Comme chaque année depuis 2003, le Palais Abdellia à La Marsa accueille le Printemps des Arts depuis le 01 juin 2012.
J'avais l'intention d'y aller aujourd'hui dernier jour. L'année dernière j'avais adoré et je ne voulais surtout pas rater la session de 2012.
Mais vers 14h, j'avais vu sur facebook ce statut:
Aïcha Gorgi DES SALAFISTES SONT VENUS À LA ABDELYA ACCOMPAGNÉS D'UN HUISSIER NOTAIRE ET D'UN AVOCAT ET ILS VONT INTENTER UN PROCÉS CONTRE ARTISTES ET GALÉRISTES. ILS ONT DONNÉ UN ULTIMATUM POUR QUE LES OEUVRES SOIENT DÉCROCHÉES LORS DE LEUR PROCHAINE VISITE À 18H ! TOUS À LA ABDELYA À PATIR DE 17H POUR DÉFENDRE LA LIBERTÉ D'EXPRESSION OU LA LIBERTÉ TOUT COURT!
Quelques minutes plus tard, j'avais vu cet autre statut:
Yosr Ben Ammar : Suite à la visite de certaines personnes à El Abdellia (printemps des arts), la police me demande timidement d'enlever 2 des oeuvres de l’artiste Mohamed Ben Slama exposées sur mon stand. Je dis bien timidement parce qu'eux aussi comprennent très bien qu'on ne doit pas se laisser intimider. Je ne vais rien enlever et je vous invite à être présents à partir de 17h pour attendre leur retour. L'ART ou eux, notre Tunisie ou eux, j'ai des principes et personne et encore moins ces personnes donneuses de leçons qui vont venir me dicter mon comportement et ce que j'ai le droit d'accrocher! Si vous soutenez, Copiez/Collez ce Statut dans votre Profil.
Connaissant ces deux personnes personnellement, je n'ai pas douté un seul instant de leur parole.
Voici l'un des deux tableaux "incriminés":
A 17h, j'étais sur place. Je vais essayer de vous raconter ce que j'ai vu et bien-sûr je n'ai pas tout vu.
Les gens ont commencé à arriver. Tous étaient pacifiques, certains avaient même emmené leurs enfants avec eux et n'avaient donc pas l'intention de se battre (je dis cela à cause d'une personne qui sur facebook nous avait accusés de vouloir nous battre et d'être violents!!)
Les sections d'Ettakattol et du Jomhouri de la Marsa avaient lancé des appels à leurs militants. Ils étaient nombreux à avoir répondu à l'appel, y compris parmi leurs dirigeants.
Nous étions donc nombreux à l'intérieur du Palais lorsque deux salafistes ont fait irruption. Cela s'est passé calmement. Il y a des discussions entre eux et les gens présents. Pas de problèmes particuliers, juste un petit dialogue de sourds. Ces salafistes sont d'accord que la violence est à bannir, que nous devons tous nous respecter, que chacun a le droit de s'exprimer, MAIS le problème est que la conception de liberté et liberté d'expression n'est vraiment pas la même pour eux et pour nous. D'après l'un d'eux (que j'ai écouté), les artistes n'ont pas le droit et la liberté de s'exprimer de manière contraire à l'Islam, bien-sûr selon leur conception ou vision de l'Islam.
Ces deux salafistes (d'après certains ils étaient 3) ont fait un tour, ils ont vu les œuvres d'Art, ont discuté à gauche et à droite avec les présents et sont repartis calmement.
J'étais entrain de discuter avec des amis lorsque nous avons entendu une énorme clameur d'une des galeries. Je suis entrée pour voir ce qu'il se passait. Un type était là à coté de ce tableau.
C'est un huissier notaire. Il parait qu'il est venu constater que ce tableau n'avait pas été décroché. Certains disent qu'il voulait le décrocher, mais cela me semble peu probable, il sait qu'il n'a pas le droit de le faire. Ce type est connu des marsois qui disent qu'il était un RCDiste notoire et qu'il a retourné sa veste. Ce qui explique la colère de certains qui lui reprochent son opportunisme.
Ce huissier a été dégagé de la galerie, mais avant cela, il avait profité de la situation pour faire un petit show médiatique.
Après son départ, le calme est revenu quelques minutes.
Deux autres salafistes entrent. Ils font un tour. Sont hués par certains. Font un peu les intéressants et sortent.
Rien de grave en fait.
Mais voilà qu'une amie m'appelle. Le grabuge se passe dehors parait-il.
Je sors. C'est plein de policiers. Je vois un groupe de salafistes retenus par les policiers. Je n'ai pas le temps de bien voir. Un journaliste étranger avait été agressé par ces salafistes. On me dit qu'ils étaient très très nombreux mais la police a pu les disperser. Seuls quelques irréductibles sont encore là.
Sur ma page facebook, vous trouverez une petite vidéo que j'ai faite.
La police fait tampon. Les salafistes sont d'un coté, nous sommes de l'autre coté. Ils hurlent un peu. Ils crient quelques slogans: "Al khilafa jaya jaya", "nous ne sommes pas locataires dans ce pays", "ce pays est musulman depuis 1400 ans et le restera"....
La police a essayé de ramener l'ordre. D'un coté elle dispersait les salafistes, de l'autre coté elle nous obligeait à rester à l’intérieur du palais.
Je suis rentrée à l'intérieur.
Vers 19h45, la police a demandé aux galeristes de fermer parce que les salafistes étaient entrain de se grouper et risquaient de revenir. De toute façon le palais devait fermer à 20h.
Et voilà.
Cela s'est passé sans casse.
Je trouve que finalement il y eu du positif dans cette histoire.
En prévision du danger, les gens sont venus nombreux pour défendre l'Art. Ils sont venus dans un esprit pacifique et pacifiste pour empêcher la destruction d’œuvre d'Art et défendre la liberté d'expression. C'est une action citoyenne.
Contrairement à certains, je pense que le fait que les politiques soient venus est une bonne chose. Ils ont montré qu'ils seraient de notre coté en cas de besoin, et c'est aussi leur rôle. Soutenir et défendre lorsqu'il le faut. Et je dis cela pour tous. Y compris pour les TAK même si je ne suis pas d'accord avec leurs choix politiques.
Les salafistes qui ont fait l'effort d'entrer ont, je l'espère, pu constater que nous pouvions parler ensemble sans violence, même si apparemment ils n'ont pas été convaincus. En effet, l'un d'entre eux était parmi les irréductibles dehors. Mais ce n'est pas grave, il a constaté qu'il pouvait entrer sans se faire agresser. Peut-être que cela le fera réfléchir. Je l'espère.
Cette fois-ci la police a fait son travail convenablement. J'espère qu'il en sera toujours ainsi.
Par contre, je m'inquiète un peu pour l'éventuel procès. Pourquoi un huissier notaire et un avocat ce matin? Pourquoi le dernier jour de l'expo? Pour intenter un procès? Apparemment c'est le cas d'après un des salafistes qui sont entrés. Un nouveau procès contre l'Art et les artistes? Quelle sera l'issue de cet éventuel procès?
UPDATE à 23h45: d'après des témoins, des centaines de salafistes se sont rassemblés à La Marsa. Ils veulent pénétrer dans le Palais Abdellia. La police et l'armée sont sur place.
UPDATE le 11/06/2012 à 10h12: Hier soir, j'ai pratiquement passé la nuit devant mon PC pour essayer de suivre les évènements. Les versions sont diverses. Certains disent que la police a pu contrôler, mais a quand même du utiliser les bombes lacrymogènes pour disperser les manifestants, d'autres disent que certains salafistes ont pu escalader les murs du palais Abdellia et ont endommagé des œuvres. Je suppose que nous en saurons plus plus tard.
Par contre, les pages facebook intégristes ont propagé des mensonges. Elles ont publié des photos de tableaux et d’œuvres non exposées au Palais Abdellia et ont prétendue qu'elles l'étaient pour prouver que les artistes portaient atteinte à l'Islam et aux bonnes mœurs. Il y a notamment un tableau illustrant Laylat il mi3raj qui ne se trouve pas au palais Abdellia.
UPDATE le 11/06/2012 à 11h22: je viens de voir ce statut sur facebook. Aziza Rassaa Bonjour, Je viens de me rendre sur le chemin de la Fac à la Ebdelleya et qq Salafistes sont là bas! Ils ont réussi à saccager des tableaux et les tableaux qui ont provoqué cette polémique ont été préquisitionnés par la Police. Il y aurait un tableau qui aurait été emporté par les salaf's (ils ne sont pas sûr de cela, ils vont ouvrir une enquête) et les murs tout autour de la Ebdelleya sont plein de Tags du genre 'Allah Akbar', 'Mouhamed Rasssoul Allah' 'Moutou Bghithkom'... etc. Aujourd'hui je suis triste pour ma Tunisie...
A vérifier.
UPDATE le 11/06/2012 à 13h12: c'est confirmé, les salafistes ont pénétré dans le palais pendant la nuit et ont détruit plusieurs oeuvres.
Je l'avoue, j'ai passé de très bons moments. Une amie qui y avait été vendredi m'avait racontée qu'elle avait été déçue, mais pas moi. Il est vrai que cette expo aurait pu être plus riche, mais si elle n'était pas très riche par les objets exposés, elle l'était par la chaleur humaine.
La visite commence par des objets divers exposés. Certains sont sacrés, d'autres pas.
- Un manteau de Torah brodé en argent: Vous remarquerez que c'est exactement la même broderie utilisée par tous les tunisiens.
- Hanoukia
- Deux koufias: La Koufia été portée par les tunisiennes musulmanes et juives. Mais il y avait une différence. Celle des juives était pointue pour les distinguer des musulmanes. Il ne faut pas oublier qu'à une époque, il y avait le système de la dhimmitude.
- Un contrat de mariage en judéo-arabe:
Ensuite, on trouve une expo de photos de costumes juifs, d'artisanat, de livres, de tableaux....
- Une fibule de Moshe Nemni. Il fut un temps où on en trouvait partout dans les souks tunisiens. Puis c'est devenu de plus en plus rare....
- un vase de Chemla:
- Des artistes:
- Un portrait de Ammar Farhat par Maurice Bismuth:
- Habiba Msika
- Hana Rached:
- Des disques anciens et un phonographe. D'ailleurs, nous en écouterons 3 le dimanche lors de la table ronde organisée en marge de cette expo.
- Des pochettes de disques:
- Haydée Tamzali: première actrice de cinéma tunisienne, première scénariste et première monteuse aussi:
- Albert Samama-Chikli, cinéaste, photographe et radiologue!!!
- transcription de l'arabe en caractères hébraïques:
- Des livres anciens
Il y avait à cet expo deux grandes tentures. Sur l'une, il y avait tous les noms de famille communs aux musulmans et aux juifs. Sur l'autre, il y avait les noms de toutes les célébrités juives tunisiennes. J'ai pris en photo juste celui-là. Savez-vous qui il est?
Pourquoi ai-je dit une expo riche en chaleur humaine?
Tout simplement parce qu’organisée par une équipe de personnes vraiment impliquées et passionnées. Ces personnes étaient là, à expliquer, montrer, raconter, partager leur enthousiame.... Et c'était génial.
Je précise que plus des deux-tiers des membres de cette association sont des tunisiens musulmans, mais ils se sont intéressés à la culture judéo-tunisienne parce qu'ils croient en la richesse multiculturelle de la Tunisie, parce qu'ils croient que justement notre diversité crée cette richesse, parce qu'ils savent que notre patrimoine est commun à tous les tunisiens, parce qu'ils ont la foi en notre peuple, en notre pays, en notre force, en notre solidarité.
Nous tunisiens, avons une culture vielle de 3 000 ans et tellement riche.
J'espère que d'autres associations feront un travail similaire, et essayeront de mettre en valeur d'autres aspects de notre culture et de notre patrimoine.
Je vous raconterais dans une autre note le déroulement de la table ronde organisée dimanche autour du thème: ART ET CULTURE EN TUNISIE, HISTOIRE D’UN PLURIEL INTERNE.
Je n'ai publié dans cette note que quelques photos, vous trouverez les autres sur ma page facebook.
Cette exposition consacrée aux grandes tragédiennes qui ont foulé la scène du Palais Garnier depuis son inauguration en 1875 jusqu'en 1939.
L’opéra se nourrit de ses divas, déesses toutes-puissantes, objets de tous les fantasmes, mais également esclaves sacrifiées à leur art, aux compositeurs et à leur public. Cette exposition, organisée par l'Opéra national de Paris et la Bibliothèque nationale de France (Bibliothèque-Musée de l'Opéra), évoque, à travers des photographies, objets, bijoux, maquettes de costumes et documents rares, quelques grandes figures liées au Palais Garnier.
C'était vraiment magnifique.
J'ai pris quelques photos que je partage avec vous.
Comme je l'ai dit il y a quelques jours, j'ai une tonne de photos oubliées sur mon PC et il est peut-être temps de les publier.
L'actualité de la révolution tunisienne est tellement intense qu'il devient difficile de penser à autre chose qu'à ce qu'il se passe quotidiennement dans notre Tunisie.
Hier j'ai trouvé ces photos qui datent de l'été 2011. J'avais des obligations à Paris, mais comme il faut savoir joindre l'utile à l’agréable, j'en avais profité pour faire un peu de tourisme. J'avais donc visité l'Opéra. Je ne savais d'ailleurs pas que l'on pouvait visiter ce palais que je connais depuis de longues années de l'extérieur.
Il y a des siècles lumières, c'est-à-dire lorsque j'étais étudiante, j'avais été à une soirée estudiantine organisée à l'Opéra. Je me rappelle que c'était grandiose. Mais je n'avais jamais eu l'occasion d'y entrer depuis.
L'Opéra Garnier. Beau palais.
J'ai pris la visite guidée. Je vous la conseille si jamais vous voulez visiter.
Je ne vais pas vous raconter l'histoire de ce palais, ni les divers chiffres..., vous trouverez tous ces renseignements sur Internet. Voici le lien du site officiel de l'Opéra pour ceux qui seraient intéressés.
(Cliquez sur les photos pour les agrandir)
En cette fin du mois d’août, l'Opéra se préparait pour la nouvelle saison qui devait débuter quelques jours plus tard. Lors de la visite, nous avions pu voir les techniciens préparer les décors pour le nouveau spectacle La Clémence de Titus. Le nombre de techniciens sur le plateau est impressionnant. Il parait qu'en plus, en début de saison, il faut tout remettre en place, tout re-vérifier... De nos jours, énormément de manœuvres sont mécanisées. Imaginez un peu comment c'était en 1860!!!
J'ai été un peu étonnée par les peintures du plafond. Je les trouvais plutôt modernes par rapport au reste du palais. J'ai eu une explication. Lorsque le palais Garnier avait été construit, l'éclairage électrique n'existait pas. L'énorme lustre (8 tonnes) comprenait des bougies qu'il fallait allumer en début de spectacle. Il parait que sous ce lustre, seuls les hommes prenaient place. Ils étaient les seuls, vu qu'ils portaient des costumes, à ne pas risquer d'être brulés par la cire qui coulait des bougies. Plus tard, les bougies avaient été remplacées par des lampes à gaz. Les peintures d'origine avaient été abimées. Le nouveau plafond date de 1964 et est l'oeuvre de Marc Chagall.
Lors de cette visite, j'ai pu voir une exposition temporaire qui s'y déroulait: Tragédiennes de l'Opéra (1875-1939). C'était vraiment magnifique. Je publierais les photos dès que possible.
J'avais écrit cette note en Aout dernier, et j'avais oublié de la publier. Je le fais aujourd'hui. D'autant plus que c'est quand même d'actualité chez nous, en Tunisie, surtout lorsque l'on voit ce qu'il se passe sur facebook où l'éthique est complètement absente.
J'avais finalement opté pour "L'éducation, vecteur d'une culture politique plus éthique".
Je vous livre ci-dessus les notes que j'avais prises.
Il y avait 3 intervenants.
Christian Saves, politologue et haut fonctionnaire français:
L'éducation doit être au service de l'éthique, d'une culture politique rénovée plus en phase avec l'éthique.
Le système éducatif doit façonner des personnes soucieuses d'éthique, des personnes bien.
1/ L’éducation au service de l'éthique:
Depuis 1945, l'UNESCO est au service de l'éducation. Éduquer quelqu'un, c'est assurer sa formation intellectuelle et morale par la connaissance, c'est lui donner sur le long terme les outils qui lui permettent d'acquérir un esprit critique, une autonomie...
L'éducation doit assurer aux individus la liberté de l'esprit:
* liberté de penser
* liberté de parole
* liberté d'écriture
Ces 3 libertés sont de plus en plus menacées dans les vieilles démocraties par le politiquement correct et les ravages de la pensée unique. Dans les médias, certains tentent de réduire cette liberté de l'esprit en essayant de traquer la pensée "déviante". Le système éducatif doit nous donner les armes pour nous protéger contre ces ravages. Un citoyen responsable doit dénoncer cela et lutter contre ce genre de dérives.
Le système éducatif a un rôle essentiel.
Le système éducatif est un acquis qui doit permettre de former des personnes ayant le souci de l'éthique et seraient à même de concevoir une politique éthique.
La philosophie des lumières s'est également interessée au moyen de rendre l'individu meilleur.
Au coeur de cette éthique, l'individu n'est plus seulement sujet, mais c'est un citoyen ayant des droits. L'Etat doit respecter les droits de l'individu. C'est ce qui a été à l'origine de la modernité et de l'Etat de droit.
Platon défini la cité idéale, pour lui le gouvernement de cette cité doit revenir aux philosophes car ils sont les meilleurs. Aujourd'hui, dans nos sociétés, nous avons perdu les enseignements de Platon et des Lumières.
La pensée unique est un fanatisme. Alain défini le fanatisme comme une compensation du doute.
Il faut refonder notre culture politique pour être en mesure de créer un nouveau rapport avec l'éthique. C'est un chantier ardu mais nécessaire.
Il faut former des individus meilleurs qui ne soient pas seulement meilleurs intellectuellement parlant, mais meilleurs aussi sur le plan de l'éthique. Avant, on enseignait les "humanités" aujourd'hui, il nous faut inculquer des principes qui permettraient de partager un certain humanisme et leur manière d'être.
L'homme a intéret à reconsiderer son rapport à l'éthique.
En démocratie, devenir meilleur est l'affaire de chacun.
Ethique et politique doivent développer une relation dans laquelle elles se respecteront mutuellement.
Les vérités les plus importantes sont celles qui permettent de concilier éthique et politique d'une façon non conflictuelle.
Questions posées par un étudiant: Ne faudrait-il pas dans certains pays émergeant écrire dans la constitution certaines valeurs et textes? Comment des individus non éduqués pourraient-ils être des citoyens conscients?
Oui, bien-sûr. En France, dès 1946, dans le préambule de la constitution certains textes comme la Déclaration des Droit de l'Homme ont été inscrits.
Si par exemple, la Tunisie devait adopter une nouvelle constitution, en plus de la laïcité, qui est fondamentale, le droit à l'éducation doit etre formalisé dans la constitution. De même que l'on devrait envisager dans le préambule certains textes comme la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme pour éviter qu'on puisse y déroger. Inscrire des valeurs dans une constitution est important et nécessaire.
Par ailleurs, il existe une approche comportementale: en démocratie nous sommes tous des citoyens, il nous faut adopter un comportement digne.
Montesquieu disait : "la démocratie suppose la vertu". (La conclusion qu’en tire Montesquieu est en fait une double conséquence : la vertu politique est nécessaire à la conservation de la démocratie, l’éducation est le moyen par lequel se transmet la vertu politique.) Le comportement en politique est un ensemble de manières de penser, d'être et d'agir.
La société civile a un rôle à jouer, elle doit accompagner la transition. Mais elle ne doit pas avoir la prétention de lui prendre sa place. Il ne faut pas sortir d'une servitude pour entrer dans une nouvelle servitude.
"L'homme est né libre et partout il est dans les fers" Rousseau.
Remarque d'un étudiant de Biélorussie: L'éducation doit aboutir à la création d'individus libres. Mais en Bielorussie c'est l'inverse. Il faut être conforme, personne n'est libre, et il y a des risques graves... L'éducation est encore controlée.
La preuve à contrario: l'éducation est un enjeu fondamental et toute dictature essaye de se l'accaparer pour éviter toute contestation possible.
Il faut traquer et trouver les failles. Dans ces constitutions de l'Europe tous les pays ont droit à l'éducation, aux libertés...
L'Etat doit fournir cette éducation et dans certains pays comme la Biélorussie se servent pour la détourner et en tirer profit.
L'Etat ne peut pas fournir l'éducation pour qu'à la fin, l'individu soit un servant et non un citoyen.
Il y a deux types d'éducation:
* version qui dit à l'étudiant ce qu'il doit penser
* version qui apprend à l'étudiant à penser et les bonnes valeurs.
Culture de la pensée unique dans certains pays. En Macédoine, l'éducation est un outil pour inculquer des valeurs, comme le vivre ensemble.
Dans une dictature, la pensée unique est imposée par le haut. Dans une démocratie, la pensée unique est souvent imposée par le bas qui essaye de créer un mouvement pour la faire monter. La pensée unique est dangereuse dans les deux cas. La vigilance s'impose dans les deux cas. Il faut donc toujours lutter. La démocratie n'est pas un acquis définitif. Il faut toujours se battre pour préserver et améliorer ses droits.
Je vous publie ci-dessus un article écrit par un ami. Il s'agit d'une reflexion au sujet de l'article 1 de la constituante de 1959. L'avenir nous dira s'il avait raison ou pas.
Jaouhar M'barek avait déjà soulevé le problème de l'ambiguité de cet article 1 dans son projet DOSTOUROUNA. Dernièrement, j'ai lu un article dans lequel Mohamed Abbou du CPR aurait dit que cet article 1 ne serait pas maintenu dans la nouvelle constitution pour éviter toute ambiguité dans l'avenir.
En ce qui me concerne, j'ai toujours été contre cet article 1 justement à cause de son ambiguité qui lui permet d'être utilisé par les uns et par les autres dans des sens complètement différents. J'avais d'ailleurs refusé de signer la pétition de l'Initiative Citoyenne qui demandai le maintient de cet article 1, et c'était un point de désaccord que j'avais avec le PDM qui préférait le maintenir tout en y ajoutant d'autres articles pour éviter l’ambiguïté.
La rédaction de cet article 1, tel qu'il est, est une brèche par laquelle pourraient s'engouffrer bien des malheurs.
Et je pense que c'est la raison pour laquelle nahdha voudrait le conserver. Il pourrait en effet servir à nous conduire petit à petit vers un État théocratique.
Et rabbi yoster.
La guerre de l’article premier n’aura pas lieu
Sami Bostanji
Professeur à la faculté de droit et des sciences politiques de Tunis
A la faveur d’une liberté d’expression longtemps étouffée, on a assisté au lendemain du 14 janvier à l’émergence au-devant de la scène politique d’un débat fondamental ayant trait aux rapports entre Politique, Droit et Islam au sein de l’Etat. Cela remettait à l’honneur une question centrale, constamment biaisée par les régimes autoritaires qui ont hérité de la phase postcoloniale.
Sur ce terrain miné par les clivages qui séparent les acteurs politiques, un certain consensus semble s’offrir autour du concept d’Etat civil. Ignoré, il y a quelques mois, le terme Etat civil fait une pénétration fulgurante dans le lexique politico-juridique tunisien. Tant et si bien, que les principales parties prenantes au jeu politique en arrivent à oublier leurs dissensions, s’attelant chacune de son côté à lancer un appel non équivoque à couler les institutions de la deuxième république dans le moule de l’Etat civil. Par une sorte d’effet d’attraction, un curieux phénomène de convergence s’établit sur la scène politique tunisienne pour entériner ce nouveau concept.
Pour s’en rendre compte, il suffit d’égrener les positions des principaux pôles politiques en concours : le pôle moderniste progressiste et le pôle islamiste. Dans ce contexte, il est à rappeler qu’après un lâcher d’essai orienté vers la revendication d’un État laïc, les modernistes ont vite fait de changer leur fusil d’épaule. Désormais, ils crient haut et fort que le salut de la Nation passe par la consécration du caractère civil de l’Etat, laquelle consécration est parfaitement conciliable avec le maintien de l’ancienne formulation de l’article premier de la Constitution qui prévoit que l’Islam est la religion de l’Etat tunisien. Quant aux islamistes, leur noyau dur revendique l’Etat civil en précisant toutefois que cet État ne peut se dissocier du référentiel islamique qui est appelé à accompagner, de manière incontournable, toute édification d’un nouveau cadre constitutionnel (Voir en ces sens, l’Interview de l’un des hommes forts du Parti Ennahdha, Ali Laaridh, Journal Le Maghreb, 2 septembre 2011; voir également, Le programme du Parti Ennahdha, Journal El Fejr, 16 septembre 2011).
Est-ce à dire que l’on se trouve en présence d’un concept qui présente des potentialités fédératrices au point de contenir des mouvances qui semblaient prima facie antinomiques ou bien faut-il tout simplement voir dans ce phénomène de convergence une simple manœuvre politicienne destinée « à botter en touche » les questions qui dérangent en attendant la joute finale qui aura lieu sur le terrain de l’élaboration de la nouvelle Constitution tunisienne?
Ces questionnements nous amènent à une introspection théorique de la clef de voûte de ce débat: le concept d’Etat civil.
Dans son acception générale, l’Etat civil s’oppose à l’Etat théocratique. Au rebours de celui-ci, il repose sur l’idée que l’Etat ne peut être défini par une référence quelconque à la religion, fut-elle celle de la majorité de ses ressortissants. Ceux-ci participent à l’exercice de la souveraineté par l’élection de leurs représentants, lesquels représentants sont appelés à forger des normes organisant la vie en société en contemplation des principes d’égalité et de liberté, sans l’interférence d’une quelconque transcendance divine.
L’appel à ce concept nécessite une reconfiguration des notions clés du cadre étatique: société, pouvoir et droit.
La société est identifiée au regard de son appartenance à une nation spécifique constitutive d’un État. La notion d’Umma, autrefois fédératrice de la collectivité, est reléguée au champ du symbolique ou tout au plus, celui du cœur. L’allégeance est donc concrétisée par un lien politico-juridique: la nationalité, lequel lien est rétif à toute interférence du religieux.
Quant au pouvoir, il trouve son fondement exclusif dans la souveraineté populaire. Point n’est besoin ici de chercher une quelconque validation de ce pouvoir au regard du sacré (Compagnons privilégiés du Prophète ou encore un prétendu lien de sang avec un membre de la famille du Prophète). Le gouvernant exerce le pouvoir par la volonté du peuple qui, par le biais de ses représentants, fixe les modalités d’exercice du pouvoir et les conditions au regard desquelles celui-ci prend fin.
Enfin, le droit est désacralisé en ce sens qu’il est dissocié du voile sacré qui l’a toujours couvert en terre d’Islam. Sur le plan formel, le droit n’est plus une production des jurisconsultes, il est désormais l’apanage exclusif de l’Etat qui s’approprie le monopole de la production des normes juridiques suivant des techniques bien établies. Sur le plan substantiel, le droit apparaît comme une médiation entre des intérêts antagonistes. A cet effet, il se présente comme le reflet des besoins et des exigences de la société qu’il prend en charge. Mieux encore, le droit se projette parfois comme un vecteur du changement social emportant dans son sillage une véritable mutation des relations qu’il est appelé à gouverner. Ce droit s’élabore sur terre sans prétention d’ancrage au ciel.
Au regard de cette présentation, on comprend mal comment le concept d’Etat civil peut se concilier avec la référence à l’Islam en tant que religion de l’Etat tunisien. Plaider pour l’Etat civil tout en cherchant à maintenir le lien ombilical avec le modèle originel place les chantres d’un tel discours dans l’impasse: quelle que soit la portée à conférer au référent religieux, le résultat de cet «attelage baroque» pèche par son incohérence. A défaut de pouvoir être justifiée, cette position trouve son explication dans la pression des faits politiques qui balayent toutes les certitudes théoriques et viennent rappeler que la Politique reste avant tout «l’art du possible».
I- Les incohérences du concept
Si l’on affirme, comme le pense en sourdine la frange moderniste que la référence à l’Islam doit être cantonnée dans le champ du symbolique on est alors acculé à s’interroger sur l’utilité d’une telle référence. Sachant que la solution véhiculée par l’article premier a été élaborée dans un contexte postcolonial, on peut émettre de sérieux doutes sur l’opportunité de la pérenniser au-delà de son contexte originel. Il est à rappeler à cet égard que la formulation, à l’aube de l’indépendance, de l’article premier de la Constitution tunisienne véhicule un effet d’annonce à double détente: l’annonce à la fois d’une rupture et d’une continuité par rapport à l’ancien système.
Ce texte évoque la rupture par rapport au passé sur le plan de l’organisation politique. Cette rupture se traduit par le passage d’une monarchie sous protectorat français à un État-Nation indépendant organisé suivant un mode républicain. La rupture vient ici exalter la souveraineté fraîchement acquise du nouvel État.
Quant à la référence aux éléments de continuité, elle permet de rassurer la population tunisienne: le nouveau fait politique n’emporte pas une subversion sur le passé puisque la société tunisienne reste soudée par les segments traditionnels, en l’occurrence la langue et la religion. De ce point de vue, la religion musulmane apparaît comme l’un des éléments fédérateurs de la Nation.
Les prescriptions de l’article premier de la Constitution de 1959 se retrouvent dans la quasi-totalité des Constitutions arabes. Cette disposition s’inscrit dans la voie de l’instrumentalisation des symboles religieux par les acteurs politiques. Lorsque la matrice structurante d’une collectivité est animée par le sacré, le référent religieux reste une source intarissable de consolidation du pouvoir. Il est ici question de capter l’audience et la force structurante de ce référent auprès de la population tunisienne, de l’endosser et de l’afficher afin de profiter des bienfaits de légitimation qu’il emporte. L’utilisation de ce référent apparaît donc comme une nécessité pour des régimes en quête de stabilité. Il révèle également que contrairement aux États laïques, il y a dans ces systèmes une interférence entre le Politique et la Religion. D’un côté, l’Etat gère l’Islam dans l’espace public (organisation de l’enseignement et du culte), d’un autre côté, l’Islam influence certains aspects du système politique (l’exigence par exemple que le chef de l’Etat soit d’obédience musulmane).
Toutefois au-delà de ces aspects, force est de constater que pour le cas tunisien, la place du religieux dans l’édification des institutions juridiques et politiques fut très tôt neutralisée. Cette assertion trouve consolidation, tout d’abord, sur le terrain de l’organisation du pouvoir qui s’est faite selon les paradigmes du constitutionnalisme occidental tournés vers l’idée centrale de limitation du pouvoir. Cette conception se traduit notamment par l’exaltation de l’idée de souveraineté populaire, l’affirmation du principe de séparation des pouvoirs et la proclamation des libertés publiques. Par ailleurs, le législateur tunisien ne s’est jamais obligé à aligner la loi sur les principes de la Sharia; de même, le Conseil constitutionnel n’a jamais contrôlé, de manière frontale, l’islamité des lois.
Certes, certains juges ont vu dans l’article premier, un visa ouvrant la voie à l’interprétation de certains textes, notamment ceux du Code du statut personnel, par référence au droit musulman classique. Néanmoins, une telle lecture ne demeure pas moins contestable dans la mesure où elle se trouve en porte-à-faux avec le caractère national de ce Code ainsi que les principes d’égalité et de liberté de conscience qui coiffent l’ordre juridique tunisien.
Si l’on se place dans la perspective qu’il faut maintenir cet article dans la dimension symbolique qui lui a été attribuée successivement par les régimes de Bourguiba et Ben Ali et qu’il faut, en parallèle, maintenir la perspective de laïcisation du droit, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’utilité d’une telle entreprise.
Y a-t-il, aujourd’hui, un besoin impérieux 56 ans après l’accès du pays à l’indépendance, de faire pareille déclaration identitaire? Avons-nous encore besoin de nous rassurer? Pourquoi s’obstiner à se représenter au regard d’une seule strate identitaire au mépris des autres éléments constitutifs de notre identité? N’est-ce pas oublier que l’identité n’est pas un état mais plutôt un processus. « Elle n’est pas une essence, mais une donnée historique qui se construit, se déconstruit et se reconstruit au gré des conjonctures économiques et sociales, locales ou régionales » (Sélim Abou, De l’identité et du sens, La mondialisation de l’angoisse identitaire et sa signification plurielle Perrin/PUSJ 2009). Notre identité arabo-musulmane, à la supposer exclusive est-elle vraiment menacée dans son existence si on venait à omettre ce genre de mention?
Autant d’interrogations qui fissurent le mur de certitudes des adeptes de cette position. L’Etat civil invoqué est certainement viable sans cet effet d’annonce qui interpelle un référent religieux. Partant du principe que les dispositions inutiles affaiblissent les dispositions nécessaires, le maintien de cette solution devient nuisible car elle nourrit une représentation du droit et de la politique qui tourne le dos à la réalité. Cette attitude schizophrénique joue sur l’ambiguïté de l’association Etat civil – Islamet entretient le flou de ce binôme. Elle appelle à la méfiance car, comme le souligne Edgar Morin « La conscience n’est jamais assurée de surmonter l’ambiguïté et l’incertitude » ( E.Morin, Le paradigme perdu ) . Pis encore en regardant devant soi, l’Histoire nous apprend que l’ambiguïté est souvent le masque derrière lequel s’embusque la perversion.
Mais le danger est plus grand dès lors qu’on réfléchit à dissocier l’article premier de son caractère symbolique pour le canaliser vers un terrain plus concret où il autoriserait une plus grande pénétration de la religion dans les domaines politique et juridique. Ce projet qui tient à cœur à certains dirigeants islamistes et à une bonne partie de la base acquise à leur cause viendrait alors déconstruire un à un les éléments de l’Etat civil par une confusion entre le temporel et le spirituel ; de même qu’il emporterait l’affaiblissement du principe d’égalité qui se trouverait battu en brèche par les nombreuses discriminations véhiculées par le droit musulman classique (discrimination en raison de la religion, du sexe, de l’origine de la naissance…). Enfin, assisterait-on à travers une telle approche à la réactivation in fine d’une identité religieuse aux lieu et place de l’identité nationale. Sous cet angle, Droit et Politique obéiraient à une conception identitaire au sein de laquelle l’Islam transcende les règles appelées à régir les rapports gouvernants-gouvernés et à réguler, de manière générale, l’organisation de la vie sociale. L’incompatibilité de cette démarche avec le concept d’Etat civil est saillante. C’est toute l’organisation rationnelle que présuppose ce concept qui se trouve ici ruinée. S’il est vrai que l’Etat civil est une illustration édifiante de la modernité, il est aussi vrai que celle-ci s’accommode mal de toute transcendance. Comme le souligne Juergen Habermas, la modernité est nécessairement un phénomène endogène; elle ne peut trouver sa référence dans autre chose qu’elle même.
Loin d’assumer les véritables implications de l’Etat civil, les acteurs politiques de la scène tunisienne semblent nourrir ce concept d’une vision qui le délite de sa conception originelle. C’est là qu’entrent en jeu la pression des faits politiques. On sort alors du domaine théorique des concepts pour aller sur le terrain de la stratégie politicienne.
II- La pression des faits politiques
Par l’intermédiaire du concept d’Etat civil, les acteurs politiques simulent l’accalmie en essayant de maintenir les divergences en suspens ; chaque partie cherchant à bénéficier d’un « temps mort » qu’elle espère prolonger à volonté. Derrière cette stratégie commune visant à lénifier les appréhensions d’un électorat que l’on cherche vaille que vaille à captiver, se terrent les mobiles divergents des parties au débat.
Le clan moderniste vise le maintien du statu quo ante : c’est à dire continuer à brandir l’étendard de l’Islam, au plus haut niveau, tout en s’efforçant de neutraliser la charge juridique de cet article premier. Cette partie préfère continuer à surfer sur le flou du texte, à compter sur « la baraka de l’ambiguïté »pour maintenir l’aiguillage du système politico-juridique vers le cap de la sécularisation. Pour elle, la posture idéale est d’esquiver le débat avant le 23 octobre mais également après cette date afin de ne pas entrer dans une bataille où elle risque d’être mise au ban compte tenu du fait que l’Islam conserve au sein de la société une force structurante dont il est difficile de faire fi.
Quant à l’autre partie, elle simule le jeu de la continuité pour ne pas choquer les forces séculières qui, pour des raisons historiques (la Tunisie a été un pays précurseur dans le mouvement réformiste amorcé au milieu du XIXème siècle) et politiques (laïcisation par le haut du système politico-juridique amorcée par Bourguiba et pérennisée par Ben Ali) sont plus vives en Tunisie que dans les autres pays arabes. In petto, la faction islamiste rêve de lendemains prometteurs; des lendemains où elle pourra, à la faveur d’une légitimité solidement acquise, donner satisfaction à une bonne partie de sa base qui réclame le rétablissement de « l’ordre juridique et moral originel ».
Quels que soient les objectifs non avoués des parties en concours, force est de relever que l’abandon de toute référence à l’Islam en tant que religion de l’Etat Tunisien est, aujourd’hui, difficilement concevable. A l’instar des autres sociétés arabes, la société tunisienne demeure profondément marquée par une fibre religieuse. L’Islam est le véritable ciment de la collectivité et le segment indéfectible qui structure la pensée, le comportement et la sensibilité de la collectivité. Il est à la fois croyance, morale, culture… Dans l’imaginaire populaire, renoncer à cette dimension identitaire véhiculée par l’article premier équivaut à se perdre. Conscients de cette réalité, les forces modernistes savent que sur ce terrain, elles ne peuvent réellement aller très loin. D’où la quasi unanimité qui se cristallise dans les milieux politiques progressistes sur le maintien de l’article premier de l’ancienne Constitution.
Pour leur part, les islamistes ont une marge de manœuvre non moins limitée. En effet, si, dans l’absolu, un retour à l’ordre charaïque n’est pas théoriquement exclu, il est d’une mise en œuvre très hypothétique au sein de la société tunisienne. Dans cette collectivité, la modernité ne date pas d’hier. Il n’est point question ici d’une modernité projetée ou différée; bien au contraire, la modernité en Tunisie est une pratique vécue sur les terrains politique, économique et social. La rationalisation de l’organisation de la vie au sein de la société aussi bien sous le rapport individuel que collectif est inscrite dans les mentalités et les mœurs de la société; l’exemple édifiant étant ici celui du statut personnel. Le droit objectif est venu prendre en charge cette modernité emportant dans son sillage la consécration de droits subjectifs qui, par un effet de répétition, vont accéder au rang de droits acquis. Qui plus est, cette rationalisation est aujourd’hui rendue nécessaire par la complexification de la vie sociale, laquelle complexification rend toute remise en cause des paradigmes qui découlent de la modernité difficilement envisageable.
En somme, nous nous trouvons en présence d’une situation qui a atteint un point d’équilibre qui fait que quelque soit le résultat du scrutin du 23 octobre aucun de ces principaux pôles ne serait en mesure d’imposer ses vues à propos de l’article premier, à la partie adverse. Au regard de ces considérations, il est probable que la nouvelle Constitution ne contienne pas d’innovations substantielles sur le terrain de la conception des rapports entre Politique, Droit et Religion; se contentant d’introduire le concept d’Etat civil qui s’apparente ici à «un concept placébo» qui permettra à toutes les parties prenantes de sauver la face moderniste du débat; en même temps, on cherchera à maintenir la référence à l’Islam en tant que religion de l’Etat tunisien pour sauvegarder la dimension identitaire à laquelle tient une grande partie de la population.
Ce positionnement nuancé semble en l’état actuel des choses incontournable. La politique, dit-on, est «l’art du possible»; or n’est possible que ce qui est réellement praticable. Le pragmatisme dans l’appréhension de la situation l’emportera nécessairement sur la logique et la cohérence des concepts.
Dans ces conditions, il est légitime de penser que la guerre tant annoncée de l’article premier n’aura pas lieu.
J'ai adoré. Albert Memmi est un "chef" pour comprendre les hommes et les femmes, et leurs relations. Certaines nouvelles m'ont presque fait pleurer tellement elles sont émouvantes et réelles.
Lors de cette soirée à Beit el Bennani, M.Mustapha Filali, sorbonnard, ancien militant, membre de la Constituante de 1959 et ancien ministre de Bourguiba, était invité pour commenter les photos de l'Assemblée Constituante de 1956/1959.
Malgré son âge (90 ans), M.Filali paraissait bien dynamique et était surtout très intéressant. Grace à toutes les anecdotes qu'il nous a racontées, il nous a fait partager des moments bien sympathiques et inconnus pour la plupart d'entre nous.
Ce soir-là, j'avais pris quelques notes, je vais donc essayer de partager avec vous ce qui avait été dit. Malheureusement, vous ne pourrez pas voir les photos. Je ne connaissais d'ailleurs pas ces photos, elles ne sont pas "célèbres", et c'est là que nous nous apercevons que nous avons de terribles lacunes quant à notre propre histoire.
Je pensais que nous ne verrions que des photos de l'assemblée, mais nous avons aussi vu des photos de la campagne électorale, de meetings politiques, du jour des élections et des gens faisant la queue pour voter.
M.Filali nous a appris que la campagne électorale s'est déroulée dans toute la république, y avaient participé les représentants de l'U.G.T.T., de l'U.T.I.C.A., de l'Union des agriculteurs et du destour. Dans chaque circonsription, les élections étaient libtres et transparentes.
Un journaliste du New York Times était présent et en avait parlé.
Bien que n'ayant pas encore le droit de voter, les femmes étaient présentes en grand nombre dans les meetings. Peut-être pas dans tous les meetings. Peut-être que dans les petites villes, elles ne sortaient pas encore...
Ce qui était étonnant, c'est que la majorité des femmes sur les photos n'étaient pas voilées. Il n'y avait qu'une minorité de femmes portant un sefsari, dont quelques unes avec le visage couvert.
M.Filali nous a appris qu'en 1956/1959, les membres de l'assemblée constituante avaient travaillé sur un texte qui leur avait été présenté. Ce texte initial comprenait 117 (ou 177, je ne me rappelle plus exactement) articles, qui avaient été réduits à 77 articles. Le rapporteur, M.Ali Belhouane avait une connaissance encyclopédique. Il leur avait présenté un texte inspiré de plusieurs constitutions étrangères. Mais malheureusement, cette constitution a été modifiée 16 fois entre 1959 et 1987. Par ailleurs, M.Filali affirme qu'en 1959, cette assemblée avait fait une république "sur les mesures de Bourguiba", aujourd'hui, il faudrait faire une constitution sur les mesures de chaque tunisien. Vraiment chaque tunisien, pas seulement Mohamed Bouziri, mais tous les tunisiens.
Nous avons vu une photo de l'assemblée inaugurale du 08/04/1956 qui a eu lieu dans la grande salle du Bardo. On y remarque la présence du Bey, de plusieurs forces politiques du pays et des représentants de diverses religions.
Habib Bourguiba présidait l'assemblée. Il avait la légitimité de militant en plus de celle d'élu.
Habib Bourguiba était d’ailleurs aussi président du gouvernement. Il avait démissionné de la présidence de l'assemblée pendant un an pour ne pas cumuler les fonctions. M.Jellouli avait été alors désigné comme président de l'assemblée.
En arrière plan de cette photo, on voit, accrochés aux murs, des portraits grandeur nature de 17 beys. Ces portraits avaient disparus à l'époque de la constituante. Par la suite, on s'est aperçu que M.Jellouli les avait fait décrocher et les avait mis dans la cave. Il avait refusé par la suite de les remettre dans la grande salle du Bardo. Ayant appris cela Bourguiba avait répliqué que ces portraits représentaient l'histoire de la Tunisie et les avait mis dans une galerie au palais de Carthage, où ils se trouvent encore. 2 grands beys faisaient partie de cette galerie:
- Ahmed Ier Bey (1806-1855) qui a abolit l'esclavage;
- Moncef Bey (1881-1948), très progressiste, très populaire, très proche du peuple. Il voulait établir une république et abolir le système beylical.
Ils étaient les 2 beys qui étaient patriotes et pensaient au peuple.
Il faut croire que même après plus d'une cinquante d'années, les préoccupations des tunisiens sont les mêmes. C'est dommage, j'aurais cru que certains sujets seraient dépassés, mais... Comme aujourd'hui, d'après M.Filali il y a eu énormément de discussions et débats concernant l'article 1 de notre constitution dont la rédaction définitive a été proposée par Bourguiba.
De même, il y a eu des débats houleux concernant la notion de citoyen. Cette notion concerne-t-elle seulement les hommes ou bien concerne-t-elle aussi les femmes?
Encore une fois, la question a été tranchée par Bourguiba, bien que de façon indirecte. Bourguiba avait accordé aux femmes le droit de vote et avait ainsi mis l'assemblée constituante devant le fait accompli. (Allah yarhmik ya Bourguiba pour ce que tu as fait pour la femme tunisienne).
Le 25/07/1957, proclamation de la république. Chacun des 97 membres de l'assemblée devait répondre par oui ou non à ces deux questions:
- es-tu d'accord pour abolir la monarchie?
- es-tu d'accord pour instaurer une république?
Il fallait que chaque membre réponde individuellement.
Est-ce que tous ont été unanimes pour répondre par l'affirmative?
OUI.
N'y a-t-il eu aucune pression?
NON
C'était il y a un peu plus de 50 ans. Et aujourd'hui...
Le 20 Aout dernier, je suis allée à Beit el Bennani pour assister à la projection de photos de la première Assemblée Constituante Tunisienne, commentées par M.Mustapha Filali, militant et membre de cette assemblée.
Je ne connaissais pas du tout Beit el Bennani, ni n'en avais jamais entendu parler. Quelle ne fut ma surprise de la découvrir. Il s'agit d'une ancienne demeure, transformée par son propriétaire en espace culturel et bibliothèque privée.
(Cliquez sur les photos pour les agrandir)
Cela fait plaisir de voir un espace pareil revivre et servir à la culture.
Cela a aussi été pour moi l'occasion de feuilleter certains livres, et d'en trouver un sur l'histoire de l'Avenue Habib Bourguiba (photos d'anciens immeubles de cette avenue ici). Je vous en parlerais un autre jour.
Merci à mes deux amis qui m'ont fait découvrir cet espace.
Kant publie plusieurs articles de 1784 à 1786, dans lesquels il répond à la question «Qu’est ce que les Lumières?» avant de se passionner pour les événements de la Révolution française. Adepte heureux du despotisme éclairé de Frédéric II, il est sensible au rôle émancipateur d’un courant qui permettra, selon lui, à l’intelligence humaine de parvenir à une sorte de majorité. Peu enclin à l’action collective et politique c’est dans l’exercice individuel de la raison critique, libérée des pouvoirs de la tradition, qu’il voit le progrès essentiel dû aux Lumières.
Les lumières, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est imputable qu’à lui. La minorité, c’est l’incapacité de se servir de son entendement sans la tutelle d’un autre. C’est à lui seul qu’est imputable cette minorité dès lors qu’elle ne procède pas du manque d’entendement, mais du manque de résolution et de courage nécessaires pour se servir de son entendement sans la tutelle d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement : telle est donc la devise des Lumières. La paresse et la lâcheté sont causes qu’une si grande partie des hommes affranchis depuis longtemps par la nature de toute tutelle étrangère, se plaisent cependant à rester leur vie durant des mineurs; et c’est pour cette raison qu’il est si aisé à d’autre de s’instituer leurs tuteurs. Il est si commode d’être mineur. Si j’ai un livre qui a de l’entendement pour moi, un directeur spirituel qui a de la conscience pour moi, un médecin qui pour moi décide de mon régime etc..., je n’ai pas besoin de faire des efforts moi-même. Je ne suis point obligé de réfléchir, si payer suffit; et d’autres se chargeront pour moi l’ennuyeuse besogne. […] Il est donc difficile pour tout homme pris individuellement de se dégager de cette minorité devenue comme une seconde nature. Il s’y est même attaché et il est alors réellement incapable de se servir de son entendement parce qu’on ne le laissa jamais en fait l’essai. Préceptes et formules, ces instruments mécaniques destinés à l’usage raisonnable ou plutôt au mauvais usage de ses dons naturels, sont les entraves de cet état de minorité qui se perpétue. Mais qui les rejetterait ne ferait cependant qu’un saut mal assuré au-dessus du fossé même plus étroit, car il n’a pas l’habitude d’une telle liberté de mouvement. Aussi sont-ils peu nombreux ceux qui ont réussi, en exerçant eux-mêmes leur esprit, à se dégager de cette minorité tout en ayant cependant une démarche assurée. Qu’un public en revanche s’éclaire lui-même est davantage possible; c’est même, si seulement on lui en laisse la liberté, pratiquement inévitable. Car, alors, il se trouvera toujours quelques hommes pensant par eux-mêmes, y compris parmi les tuteurs officiels du plus grand nombre, qui, après voir rejeté eux-mêmes le joug de la minorité, rependront l’esprit d’une estimation raisonnable de sa propre valeur et de la vocation de chaque homme a penser par lui-même. […] Mais ces Lumières n’exigent rien d’autre que la liberté; et même la plus inoffensive de toutes les libertés, c’est-à-dire celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines.
Emmanuel Kant, Qu’est ce que les lumières ? , 1784
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