Partie I: "Le harem des femmes occidentales" (I)
En Occident, les armes utilisées par les hommes pour circonvenir les femmes sont pratiquement invisibles: ils manipulent le temps. Les images, c'est du temps condensé. Ils n'obligent aucune femme à se conformer à l'image idéale ni à porter la taille 38 en lançant la police à ses trousses comme le font les ayatollahs après celles qui laissent glisser leurs tchadors. Ils ne disent rien. Sauf que le jour où vous voulez acheter une jupe, on vous annonce que vous êtes un monstre. On vous laisse digérer seule votre déconfiture. On vous oblige à analyser votre situation et à conclure comme ils le désirent: le vieillissement, pourtant inéluctable, est un acte coupable. (...) Mais le voile tissé par le temps qui passe était plus épais, plus absurde encore que le voile et le contrôle de l'espace des ayatollahs.
(...) La violence que constitue le harem occidental est peu visible parce qu'elle est maquillée en choix esthétique. (...) De la même façon, la femme parfaite occidentale bride ses hanches afin qu'elles gardent la mesure idéale. Nous les musulmanes jeûnons un mois par an. Les Occidentales jeûnent douze mois par an.(...)
Selon l'écrivain Naomi Wolf, le poids des tops models, images contemporaines de la beauté idéale, ne cesse de s'éloigner du poids de la population féminine dans son ensemble. (...) Ce retrecissement de la sillouhette idéale est à l'origine, selon Naomi Wolf, de l'accroissement des cas d'anorexie et autres problèmes de santé: "Les troubles de la nutrition augmentent de façon exponentielle, et des quantités de névroses sont apparues dans lesquelles la nourriture et le poids servent d'agents déclencheurs [...] à la dégradation de la santé mentale." Le harem occidental prenait à présent tout son sens. Espace sur la rive sud de la Méditérranée, temps sur la rive nord. Mais l'objectif reste le même: donner aux femmes un profond sentiment de gêne, d'incertitude, de honte.
L'homme occidental dicte à la femme des règles qui régissent son aspect physique. Il contrôle toute l'industrie de la mode, depuis la conception des cosmétiques jusqu'à la diffusion des soutiens-gorge. L'Ouest est en effet la seule région du monde où le vêtement féminin est une industrie essentiellement masculine. Ailleurs, dans des pays comme le Maroc où vous dessinez vous-même vos vêtements et en contrôlez la fabrication, la mode est une affaire strictement individuelle. Pas en Occident, où l'individualisme règne partout sauf lorsqu'il s'agit de mode. Là, c'est le règne de la loi de la horde: le conformisme est de rigueur. Naomi Wolf explique, dans Le mythe de la beauté*, que les hommes ont mis au point une incroyable machine fétichiste: "De puissantes industries - 33 milliards par an pour les produits de régime, 20 milliards par an pour les cosmétiques, 300 millions pour la chirurgie esthétique, 7 milliards pour la pornographie - ont jailli de cette mine que sont les angoisses inconscientes. En retour, elles engendrent et façonnent l'hallucination collective comme dans une spirale infernale".
Le Harem et l'Occident - Fatema Mernissi.
* Naomi Wolf, The Beauty Myth: How Images of Beauty Are Used Against Women (1991).
Je suis un lecteur assez assidu de votre blog et après avoir perdu confiance dans l'émergence de "têtes tunisiennes bien faites", je découvre petit à petit un monde "en apparence" généreux et assez loin des futilités quotidiennes de notre société. Bref, je voulais tous simplement vous prier, vous femme, d'arrêter de mettre sur le dos des hommes tout et n'importe quoi, vous avez atteint un niveau de maturité qui vous permet, normalement, de dépasser ces vieux clichés, justes certes, mais non positifs.
Je crois en la générosité des femmes et je suis intimement convaincu que le monde ira mieux sous leur autorité, mais SVP, arrêtez les lamentations :-)Excusez mon intrusion
Rédigé par : Terrien | 26/06/2007 à 16:44
- "A l'encontre du musulman qui limite son opression à l'espace public, l'homme occidental manipule le temps et la lumière."
- "L'homme occidental dicte à la femme des règles qui régissent son aspect physique. Il contrôle toute l'industrie de la mode, depuis la conception des cosmétiques jusqu'à la diffusion des soutiens-gorge."
Je suis bien d'accord que ces phénomènes sont rééls, qu'ils existent, encore qu'ils ne sont pas suffisamment décrits dans cet extrait (et dans le livre je pense). Mais pourquoi c'est les hommes qui en profitent systématiquement ? Les hommes sont-ils les seuls à être aux commandes de l'industrie de la mode? Sont-ils les seuls à en empôcher les dividendes? Le corps masculin n'est-il pas lui aussi soumis aux normes de la mode ? Je pense que Fatima Mernissi reste prisonnière du schéma patriarcal : homme dominant/femme dominée. A mon sens, Bourdieu a fait un excellent pas en avant en montrant que la domination n'est pas celle des hommes mais celle du "masculin", celle du principe masculin, qu'il soit réalisé, manipulé, utilisé par les hommes ou par les femmes.
Rédigé par : Naravas | 26/06/2007 à 19:14
PS/
je rajoute que je parlais de domination masculine (et non de domination des hommes) dans le monde, dans les pays développés [je n'aime pas parler de l'Occident, c'est un terme idéologique].
Au Maghreb, en revanche, les femmes sont dominées par le Masculin, ensuite elles sont (re)dominées par les hommes, souvent plus inintelligents et plus incultes qu'elles, surtout quand ils sont âgés et illettrés. Et toute la question tourne autour de leur sexualité, que les gardiens de l'honneur souhaiteraient leur confisquer. Attention à ta soeur, sinon elle perdra sa virginité, sinon les autres "te la baiseront" (excusez moi le terme) et tu sera la honte du quartier. Voilà le mot d'ordre...
Je dis cela pour que des islamo-conservateurs éventuels ne détournent pas mes paroles.
Rédigé par : Naravas | 26/06/2007 à 19:24
@ Terrien:
Que penser et que comprendre de ton commentaire?
Grande question!!!
Est-ce un compliment ou au contraire une critique?
C'est mon blog qui t'a donné de l'espoir, ou au contraire, c'est lui qui te déçoit?
Cela veut dire quoi en apparence "généreux"?
Bref, j'aimerais bien comprendre.
Je ne pense pas que Fatema Mernissi se lamente. Je dirais plutôt qu'elle constate et essaye de comprendre.
Rédigé par : Massir | 26/06/2007 à 22:21
@ Naravas:
Moi, j'aime bien lire Fatema Mernissi. Et j'ai adoré ce chapitre de son livre. Je ne pouvais bien-sûr pas tout recopier.
Je trouve qu'il pose beaucoup de questions intéressantes, et je suis vraiment étonnée qu'il n'y ai pratiquement pas de commentaires (peut-être que les lecteurs n'aiment pas les sujets sérieux!!!).
Ce chapitre m'avait au début interpellée parce que j'avais vécu la même mésaventure à Paris il y a environ 3 ans. Une vendeuse m'avait regardé de haut, avait éclaté d'un rire moqueur et m'avait répondu: "Madame, ici, on s'arrête au 42"!
Et les années passant, je m'aperçois que Fatema Mernissi décrit et explique très bien la situation.
Elle va enchainer d'ailleurs sur Bourdieu, et son livre "La domination masculine".
Elle cite d'ailleurs un petit extrait de ce livre "La domination masculine qui constitue les femmes en objets symboliques dont l'être (esse) est un être perçu (percipi) a pour effet de les placer dans un état permanent d'insécurité corporelle ou, mieux, de dépendence symbolique: elles existent d'abord par et pour le regard des autres, c'est-à-dire en tant qu'objets acceuillants, attrayants, disponibles".
Rédigé par : Massir | 26/06/2007 à 23:31
Oui, ce passage de la Domination masculine est vraiment mémorable. La femme comme être perçu. Voilà, c'était juste une remarque, Fatima Mernissi est bien entendu un auteur à lire. Dommage que ça n'intéresse pas grand monde lol ;-)
Rédigé par : Naravas | 28/06/2007 à 22:01
@ Naravas:
Tu es tellement admirateur de Bourdieu que tu m'as donné l'envie de le "connaître". J'ai eu tout un dossier sur lui, mais je n'ai pas encore eu le temps de le lire. Peut-être cet été.
Est-ce que tu bouges de Paris?
Rédigé par : Massir | 29/06/2007 à 14:58
N'est ce pas ce genre de pratiques qui réduit une femme au statut d'un objet sexuel et la vide de son coté humain ? Serait il d'ailleurs exagéré de dire que cette vision présente une certaine similitude avec l'autre extrême qui veut réduire la femme à une silhouette voilée ?
Rédigé par : citizen | 04/07/2007 à 17:47
@ Citizen:
C'est vrai.
MAIS, ici, à Tunis, pouvons-nous, nous les femmes, y échapper?
Lorsque je vois que le sport favori des tunisiennes est devenu la chasse à l'homme, je ne sais pas si nous pouvons ne pas entrer dans la course d'une façon ou d'une autre!!!
Rédigé par : Massir | 04/07/2007 à 21:08
Eh bien, avec Bourdieu, c'est le "continent social" qui s'ouvre à toi ;-) Un peu ardu, il faut choisir son angle d'attaque (Questions de sociologie par exemple) et un bon lexique de sociologie bourdieusienne. Bon courage ;-)
Non, je ne bouge pas cet été, peut-être après le ramadhan ou juste avant.
A bientôt !
Rédigé par : Naravas | 04/07/2007 à 23:54
@ Naravas:
Nous pourrons peut-être diner ensemble la semaine prochaine.
Mon mari a beaucoup apprécié vos discussions de l'autrte fois.
Je t'appelle.
Rédigé par : Massir | 04/07/2007 à 23:58