(…) Les paroles que nous citons ont été prononcées par l’ensemble des prédicateurs, quel que soit le rite auquel ils appartiennent. En voici la teneur:
«Peuple d’Égypte, voici ce que nous dit le Prophète - sur lui le Salut et la Bénédiction: Le sage n’aura pas honte d’avouer son ignorance si on l’interroge sur ce qu’il ne connaît point. Et c’est cela même que nous disons à ceux qui ont déclaré licite l’usage des lanternes qu’ils ont fait placer devant les maisons et les boutiques. Pour légitimer une telle hérésie, on a invoqué la «connaissance des usages du passé et de l’histoire». Tant que nous y sommes, pourquoi ne pas aller jusqu’à prétendre connaître l’avenir?… Nous le disons net. Ces gens-là ne sont pour nous que des mécréants. Ils ont beau nous déclarer qu’il y a des précédents, que, chez plusieurs peuples, dans de nombreuses nations, les autorités ont doté leurs villes de lanternes pour éclairer les rues… Mais - avec tout cela - ont-ils fait état d’un exemple précis? Notre Prophète avait-il besoin de lanterne pour éclairer ses pas lors des deux voyages qui le menèrent, l’un l’été, l’autre l’hiver, en Syrie et au Yémen? A-t-il eu besoin, pour éclairer son chemin, de lanternes fabriquées de main d’homme? Nous le disons tout haut, sans détour, et nous sommes prêts à risquer nos têtes; nous le disons à tous ces ignorants qui ont bien du mal à cacher leur ignorance, nous le leur disons sans crainte - car nous n’avons rien à craindre - habitants de notre pays Égypte, sachez que cette coutume hérétique est sans précédent. Jamais l’usage des lanternes n’a existé. Votre Prophète vous a ordonné de détourner les yeux des parties du corps humain dont la vue offensait la pudeur. Or, les lanternes découvrent ces parties et si le Créateur a instauré la nuit et le jour, la nuit sombre et obscure, le jour resplendissant, c’est qu’il a conçu la nuit comme un voile et un manteau impénétrable. Allons-nous arracher ce voile, allons-nous dévoiler ce que Dieu nous a ordonné de tenir caché? Allons-nous pousser notre insolence sacrilège jusqu’à abolir l’obscurité naturelle de la nuit, et la chasser pour toujours de notre ville? Ce serait là le comble de l’impiété et nous ne saurions le permettre. Ce serait là enfreindre les limites fixées par Dieu aux prérogatives de Sa créature, et nous ne saurions y souscrire. N’était la pureté d’intention du Zayni que personne ne contestera, nous dirions que ces mesures répondent à des desseins inavouables. Mais nous reconnaissons que depuis qu’il a pris la responsabilité de la Censure, nous n’avons eu qu’à nous louer des initiatives qu’il a prises, et cette affaire des lanternes n’entamera pas la confiance que nous avons placé en lui, ne nous inspirera pas le moindre soupçon à son égard.
Habitants de notre ville, adressez-vous au Zayni lui-même, allez le trouver chez lui, individuellement ou en groupe, et demandez-lui qu’on nous débarrasse de ces lanternes qui violent ce qui doit rester secret, qui encouragent nos femmes à sortir après la prière du soir. Allez donc le voir; sachez vous montrer humbles, mais fermes; sachez supplier, mais sachez exiger. Puisse-t-il ne pas vous circonvenir par des paroles habiles et séduisantes. Ne vous laissez pas détourner de votre dessein. Ces lanternes sont un signe de la fin du monde qui n’obéit plus au dessein de son Créateur - que son nom soit exalté! Exigez les pires châtiments contre celui qui a osé inspirer au Zayni une idée si funeste, demandez qu’il soit brûlé à petit feu, lapidé, scié en deux! Ces gens-là sont des ignorants, qui prétendent savoir… Maudit soit le jour qui a vu l’apparition de ces funestes lanternes! Grand Dieu, épargne-nous ce malheur, délivre-nous des maudites lanternes, puisses-tu raccourcir nos vies, pour que nous ne connaissions point ces jours maudits…»
(C’est alors que, dans les mosquées, les fidèles ont éclaté en pleurs, et que certains s’exclamèrent: «Ô Dieu, puisses-tu détruire les maudites lanternes!… Ô Dieu, fasse qu’elles soient mises en pièces et détruites).
Déclaration du Grand Cadi d’Égypte.Texte de la fetwa.
Nous affirmons que l’usage hérétique des lanternes privera le peuple d’Égypte de la protection toute particulière que Dieu, dans Son ineffable sollicitude, lui avait accordée.
Déclaration du cadi du rite hanéfite, qui soutient l’opinion inverse.
La lumière des lanternes chassera les démons, permettra aux étrangers d’y voir clair la nuit et de reconnaître leur chemin; elle empêchera les mamelouks à la solde des émirs ainsi que les bandits de se livrer aux agressions nocturnes dont-ils étaient coutumiers au détriment des pauvres innocents…
Déclaration du Grand Cadi Égypte
L’un de nos grands ulémas s’est rendu coupable d’infraction à la Loi; sa décision est contraire aux principes sacrés qui fondent notre Loi, de même qu’elle contredit la jurisprudence en ce qu’elle justifie l’usage des lanternes.
Aujourd’hui, des émirs de haut rang sont montés à la Citadelle pour être reçus par le sultan. Voici les propos tenus.
L’émir Khaïrbek
Majesté, la décision d’installer ces lanternes dans tous les quartiers de notre ville n’a eu pour autre effet que d’inciter les femmes du commun à sortir de chez elles après la prière du soir - quelle hardiesse! -, à se promener sur la voie publique ou à veiller devant les portes de leur maison ou dans les bazars. Voilà qui enfreint gravement les usages, voilà qui va à l’encontre de la modestie et de la pudeur auxquelles les personnes du sexe doivent être soumises.
L’émir Qoûsoûn
Dorénavant, les jeunes gens ne rentrent que fort tard dans leurs foyers. Voilà qu’ils restent des heures durant, sur la voie publique à réciter des poésies, à chanter; ils s’enhardissent même parfois à narguer nos mamelouks, leur jettent des pierres et leur adressent des paroles injurieuses.
(…)
L’émir Toushtamir
Le Zayni envoie ses hommes, au début de chaque nuit. Ils montent sur leurs échelles de bois, allument les lanternes et les tiennent en état, du moins c’est-ce qu’ils prétendent; en fait, Majesté, et vous tous, nobles émirs, ils ne font rien d’autre que d’épier les braves gens… et nous aussi, par la même occasion; c’est ainsi que l’intimité des foyers est violée par ces tristes individus.
Et tous de s’écrier: «voilà qui est juste! C’Est-ce que nous pensons tous!»
Déclaration du Grand Cadi Abd el-Barr ibn Shihna
Les propos tenus par le cadi hanéfite constituent un précédent extrêmement grave et tout à fait nouveau; il a osé nous contredire; nous considérons qu’il s’agit là d’un incident d’une extrême gravité.
El-Azhar, portique des étudiants de Haute Égypte
Certains étudiants ont approuvé la décision du Grand Cadi. Ils ont fait valoir qu’un homme de son importance ne pouvait pas condescendre à s’occuper de cette question de lanternes que si l’affaire était de taille, contrairement à ce qu’il apparaissait à d’autres.
(…)
Un étudiant nubien posa la question de savoir si un Grand Cadi pouvait jamais se tromper. Mansour, s’adressant à Saïd, lui dit qu’il n’était pas d’accord avec lui:
- Qu’avait-on besoin d’adopter des usages si extravagants et si peu conformes à la tradition, n’y avait-il pas d’autres affaires plus importantes? Le Zayni ferait mieux de s’en occuper. Et puis franchement Saïd, cette innovation ne me dit rien qui vaille.
(…)
Une phrase qu’on entendit plus d’une fois dans les rues et les mosquées: «Maudites soient ces funestes lanternes. Puisse Dieu nous en débarrasser! Maudites soient ces funestes lanternes!».
Quel souffle allégorique, mais quelle liberté aussi. ça y est il faut que je le lise. l'ouvrage dont tu as tiré les extraits est traduit par qui? stp
Rédigé par : Azwaw | 19/09/2007 à 13:19
je persiste et je signe. il faut lire ghitany en arabe.
le texte ci dessus souligne suffisamment cette necessite(ce passage est incolore,inodore etinsipide).l'original est marrant,caustique etdesopilant. vous pouffez de rire a lire ghitany decrire la nomenklatura nasserienne( sous couvert d'evenements supposes s'etre passes au moyen age)
Rédigé par : kissa-online | 19/09/2007 à 15:07
@ Azwaw:
Traduit de l'arabe par Jean-François Fourcade.
@ Kissa-online:
Sûrement. En version originale, le texte est sûrement plus expressif.
Comme je te l'ai dit, je ne connaissais pas du tout cet auteur. Je suis tombée par hasard sur ce livre, je l'ai acheté.
Je ne suis pas d'accord lorsque tu dis que cet extrait est insipide et incolore, pour moi, il ne l'est pas. En ce qui me concerne, c'est surtout le sens qui importe. Et le sens est clair. C'est une parodie et une dénonciation des pseudo-religieux qui pensent tout savoir, et qui détournent la religion en lui donnant un sens erroné. Ils arrivent à manipuler les gens et même à leur faire refuser ce qui est bénéfique pour eux.
Rédigé par : Massir | 19/09/2007 à 15:44
Bonsoir Massir, je suis juste passé pour te dire que c en effet pas moi qui a publié des commentaires injurieux sur ton blog, j'éspere que tu les as déja effacés. ça doit être l'oeuvre de l'un de ces bons musulmans qui font de leur mieux pour combattre les forces du mal!
lol, rabbi yéhdi!
Rédigé par : BIG TRAP BOY | 19/09/2007 à 21:31
Je rejoins Kissa-on-line. Si ma mémoire est encore bonne ce livre s'intitule
الزيني بركات ابن موسى
et on peut le trouver dans la collection
عيون المعاصرة
Rédigé par : mahéva | 20/09/2007 à 01:33
Je reviens. Quand tu termines ta lecture, tu peux voir ce qui est écrit ici http://www.alwatanvoice.com/arabic/pulpit.php?go=show&id=75626 pour te faire une idée sur quelques points qui t'auraient échappé. Bonne lecture.
Rédigé par : mahéva | 20/09/2007 à 02:12
@ BTB:
Je le sais, je n'en ai pas douté une seule seconde!
@ Mahéva:
Grâce à plusieurs bloggueurs, j'ai quand même lu mon premier livre en arabe depuis 1982
http://massir.blogs.psychologies.com/mon_massir/2007/09/immeuble-yacoub.html
Mais je n'ai pas encore le réflexe de chercher systématiquement à lire les livres en VO.
Le prochain est "Chicago", je l'ai téléchargé, mais pas encore imprimé.
En réponse à ton mail: quelque soit X, il faut que je bouquine. Je ne peux rester sans!
C'est mon blog qui pâti de mon manque de temps ces derniers jours.
Rédigé par : Massir | 20/09/2007 à 10:56
assez marrant, oui la bêtise humaine est grande, je vous conseille d'aller jeter un coup d'oeil pour vous marrer sur le site de "jame3 el azher", je vous garantie que vous pouvez vous marrer,en lisant toutes les stupidités et les grossières fatwas qui sont publiées, je le visite quand je suis dépressif, là je me marre, il y'en a pour tous les gôuts:)
sourire garantie:)))
Rédigé par : selim | 20/09/2007 à 14:15
Je m'attendais à autre chose de la part d'un grand roman historique égyptien contemporain... Le sujet traité me parait irrémédiablement moderne. L'auteur a prétendu que ce livre était littéralement intraduisible, ce qui ne l'empêchait pas d'apprécier (par le biais de son épouse, car il ne parle pas français) la traduction de feu Jean-Pierre Fourcade.
Rédigé par : Naravas | 05/06/2009 à 22:34
Pourquoi un "grand roman historique"?
Qu'est-ce qu'un roman historique?
Pour moi, ce roman est moderne, et traite de problèmes modernes. Ou peut-être intemporels?
Peut-être "l'habit" historique est-il juste là pour dire qu'ils s'agit de problèmes anciens, qui durent depuis des siècles et qu'ils se posent encore de nos jours?
Il y a deux ou trois jours, j'ai vu un documentaire sur la Amenotep III et Amenotep IV, qui n'est autre qu'Akhenaton, et tu peux me croire, les problèmes posés à l'époque sont aussi semblables aux problèmes posés à notre époque. Portant des milliers d'années sont passées...
Rédigé par : Massir Destin | 12/06/2009 à 19:47