futures filles, vivront dans un pays où la femme est une citoyenne et une personne à part entière, jouissant des mêmes droits et soumises aux mêmes obligations que les hommes. Malheureusement, parfois, en observant le comportement de certains de mes compatriotes, j'ai moi aussi des craintes.
Dans le film, le réalisateur insiste aussi sur la guerre des clans, sur les "guerres intestinales", sur la koffa et les kaffèfas, sur ceux qui, proches du pouvoir, essayent de s'y maintenir pour conserver leurs privilèges.... Tout cela n'a pas changé non plus. Mais cela est peut-être inhérent à l'être humain. Pendant des siècles, les êtres humains ne se sont-ils pas toujours comportés ainsi?
Je reviens à Bourguiba. On le retrouve fougueux, décidé, fin stratège, instruit..., mais aussi opportuniste, coléreux... Et MODERNE. D'ailleurs, il était le seul personnage du film à être BILINGUE. Il parlait aussi bien en Arabe qu'en Français.
Je reproche au film d'avoir négligé un petit détail: Bourguiba était connu pour son regard bleu. Un bleu limpide. Or l'acteur qui jouait le rôle avait des yeux noirs. Pourquoi ne pas lui avoir fait porter des lentilles bleues. Cela était-il intentionnel ou bien juste un oubli?
A ce sujet, concernant les détails, j'aurais des reproches à faire au décorateur et à l'accessoiriste du film: quelques fautes comme la théière marocaine. Où sont donc nos théières tunisiennes? Si difficiles à trouver? D'autres exemples de ce genre dont je ne me souviens plus. De même, des anachronismes, telle cette lampe en plastique bleue au désign très moderne. Que fait-elle donc dans un film supposé raconter les années trente?
Par contre, "détail" qui m'a amusée: à un moment, on voit un tableau. Je le reconnais tout de suite. Je dis à mon amie: "regarde, il s'agit d'un tableau de Roubtzov". Effectivement, la scène se passait chez Alexandre Roubtzov. Cela m'a fait plaisir de "rencontrer" un de mes peintres préférés dans un film.
En conclusion, bien que peut-être pas parfait, je trouve ce film très intéressant et à voir absolument. Personnellement, il m'a "parlé".
S'il vous a parlé, moi j'ai eu plusieurs fois la chare de poule et mes yeux se sont embués... Ok avec vous sur l'esthétique... On n'a qu'à revenir à la mythologie grecque... Ce film est mythique et c'est ainsi qu'il faut l'entendre pour nous parler car si on devait faire de l'Histoire, on n'y arriverait pas. C'est la différence par exemple entre Chronique de Hamina et ce film... Toucher le beau pour nous réconcilier avec nous même.
Rédigé par : khayati | 17/11/2008 à 12:27
concernant Bourguiba et le voila , effectivement il s'était opposé farouchement à l'enlèvement du voile, mais c'était dans le contexte de la naturalisation " ettajniss" c'était une de ses stratégies pour conquérir la sympathie du peuple , il ne devait pas aller à contre courant de la population ,et cherchait aussi l'appui des Zaitouniens .... alors qu'il avait déjà adhéré aux idées de Kamel Attaturk ...
Autre détail sur BOurguiba, à ma connaissance , il n'a porté la barbe que lorsqu'il était exilé à Borj elBoeuf , or dans le film il avait sa barbe bien avant et même lors de son arrestation ... mais je supposes que El Jaziri a fait exprès pour que l'acteur ressemble le plus possible à Bourguiba , je pense que sans la barbe et la coupe des cheveux il ne lui aurait pas ressemblé autant ...
Rédigé par : anonyme17 | 17/11/2008 à 13:31
A Massir
Je ne te comprends pas
- Là tu défends la non-conformité à la réalité (l’histoire) :
[Fadhel Jaziri a répondu à ce "reproche" (fausse image de la réalité de la société tunisienne de l'époque) en disant que le film n'était ni un film historique, ni un documentaire. Il n'avait pas à coller à la réalité de la société tunisienne de l'époque. Je suis d'accord avec lui. Le réalisateur nous a montré sa propre vision de cette période de l'histoire tunisienne, et une vision personnelle ne peut qu'être imaginaire et subjective. En fait, si on fait abstraction de cette dimension historique, on peut voir le film comme une œuvre d'Art, un tableau, que l'on aime ou n'aime pas. Personnellement j'aime.]
- Et là tu défends la conformité à la réalité (l’histoire) :
[Autre reproche qui a été fait à ce film: la quasi absence de présence féminine. Oui, c'est vrai, il n'y a dans ce film presque pas de femmes. Mais à l'époque, quel rôle jouaient-elles donc? N'étaient-elles pas souvent prisonnières des maisons et des traditions? Faisaient-elles partie de la vie culturelle ou intellectuelle tunisienne?]
- Et là tu critiques la non-conformité à la réalité (l’histoire) :
[…Bourguiba était connu pour son regard bleu. …. telle cette lampe en plastique bleue au désign très moderne. Que fait-elle donc dans un film supposé raconter les années trente?]
Aya ya mra thabbetly rou7ek !
PS: Pour le défunt Habib Bourguiba, j’en reviens, ça mérite …un commentaire à part.
Rédigé par : Zorboustra | 19/11/2008 à 10:10
Sans rentrer dans les détails historiques, ce grand Habib Bourguiba (que Dieu ait son âme) dont tout le monde n'arrête pas de glorifier et vanter ses idées, actes et décisions avant-gardistes, n’était pour moi qu’un machiavélique déclaré, tout ce qui est bon était grâce à lui, tout ce qui est mauvais était à cause des autres. C’est vrai qu’il a tout fait, mais excepté le principal et primordial : il n’a même pas semé une toute petite graine de démocratie, chose s’il l'aurait faite, nous aurait épargné tous les maux d’aujourd’hui …D’ailleurs, s’il avait instauré une petite démocratie, tous les domaines dont « on » lui accorde la parenté (éducation, santé, liberté de la femme …) auraient été même meilleurs que ce qu’on vit de nos jours sans bouger le doigt.
Rédigé par : Zorboustra | 19/11/2008 à 10:38
@ Zorboustra:
J'ai bien dit qu'il s'agissait d'une lecture SUBJECTIVE que faisait Fadhel Jaziri de cette époque-là. Il voyait ces personnages qu'il aimait de cette façon-là: beaux et bien habillés.
Mais SUBJECTIVEMENT, il a aussi fait le choix de coller aux faits des années 30.
Concernant les yeux de Bourguiba, c'est moi qui SUBJECTIVEMENT aurait aimé les voir bleus comme dans la réalité.
Par contre, pour ce qui concerne les accessoires, je ne pense pas que c'était un choix subjectif du réalisateur. Je pense que c'est une erreur de la part de l'accessoiriste. Si j'ai l'occasion un jour de rencontrer Fadhel Jaziri, je lui poserais la question.
Concernant le personnage Bourguiba, il s'agit là de ton avis SUBJECTIF. C'est ton droit de penser comme tu veux.
Pour moi, d'une façon tout aussi subjective, il est et restera un GRAND HOMME.
Il a fait énormément d'erreurs, c'est normal, il n'est qu'un homme et pas un Dieu, mais à côté, il a fait de très grandes choses, et on ne peut le lui nier.
Rédigé par : Massir | 20/11/2008 à 14:10