Sur les conseils de Bassem Samra, l'acteur qui joue le rôle du mari de Zet, j’ai regardé le feuilleton égyptien « une fille nommée Zet بنت إسمها ذات ». J’ai tellement adoré que j’ai vu les 31 épisodes en 3 jours.
Lorsqu’il m’en a parlé, je pensais que j’aurais affaire à un feuilleton comme j’en voyais il y a quelques années, une banale histoire quelconque…
Mais ce que j’ai découvert est tout autre. Le feuilleton nous raconte la vie de Zet, une femme née le 23 Juillet 1952, le jour du coup d’Etat des Officiers Libres contre le roi Farouk.
Nous suivrons Zet pendant des années, de juillet 1952 jusqu’au mois de janvier 2011, date de la révolution tunisienne.
A travers la vie de Zet, nous allons revivre l’Histoire de l’Egypte et même un peu du monde arabe. Le feuilleton va nous montrer à quel point les évènements et décisions politiques influent sur nos vies. Nous verrons d’ailleurs tout le long du feuilleton de très nombreuses images d’archives et d’extraits de journaux télévisés. Il y aura des extraits de discours de Nasser, de Sadate, mais aussi de Bush et d’Obama. Il y aura des images de diverses guerres : la guerre des six jours, la guerre du Koweit, la guerre d’Irak, des images du 11 septembre 2001, des images de divers attentats…
Le feuilleton va se baser principalement sur deux axes :
- l’Histoire de l’Egypte de 1952 à 2011 et l’évolution de la société égyptienne. Nous verrons comment la société va changer petit à petit, comment les mentalités vont changer, comment l’enseignement va se dégrader, comment les valeurs vont petit à petit disparaitre, comment l’islamisme va s’installer, les relations hommes/femmes vont aussi évoluer…. - l’histoire personnelle de Zet, et à travers elle, je trouve qu’un hommage est rendu à la femme égyptienne, mais aussi à la femme arabe. On veut occulter le rôle de la femme, on veut la soumettre… mais en fait, la femme est la colonne vertébrale de la famille et par là de la société. C’est elle qui donne naissance, c’est elle qui élève, c’est elle qui soutient, c’est elle qui nourrit, c’est elle qui conseille, c’est elle qui travaille dedans et dehors, c’est elle qui soutient le mari opposant, le mari soulard, le mari travailleur, le mari chômeur…
Le feuilleton est très bien fait. Les costumiers, les accessoiristes et les techniciens du décor ont fait de l’excellent travail. Ils nous ont fait traverser les années subtilement. Tout change, en particulier les costumes, et on ne s’en aperçoit presque pas. Cela se passe doucement, comme dans la vraie vie. Le feuilleton commence d’ailleurs avec des femmes bien mises, bien maquillées, bien coiffées, portant des robes courtes, bien ajustées, très colorées, pour finir avec des femmes pratiquement toutes voilées portant des vêtements amples cachant toutes leurs formes. Pareil pour les quartiers, les immeubles, les rues… qui au début du feuilleton étaient neufs, en bon état, propres… et finissent par être délabrés, sales… On voit aussi l’appauvrissement des classes moyennes qui ont vues leur niveau de vie se dégrader au fil des années.
Le jeu des acteurs est excellent. Zet est joué par l’actrice Nelly Karim que je n’apprécie pas particulièrement mais qui a vraiment très bien joué le rôle. Vraiment très bien. Bassem Samra joue le mari de Zet, et il y excelle. Mais bon, lui excelle dans tous ses rôles je crois. Il a cette capacité, non pas de jouer un rôle, mais de devenir ce rôle, devenir le personnage qu’il est censé jouer.
Cela fait des années que je n’ai pas regardé un feuilleton égyptien, et là, je me suis vraiment régalée. J’ai passé d’excellents moments et cela m’a donné envie de partager avec vous tous.
Mon conseil : regardez « une fille nommée Zet ». Il se trouve sur youtube, ici (cliquez sur le lien) Quant à moi, je vais essayer de trouver le livre dont a été tiré ce feuilleton et le lire.
J'ai écrit ce texte dans le cadre du groupe facebook Reading Corner (présentation audio ici) . Il fait suite à des textes écrits par 3 membres du groupe qui décrivent chacun un des personnages de l'histoire: la maitresse, le mari et l'épouse. J'ai repris le personnage de l'épouse, 10 ans plus tard. J'ai gardé la même structure du texte que les autres membres. Toute l'action se passe en quelques minutes. L'heure est indiquée à chaque fois. Il s'agit donc d'une fiction écrite à 4 mains, chacun décrivant un personnage et ses sentiments, son vécu...
L’heure fatidique. C’est toujours à 18h que mon cœur commence à
battre et que le doute m’attaque. Ce soir, va-t-il rentrer à la maison
ou pas ?
Cela fait 10 ans que cela dure. Depuis le jour où j’ai appris son
infidélité, je n’ai jamais pu oublier ni lui refaire confiance. Une amie
a dit un jour que lorsqu’un vase en cristal se casse, on peut le
recoller, mais il ne sera jamais aussi beau. Pareil pour la confiance.
On ne peut plus jamais faire confiance à une personne qui a trompé.
C’est ainsi.
Il est vrai qu’il a pleuré, qu’il a supplié, qu’il a promis…Il est
vrai que depuis 10 ans je n’ai jamais rien remarqué de louche, mais rien
à faire, le doute est là.
10 ans. Mais les plaies restent ouvertes. Impossible à cicatriser.
Impossible. Lorsque l’on se donne entièrement à une personne, on ne peut
comprendre qu’elle nous trompe. La pire des trahisons.
Je regarde l’heure. Je vais moi-même quitter mon bureau bientôt, mais
en esprit, j’ai déjà fermé mes dossiers. Va-t-il rentrer à la
maison ?.
18h10
Je m’impatiente. Je ne tiens plus en place. Je me balance dans mon
fauteuil. Je range mon bureau. Je jette un coup d’œil à mon PC. Allez,
un petit coup d’œil sur facebook fait passer le temps plus vite. Mais
rien à faire, la concentration est ailleurs.
A-t-il quitté son bureau ? Est-il en route ? Rentre-t-il à la maison ?
L’appeler pour voir ?
Non. Il ne faut pas.
Il ne faut pas qu’il sache.
Et puis, appeler sur un portable ne sert à rien.
Appeler sur le fixe ? Mais quelle excuse donner ?
Non, il vaut mieux ne pas appeler. Patience. Dans quelques minutes je serais fixée.
18h15
Je commence à fermer mes dossiers. De toute façon, je ne
comprends plus rien. Je reprendrais demain. Il est temps de partir.
S’il a quitté son bureau, il doit être à mi-chemin. Rentrera-t-il à la
maison ?
J’en ai marre. Je lui en veux encore et encore.
Pourquoi nous a-t-il fait cela ?
Pourquoi ?
Merde lui et sa crise de la quarantaine. Et merde à ses jérémiades.
Merde à ses reproches. Ces connards veulent se marier, veulent fonder
une famille et ensuite ils se plaignent des conséquences. Ils veulent un
hériter, mais ne veulent pas des couches-culottes. Ils veulent un fils
pour parader, mais ils ne veulent pas d’un bébé qui pleure, d’un enfant
malade, des devoirs à faire, des examens à passer… Ils s’imaginent quoi
ces connards, que les enfants poussent tous seuls ?
18h20
Je ramasse mon sac. J’éteins les lumières. Je quitte mon bureau. Je
n’habite pas loin, je serais à la maison dans 5/10 minutes. Juste à
temps. S’il est sorti à l’heure, nous arriverons à la maison en même
temps. Mais rentrera-t-il à la maison ?
S’il n’a pas tardé au bureau, il devrait être là dans une dizaine de minutes.
Je déteste cette angoisse. Je déteste ce poids que j’ai sur le cœur.
Je déteste ce moment de la journée. Je déteste cette sensation
d’étouffement. Depuis 10 ans, c’est tous les jours la même chose. Soit
il rentre à la maison et je peux enfin respirer, soit il ne rentre pas,
et là…
Parfois je me dis que c’est ridicule de ma part. Après tout, il peut
toujours trouver un moyen, une excuse pour quitter son bureau dans la
journée. Un rendez-vous avec un client, avec un fournisseur… Je sais. Je
sais très bien que je suis ridicule. Mais c’est ainsi. C’est à partir
de 18h que commence mon angoisse. Il est vrai que je m’arrange de temps
en temps pour téléphoner à son bureau pour vérifier s’il est bien là.
J’appelle sa secrétaire pour demander quelque chose et je m’arrange
toujours pour lui demander s’il est à son bureau. Bien-sur je n’exagère
pas pour qu’elle ne comprenne pas, mais… mais cette angoisse sourde est
bien là.
18h22
Je suis dans ma voiture. Je divague un peu. J’allume la radio, mais
je ne l’écoute pas. Comment pourrais-je l’écouter d’ailleurs alors que
toutes mes pensées sont avec lui ? Rentrera-t-il à la maison ce soir ?
Il sort de temps en temps, il boit un verre avec des copains, il a
des RDV d'affaires. Mais... Et si un jour il en profitait pour me
tromper encore une fois?
Et si... Et si... Et si…
J’en ai marre des « et si », mais je ne peux m’empêcher d’y penser. Et si…
Et s’il rencontrait Hana ? Et s’il rencontrait une autre femme ? Et
s’il tombait amoureux d’une autre ? Et si… En fin de compte, je ne me
sens rassurée que lorsqu’il est à la maison. Mais ce soir, va-t-il
rentrer ? Tout mon être ne vit que pour cette question cruciale :
va-t-il rentrer à la maison ?
18h30
Dès que je tourne dans ma rue, mon cœur fait un bond : sa voiture
est-elle là ? C’est le premier indice chaque soir. Sa voiture est là, je
suis un peu rassurée. Pas de voiture, l’angoisse grandit.
Bédis est rentré. Il me parle. Plongée dans mes pensées, je l’entends
à peine. Le pauvre, cela fait des années qu'il pâtit de la situation.
J'ai des remords parfois lorsque je me rappelle que je ne lui ai pas
consacré le temps qu'il aurait fallut, obnubilée que j'étais par mes
problèmes d’infidélité.
Bédis, mon fils, je me sens coupable de t’avoir fait vivre toutes mes
sautes d’humeur, toutes mes angoisses, toutes mes peurs. Je me sens
coupable mon fils de t’avoir fait traverser tous ces orages. Je suis
coupable mon fils. Je sais, j’ai essayé d’être une bonne mère, mais je
ne l’ai pas été d’une façon continue. Il y a des jours où je suis
arrivée à surmonter, mais je sais que parfois j’ai été lamentable. Il y a
des jours où je n’ai pas su cacher, je n’ai pas su cacher mes larmes,
je n’ai pas su cacher ma colère, je n’ai pas su cacher ma douleur, je
n’ai pas su cacher mon désespoir…
Tu es presque un adulte aujourd’hui mon fils, et je suis sure que tu
as commencé à comprendre. Je suis sure que tu as compris que ta mère a
lutté pour sa famille. Je suis sure que tu as compris que ta mère a mené
une dure bataille pour arracher ton père des griffes de cette femme. Un
jour peut-être que je te raconterais les détails. Oui, peut-être un
jour lorsque tu seras en mesure de vraiment comprendre. Un jour, tu
comprendras mes absences. Un jour tu comprendras pourquoi tu n’étais
plus ma priorité. Un jour tu comprendras ces longs séjours qu’enfant tu
as du passer chez mamie. Maman était occupée chéri. Maman devait faire
revenir Papa à la maison. D’ailleurs, ce soir, Papa rentrera-t-il à la
maison ?
18h32
Il n’est pas encore là. Où est-il ? Où est-il ?
A-t-il été retenu au bureau ?
Peut-être est-il allé acheter des cigarettes ?
Peut-être s’est-il arrêté pour mettre de l’essence ?
Où est-il ?
Le nœud au ventre commence à se former. Ce nœud au ventre qui m’avait
pliée en deux le soir où j’avais appris avec certitude sa trahison. Ce
jour-là, j’avais compris, mais j’avais du garder un visage de marbre
pendant des heures.
Cela faisait quelques temps que j’avais commencé à avoir des
soupçons. J’avais remarqué qu’il avait changé. Depuis combien de
temps avait-il changé? Je ne sais pas. Bédis était encore un petit
enfant, il me prenait beaucoup de mon temps. Je m’occupais de mon bébé,
je m’occupais de notre foyer. Je pensais qu’il comprenait cela. Je ne
faisais pas très attention. Mais, à un certain moment, des détails
avaient attiré mon attention. Il avait changé. Il était devenu
distrait. Il rentrait de plus en plus tard. Il dinait souvent dehors.
Ses RDV d’affaires commençaient à devenir plus fréquents, très fréquents
même. Souvent, lorsqu’il était dans la salle de bain, il téléphonait.
Il était d’ailleurs souvent accroché à son téléphone. Alors que
d’habitude il le laissait trainer partout, il ne s’en séparait presque
plus. Il parlait à voix basse. Il s’interrompait lorsque j’arrivais.
Cela devenait louche.
Un matin, je m’étais levée avant lui. En traversant le hall, j’avais
vu son téléphone. Chaque soir, il le gardait à sa portée sur sa table de
chevet, mais ce matin là, le téléphone était sur la console dans le
hall. Il l’avait oublié.
Dès que j’avais vu ce téléphone, je m’étais arrêtée net. Je ne
pensais plus à rien d’autre qu’a ce téléphone. Comme si tout d’un coup,
j’avais tout compris. Dans ce téléphone, je trouverais la réponse à mes
questions. Dans ce téléphone.
En plusieurs années de mariage, je n’avais jamais fouillé ses
affaires personnelles, je n’avais jamais lu ses papiers, je n’avais
jamais touché ses tiroirs, je n’avais jamais ouvert son portefeuille, je
n’avais jamais pensé à fouiller son téléphone. Je respectais son jardin
secret et surtout, je lui faisais confiance.
Mais ce matin là, j’étais comme hypnotisée. Je regardais ce
téléphone. Son téléphone. Son téléphone qui devait savoir bien des
choses. Après un moment de stupeur, j’ai pris ce téléphone. Je
tremblais. Oui je tremblais. Comme si j’allais commettre un crime mais
ne pouvait m’empêcher de le commettre.
Je tremblais de la tête aux pieds. Mais il fallait le faire. Il fallait savoir. Il fallait s’assurer.
J’avais regardé le journal des appels. Rien de particulier. Je
n’avais rien remarqué de particulier. Ou peut-être que je n’avais pas su
remarquer ce jour-là. Mais les SMS. Mon Dieu les SMS! Des RDV. De
l’érotisme. Des mots d’amour. D’amour oui. Des mots d'amour, mais qui ne
m'étaient pas adressés.
Je ne sais pas comment j’avais pu remettre ce téléphone à sa place et
commencer ma journée comme si de rien n’était. Ce jour-là, nous devions
passer la journée avec des amis. J’avais essayé de paraitre naturelle.
Personne ne devait se rendre compte de quoi que cela soit. Je ne sais
toujours pas comment j’avais eu la force de garder le sourire, de
bavarder, de manger, de m’occuper de mon fils, de lui faire des sourires
à lui, de m’assoir à ses cotés. Je n’avais flanché qu’en voiture.
Juste un petit moment. Une chanson d’Om Kalthoum passait à la radio.
Prémonitoire ? Cette chanson disait: khallini ganbak khallini.
Laisse-moi à tes cotés. Laisse-moi. Est-ce ce que je voulais ? Je ne
savais pas à ce moment-là. Mais cette chanson avait libéré quelques unes
des larmes que je refoulais.
Il avait été étonné. Que se passe t il? Pourquoi pleures-tu ?
Rien. Rien vraiment. C’est juste que la chanson est triste.
M’avait-il crue ? Avait-il soupçonné quelque chose ? Je ne saurais dire.
Cette nuit-là, j’avais crié. J’avais hurlé de douleur.
Alors que tous dormaient, je m’étais enfermée dans le séjour et
j’avais hurlé. HURLE. Au sens propre. J’avais HURLE. Hurlé mon
étonnement. Hurlé ma douleur. Hurlé mon désespoir. HURLE. Pourquoi ?
Pourquoi ? POURQUOI ????
Qu’avais-je fait pour qu’il me trompe ?
Qu’avais-je qui ne lui plaisait plus ?
Qu’avais-je fait pour qu’il aille voir ailleurs ?
POURQUOI ?
Je me tenais au milieu du séjour et je hurlais.
L’étonnant est que personne ne s’était réveillé, ni lui ni Bédis.
Parfois je me demande si j’avais réellement proféré des sons, pourtant
j’avais hurlé.
Comment avais-je donc hurlé ?
Ce hurlement m’était sorti des entrailles. Ce hurlement m’était sorti
du plus profond de mon être, du plus profond de mon cœur, du plus
profond de ma blessure, du plus profond de ma détresse. Et du plus
profond de ma déception. Lui, traitre ? Lui ? Lui, mon amour, mon homme,
mon compagnon, mon Dieu. Lui ? Lui me mentir ? Lui ? Lui ?
Je ne sais plus comment, mais je sais juste que j’avais HURLE.
18h33
Il n’est pas encore là.
Je ne tiens plus en place.
Je vais dans la cuisine, j’ouvre mon frigo. Il faut penser au diner.
Pour deux ou pour trois ? Va-t-il rentrer ? Où est-il ? Pourquoi
n’est-il pas encore là ?
Tomate, mozzarella. Il aime cette salade caprese.
Et puis des pâtes à la boutargue. Il adore cela aussi.
Mais va-t-il rentrer ?
Et si je l’appelais ?
Je ne veux pas l’appeler. Je ne veux pas qu’il se sente sous
pression. Après tout, il n’est pas prisonnier. Il a le droit de tarder.
Il a le droit de s’arrêter. Il a le droit de voir ses amis. Mais où
est-il ?
Où es-tu connard ? Où es-tu, je m’inquiète.
Je suis ridicule, je sais.
Il n’est pas prisonnier. Il doit vivre normalement. C’est moi qui dois me raisonner.
Mais où es-tu connard ? Va te faire foutre connard. Tu déconnes et c’est moi qui trinque. Où es-tu ?
18h35
Je mets l’eau des pâtes à bouillir.
Je commence à préparer ma sauce. Beaucoup d’ail comme il aime.
Comme il aime ?
Oui connard, comme tu aimes. Mais où es-tu ?
18h36
L’oreille tendue, j’écoute les bruits des voitures dans notre rue. A
force de tendre l’oreille, j’ai appris à distinguer le bruit des
voitures de tous les voisins. C’est vrai, je les reconnais. La voisine
d’en face avec sa petite voiture qu’elle gare en face de sa porte. Le
voisin d’à coté qui met sa voiture dans son garage et qui fait donc
grincer son grand portail. Et le voisin mitoyen qui fait claquer la
malle de sa voiture chaque soir.
Et sa voiture à lui.
Sa voiture à lui qu’il gare sur le trottoir.
Chaque soir je guette ce bruit de pneus qui foulent le trottoir et qui pour moi annonce le soulagement et le bonheur.
18h37
Il n’est pas encore là. Il n’est pas encore là. Il n’est pas encore là. Il n’est pas encore là.
Hacher le persil et ne plus penser à lui. Hacher le persil et essayer
de refouler mes souvenirs. Ne plus penser. Ne plus penser. Ne plus
penser. Ne plus penser. Téléphoner ? Ne plus penser. Persil. Persil.
Couteau. Persil. Téléphoner ? Persil. Couteau. Persil. Couteau. Persil.
Téléphone ?
NON.
Essayer de faire confiance. Ne plus penser au passé. Ne plus penser
au passé. Il va venir. Il va sonner. Il va sonner. Il va sonner. Persil.
Couteau. Persil. Persil. Persil.
Téléphoner ?
Téléphone.
TÉLÉPHONE !
C'est lui !
C’est lui. Il appelle.
Il faut répondre mais mettre vite vite le haut parleur et écouter
attentivement. Faire très attention. Essayer de deviner où il se trouve.
Bruits de fond? Silence? Voix ? Voix féminines ou masculines ? Endroit
public?
Allo
Tu es passé voir ta mère ?
Tu rentres bientôt ?
Tu seras là dans 20mn ?
Parfait. Tu arriveras juste à temps pour le diner.
Je peux parler à ta mère pour lui passer le bonjour ?
Oui. Une autre astuce apprise au fil des années : vérifier.
Il a tellement menti pendant des mois que je ne peux m’empêcher de vérifier.
Comme je n’avais plus rien à livre, un ami m’a prêté un livre: «Rien de grave» de Justine Lévy. Je n’avais jamais entendu parler de ce livre. Je ne suis pas l’actualité people et je ne me suis jamais intéressée à qui couche avec qui et qui se marie avec qui…
J’ai donc lu ce livre sans arrière-pensées, sans préjugés, sans aucune idée préconçue. Je l’avais presque fini en croyant qu’il s’agissait d’un simple roman, sans savoir qu’en fait il s’agit d’un livre autobiographique.
J’ai commencé ce livre et dès le début, je l’ai aimé.
Avant même de savoir ce qui allait suivre, j’ai aimé. J’ai aimé. J’ai aimé Louise qui va à l’enterrement de sa grand-mère en jeans et qui critique ceux qui accordent plus d’importance aux formes qu’au fond. J’ai aimé Louise. J’ai ressenti sa sensibilité. J’ai compris son authenticité.
Ensuite, l’auteur est entrée dans le vif du sujet. Elle a commencé à écrire, à décrire, à souffrir, à raconter…
Louise, qui aimait son mari plus que tout au monde a été larguée par lui. Il l’a quittée pour une autre femme. «Larguée, quittée, jetée». Une femme décrite d’une façon impitoyable. Une femme sans scrupules, sans principes, une femme refaite, une femme égoïste, une femme qui ne pense qu’à elle-même… Le genre de femme que moi j’appelle une pétasse et que Louise appelle Terminator avec un regard de tueuse.
Au fil des pages, on vivra la souffrance de Louise. Elle la déroule, l’explique… et on la ressent avec elle, pour elle, à sa place.
J’ai pleuré. J’ai beaucoup pleuré. J’ai vraiment pleuré.
Louise souffre et nous fait souffrir avec elle.
Et elle nous explique. Elle nous explique son amour pour son mari. Cet amour devient palpable. On le comprend. Louise vit pour son mari, à travers son mari, grâce à son mari. Il est tout pour elle. Il est sa vie. Elle voit à travers lui, elle sent à travers lui, elle vit à travers lui. Elle l’aime. Elle l’aime de toutes ses forces. Elle l’aime de toute son âme. Elle l’aime. Elle l’aime. Elle l’aime. Premier amour. Intense amour. Amour aveugle et aveuglant.
Comment Louise n’a-t-elle rien vu venir? Comment Louise n’a-t-elle rien compris? Comment Louise n’a-t-elle rien soupçonné?
Il l’a quittée, et elle en souffre.
Louise petit à petit va se remettre de sa souffrance. Cela lui prendra plusieurs années. Elle essayera de comprendre, elle essayera d’analyser, elle essayera d’oublier, elle essayera de minimiser… en fait, elle essayera de surmonter. Comme on le dit si bien, la vie continue. Et elle essaiera de vivre.
Cela lui prendra du temps. Elle deviendra méfiante. Elle ne sera plus jamais pareille. Elle ne sera plus aussi innocente ou naïve. Elle n’y croira plus, mais elle finira par conclure que rien de grave, la vie continue….
J’avais presque fini le livre lorsque j’ai appris qu’il s’agit d’une histoire vraie. Il faut dire que l’auteur décrit tellement bien sa souffrance que j’avais l’impression qu’elle ne pouvait l’avoir inventée. Pour aussi bien décrire cette souffrance, il faut l’avoir vécue.
Justine Lévy, l’auteur, est la fille de Bernard Henry Lévy, et l’histoire qu’elle raconte est la sienne. Son mari l’avait quittée pour se mettre en couple avec la maîtresse de son propre père.
Paula, l’horrible maîtresse n’est autre que Carla Bruni, mannequin, croqueuse d’hommes.
Le fait d’apprendre que cette histoire est vraie ne m’a pas gênée. Au contraire, cela lui a donné une dimension encore plus profonde à mes yeux.
Justine Lévy se confie et en même temps son livre est une thérapie. Elle a mis des mots sur ses maux. Elle a mis des mots sur ses sentiments, ses souffrances, ses ressentiments… Et peut-être est-ce une manière d’exorciser ces maux. Peut-être est-ce une manière de s’en affranchir et continuer sa route.
J’ai lu dans un article qu’il s’agit d’une autre histoire people. Non, je ne suis pas d’accord. C’est une histoire humaine tout simplement. Elle concerne des gens connus, oui, mais elle aurait pu concerner n’importe qui. La souffrance est identique que l’on soit riche et célèbre ou pauvre et inconnu.
Une trahison est une trahison. Une souffrance est une souffrance.
Et Justine Lévy a très bien su partager sa souffrance.
Justine Lévy décrit la maîtresse d’une manière impitoyable. Vengeance? Peut-être. Est-ce correct? Oui, pourquoi pas? Pourquoi n’aurait-elle pas réglé ses comptes avec Carla Bruni, la femme qui lui a volé son mari? Pourquoi ne pas dénoncer ces personnes qui marchent sur les cadavres des autres sans état d’âmes? Oui, pourquoi pas?
Ce livre a remporté le prix Littéraire Le Vaudeville et le Grand Prix Littéraire de l'Héroïne Marie France en 2004.
Je vous le conseille vivement, mais préparez des kleenex.
Comme vous le savez, j'ai fais partie ces derniers mois d'un atelier d'écriture dirigé par M.Ali Bécheur.
Eh oui, j'aimerais devenir un jour écrivain. Et qui sait, peut-être le deviendrais-je?!
En attendant, je publie aujourd'hui ma première nouvelle. J'attends vos remarques. Peut-être que je vous dirais par la suite quelles ont été celles de M.Ali Bécheur.
Enjoy!
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JE NE SUIS PAS DE PIERRE
Mon voisin est en train de mourir. La mort. La fin. La destruction. L'anéantissement. L'oubli. Faire de la place. Se faire remplacer par les nouveaux. Mon voisin est en train de mourir. Boum. Boum. Boum. J’entends le bruit de la destruction. J’entends ce bruit lourd. J’entends ce bruit sadique. J’entends ce bruit de torture. Boum. Boum. Boum. J’entends son cœur qui bat de plus en plus faiblement. Je l’entends crier au secours. Je le sens. Je sais qu’il souffre. Il souffre parce qu’il se voit mutilé, spolié, massacré. Je ne suis pas de pierre, j’ai un cœur. Je sens donc sa souffrance. Je sens son angoisse. J’en tremble pour lui. J’en tremble pour moi. Serait-ce mon tour prochainement? La mort, est-elle notre destin? Pourtant, nous pourrions être immortels. Il suffit de soins, d'amour et d'entretien, et nous pourrions être centenaires, millénaires et même éternels. Nous le pourrions. Mais le permettraient-ils? Ils pourraient s'ils nous aimaient. Mais nous aiment-ils? Font-ils attention à nous? Nous respectent-ils? Comment donc nous voient-ils? Je ne saurais répondre à de telles questions. Je pense que cela dépend des gens. Certains sont plus sensibles que d'autres. Certains nous respectent plus que d'autres. Certains nous ont compris. Ils ont compris notre valeur. Ils ont compris notre âme. Ils ont compris notre mémoire. Notre mémoire qui enregistre. Notre mémoire qui préserve. Notre mémoire qui témoigne surtout. D'autres pas. D'autres n'ont rien compris. D’autres sont imperméables à tout cela, à toutes ces sensations, à toutes ces émotions. Ils sont de pierre. Ils n’ont pas de cœur. Si mon voisin est en train de mourir, cela veut dire qu'on ne l'aime plus. Ou du moins qu'on pense qu'il ne sert plus, qu’il est facilement remplaçable. Pire, on pense que son successeur sera encore meilleur que lui, plus utile, plus rentable, plus beau. Et on ne prête aucune attention à son âme. Son âme. Sa souffrance. Ses souvenirs. Dommage. Avec lui, avec tous ceux qui disparaissent, disparaît tout un pan de notre mémoire, de notre histoire, de notre identité, de notre pays. Notre pays. En ce qui me concerne, j'ai eu de la chance. J'appartiens à deux pays. Ce qui est une richesse. Moi, je le considère comme tel. D’autres par contre trouvent que c’est une tare. Pour eux, lorsque l’on n’est pas à 100% d’un même pays, on est un «bâtard» et donc pas digne d’intérêt, et parfois même méprisable. Ce n’est pas vrai. Lorsque l’on est binational, on est encore plus riche. On a une double histoire, une double mémoire, une double identité. Je suis né ici, en Tunisie. Mais mon créateur vient d'un autre pays. Quelle était son histoire? Quelle était sa formation? Pourquoi était-il venu en Tunisie? Comment? Quand? Des questions auxquelles je ne saurais répondre. Mais je connais son nom: Claude Chandioux Que m'apprend son nom? Pas grand chose en fait. Juste qu'il était français. Il venait de l'autre coté de la Méditerranée. Et avec lui, il avait amené sa culture et son savoir-faire. Avec lui et ses semblables, des usages et des coutumes avaient fait la traversée. Des tenues vestimentaires différentes. Des cuisines différentes. Des goûts différents. Une sensibilité artistique différente. Et tout cela a contribué à nous enrichir, nous tunisiens. Je l’affirme et j‘en suis convaincu, le patrimoine culturel tunisien est aujourd’hui riche de tous ces apports étrangers qui se sont succédés sur son sol depuis des millénaires. Cet homme n’était pas le seul à être venu, la Tunisie était sous protectorat français à cette époque-là, et beaucoup de français y habitaient. Et puis, en cette fin du XIXème siècle, la Tunisie était aussi une terre d’immigration pour un grand nombre d’européens. Ils arrivaient de Sicile, de Malte, de France, de Russie… Ils pensaient pouvoir y trouver une vie meilleure. Et pendant un certain temps, ils l’avaient sûrement trouvée. Imaginez tous ces gens qui avaient fui leurs pays, leurs terres, chassés par la famine, la pauvreté, la révolution… et qui avaient trouvé en Tunisie une terre d’accueil clémente. Quel bonheur pour eux cela a dû être! J’ai eu envie d’en savoir un peu plus sur mon père, sur son parcours, sur ses pensées, sur sa façon de vivre. Son histoire est aussi la mienne, il ne faut pas l’oublier. Quel âge avait-il lors de son arrivée en Tunisie? Y était-il resté toute sa vie? Qu’y avait-il accompli? J’ai eu beau chercher, poser des questions ici et là, essayer de me souvenir, regarder dans les divers registres et livres. Rien. Le seul renseignement que j’ai pu trouver est qu’un certain Claude Chandioux s’était marié en 1907 à la Cathédrale de Tunis. Était-ce lui? Je ne sais pas. Peut-être. Peut-être bien que c’était lui, et que ce jour-là avait été le plus beau de sa vie. Comment était-il? Je ne sais pas non plus. Mais j’ai envie de l’imaginer grand, portant un beau costume gris. Un costume à l’Européenne. Un costume fait sur mesure et dont le tissu serait arrivé tout droit de Paris. Et puis, il portait sûrement un chapeau. Sur les anciennes photos de cette époque-là, tous les Européens portaient des chapeaux. Sa jeune épouse devait être bien timide. Elle devait se tenir à ses cotés, dans une jolie robe blanche en dentelle de Calais, le visage couvert d’un long voile blanc. Était-elle française elle aussi? Oui, fort probablement. Mon créateur n’avait apparemment pas marqué son temps puisque ni les manuels d’histoire, ni les journaux de l’époque ne parlent de lui. Mais il avait gravé son nom en moi d'une façon indélébile. Il l'avait gravé dans ma chair, tel un tatouage permanent. Il est en moi pour toujours. Du moins, tant que je vivrais. Je suis une partie de lui qui lui a survécu. Je suis le fruit de son esprit. Je suis sorti tout droit de son imagination. En avait-il crée d’autres que moi? Je ne sais pas vraiment. Je sais qu’il y en a au moins un. Il se trouve à Sfax. Y-en-t-il d’autres? Probablement. Mais je n’en ai pas entendu parler. Mon frère de Sfax est né en 1923. Je le sais parce qu’il est célèbre. Sa date de naissance n’a pas été emportée par l’oubli. Au fil des années, il a été photographié, visité, occupé... Il est même entré dans l’Histoire, bien que par la petite porte. En effet, il a été le siège du commandement italien durant l’occupation de Sfax en 1942-1943. Je sais, ce n’est pas très glorieux, mais cela lui a au moins permis d’échapper à la souffrance de l’indifférence, et peut-être même à la destruction totale. Quant à moi, quel est mon âge? Je ne le sais pas avec certitude. Je pense que j'existe depuis les années 1910. Pourquoi ai-je été crée? Je ne sais pas. Comme toutes les créations, je suis né sans avoir rien demandé, sans savoir pourquoi. Je ne me souviens pas de mon enfance. Mais je suis sur d’une chose: dès ma conception, j’avais vocation à servir une collectivité. Cela est évident. Tout en moi le prouve. Mais quel genre de collectivité? Je ne sais pas. Une collectivité religieuse? Peut-être bien! J’appartenais en effet à l’église catholique. Non pas qu’il y ait des signes particuliers en moi qui prouvent cette appartenance. Pas du tout. Aucune croix nulle part, aucune représentation d’un saint quelconque. Non rien. Mais je le sais. Au cours de mes recherches, j’ai trouvé une liste des biens de l’église dans laquelle je figure. Cette liste est annexée à l’accord, connu sous le nom de modus vivendi, qui avait été conclu le 09 juillet 1964 entre le Vatican et la République Tunisienne. A part cela, je dois me fonder sur ma mémoire. Aussi loin que je me souvienne, j’ai été au service des enfants. J’ai été un éducateur. Et je le suis encore. Bien que mon frère soit bien plus connu que moi, je pense que mon rôle dans la vie a été plus important que le sien. Plus noble. Plus utile à notre pays. J'ai eu plus de chance que lui, parce que moi, j'accompagnerais toujours les souvenirs de petits enfants à qui j'ai apporté du bonheur et diverses connaissances j'espère! Mon frère a été inauguré en grande pompe, mais j’ai formé des générations entières. De grandes personnalités lui ont rendu visite, mais de grandes personnalités ont été formées chez moi. Des touristes, des visiteurs illustres, des hommes politiques l’ont connu, mais moi, je resterais toujours au fond du cœur de milliers d’enfants. J’ai donc eu plus de chance que lui. Je me rappelle les enfants, leurs cris, leurs jeux, leur joie de vivre. Je me rappelle leurs sourires innocents. Je me rappelle leurs rires allègres. Je me rappelle les jours des rentrées scolaires pour les tous petits, lorsqu’ils arrivaient le cœur serré et triste. Pour la plupart d’entre eux, c’était la première fois qu’ils quittaient leur maman pour de si longues heures de séparation. On voyait l’angoisse sur leurs visages. Mais aussi la fierté. Ils devenaient grands et allaient à l’école! Je me rappelle. Au début, seuls les petits garçons avaient le droit de venir étudier. Ils arrivaient en traînant leurs livres ou leurs cartables, portant tous une blouse par dessus leurs vêtements. Plus tard, les filles se sont jointes aux garçons. Il fallait qu’elles s’instruisent elles-aussi. De plus en plus nombreuses. Mignonnes comme des cœurs dans leur jolie petite robe et leur tablier. Je me rappelle des enfants jouant avec mes poissons rouges et mes petites tortues. Ils se mettaient tout autour de mon bassin. Ils regardaient les poissons et les tortues et essayaient de les attraper. Ils riaient aux éclats lorsque les poissons leurs glissaient entre les doigts. Ils jouaient avec mes chiens aussi. Ou plutôt, ils avaient envie de jouer avec mes chiens, mais devaient se contenter de les regarder de loin parce qu’ils en avaient peur. Mes chiens étaient plutôt gros et impressionnants. Des chiens de garde qui aboyaient au moindre bruit suspect mais qui n’avaient jamais fait aucun mal aux enfants. Ah les enfants! Ces adorables petits écoliers! Dès que retentissait le gong, ils se mettaient tous en rang, deux par deux, et entraient sagement dans leurs classes. Ces enfants-là avaient eu une chance inouïe. Pas les toutes premières promotions, composées presque exclusivement de petits enfants européens, mais celles qui ont suivi, celles qui comprenaient des enfants européens et tunisiens, donc des enfants de diverses nationalités et religions. A leur époque, on leur apprenait la tolérance et l’égalité entre les êtres humains. Ils avaient bénéficié d’une double culture. Une culture française et une culture tunisienne. Une double culture fondée sur la compréhension et le respect de l’autre. Ces enfants apprenaient simultanément l’alphabet latin et l’alphabet arabe. Ils étudiaient les auteurs arabes et les auteurs européens. Ils apprenaient aussi bien Mohamed que Moïse ou Jésus. Ils découvraient le Coran, la Thora et la Bible. Plusieurs générations d'enfants se sont succédées chez moi. Quelle émotion lorsqu’un jour, j'ai entendu une maman raconter à sa petite fille ses souvenirs. J’aurais pu pleurer si j’en avais eu les moyens. Elle lui disait:«Tu vois, là, c’était ma classe. Là, c’était le bureau de la directrice, lorsque j’avais un peu grandi, une fois par trimestre, mon papa me donnait un chèque et je venais payer la scolarité toute seule, comme une grande personne, mais j‘étais toujours très intimidée de me retrouver en cet endroit et de voir la directrice. La cuisine se trouvait là, et un jour, avec mes camarades de classe, on nous avait appris à faire du pain, et nous l’avions fait cuire dans un grand four qui se trouvait justement dans cette cuisine. Le bassin que tu vois encore là, était plein de poissons. Tu vois la-bas, il y avait un gong bol. Ce gong nous impressionnait tous, mes camarades et moi. Nous nous en approchions parfois pour l’observer et découvrir son mystère. Nous n’en avions jamais vu un similaire auparavant. Il s’agissait d’un gong bol. Il s’appelle ainsi à cause de sa forme qui rappelle un grand bol. Il était posé à terre, pas loin du chenil où se trouvaient les chiens. Six fois par jour, il annonçait le début et la fin des cours et surtout la récréation, notre moment préféré. Parfois, nous guettions la bonne sœur qui devait frapper le gong. Elle arrivait munie de son lourd bâton qu’elle soulevait et abattait sur le gong. Trois coups. Bong bong bong. Un son lourd et puissant. Un son que je n’oublierais jamais. Il donnait l’impression de se répercuter en nous, de pénétrer notre corps. C’était particulier comme sensation. Dommage que ce gong ait été remplacé par une sonnerie, j’aurais aimé que tu le connaisses toi aussi et ressentes cette sensation. Tu vois là? C’était l’infirmerie. J’en garde un drôle de souvenir. C’était là que nous passions les visites médicales et que nous étions vaccinés, mais le souvenir que j’en garde est très particulier. Un jour, je n’avais pas voulu terminer mon déjeuner. Ma maman nous avait préparé un plat que je n’avais pas du tout aimé. C’était une tbikha de fèves. C’était la première fois qu’elle nous cuisinait ce plat. Je n’avais pas pu le manger. Papi avait voulu me forcer, mais impossible d’avaler la moindre bouchée. Alors j’avais eu droit à une fessée. L’après-midi, en classe, je sanglotais encore et encore. La maîtresse avait été obligée de m’envoyer à l’infirmerie où j’avais continué à pleurer et à sangloter jusqu’à ce que ma maman, prévenue, soit venue me chercher. Depuis, Papi ne m’a plus jamais obligée à manger ce que je n’aimais pas. A propos de déjeuner, là, il y avait le réfectoire. Je n’y ai jamais mangé parce que j’étais externe, mais je voyais les enfants qui étaient demi-pensionnaires y prendre leur déjeuner, et je les enviais. J’aurais voulu rester un jour moi aussi et prendre mon déjeuner avec mes camarades. Moi aussi ma maman m’accompagnait ici, comme je t’accompagne moi-même aujourd’hui…. ». Quelque part, je me suis senti grand-parent. J'accueillais en mon sein les enfants de mes enfants. Comme tous les parents et grand-parents, lorsque j’apprends que j’ai changé ou influencé la vie de mes chéris, je me sens fier. Très fier même. Un jour, j’ai entendu une maman raconter à son enfant une histoire assez étonnante. Elle lui disait qu’à l’époque où elle venait ici, la plupart de ses camarades étaient issus de couples mixtes et que très souvent leur maman était française. Ces enfants-là parlaient donc couramment le français, contrairement aux quelques enfants tunisiens qui parlaient en arabe chez eux et n’utilisaient le français qu’en classe. Cette maman, tunisienne de père et de mère, avait donc des difficultés pour parler le français aussi aisément que ses petits camarades. Un jour, sa maîtresse avait recommandé à sa mère de lui acheter des livres de bibliothèque et de l’encourager à beaucoup lire pour combler ses lacunes. Une passion était née ce jour-là. Cette petite fille était tombée amoureuse de la lecture. Elle avait amélioré son français et même, plus tard, étudiante en France, elle avait été complimentée par ses professeurs pour son français parfait, meilleur que celui des français eux-même! Parfois, je me demande ce que sont devenus mes autres enfants? Des ministres? Des pilotes? Des hommes d’affaires? Des restaurateurs? Des architectes comme mon créateur? Sont-ils devenus célèbres? Ont-ils profité de mes enseignements? Je pense souvent à eux. J’ai envie qu’ils viennent me rendre visite. J’aimerais avoir de leurs nouvelles. Je sais, j’ai des réactions de vieux parents. J’en suis conscient. Mais ils me manquent tellement. Il y a environ deux mois, j’ai revu une de mes anciennes élèves. Elle est devenue une femme maintenant. Mais je me rappelle d’elle. Elle était très grande par rapport à ses camarades, et elle est toujours très grande. Et puis, elle était restée chez moi six années, et même après qu’elle soit partie faire ses études secondaires au lycée, je la voyais de temps en temps, elle habitait le quartier, et ses petits frères et sœurs venaient encore chez moi. Ce jour-là, je l’ai vu arriver. Elle avait garé sa voiture, en était descendue, s’était approchée de moi et m’avait regardé. Ensuite, elle avait ouvert son sac à main, en avait sortit un appareil photo et m’avait photographié. Oui, elle m’avait photographié. Elle avait pris des photos, une multitude de photos. Des photos de ma façade, des photos de mes fenêtres, des photos du fer forgé, de la porte d’entré…. Des photos encore et encore, la moindre moulure, le moindre détail. Elle avait photographié le nom de mon père.… Et tout d’un coup, je l’ai vu sursauter. Elle avait entendu le bruit. Le bruit de destruction. Elle était allée voir. Et elle avait vu. Elle avait vu mon voisin se faire tuer. Elle m’avait paru bouleversée par cette destruction. Elle regardait mon voisin et me regardait. Ensuite, elle s’était mise à observer tous mes voisins. Que cherchait-elle? A quoi pensait-elle? Elle paraissait en colère. Et triste. Et déçue. En colère contre ceux qui nous manquaient de respect. Triste pour nous. Déçue par le comportement de certains. Toutes ses émotions que j’avais vues sur son visage, je les avais ressenties avec elle. Je l’avais comprise. J’avais compris cette femme. N’était-elle pas ma fille, mon enfant? N’est-ce pas moi qui lui avait appris le respect des autres, de la mémoire, de l‘Histoire? Oui, j’ai compris ce qu’elle ressentait. J’ai un cœur, vous savez? J’ai des sentiments. J’ai des souvenirs. J’ai plein de souvenirs. Je me rappelle mon quartier. Je me rappelle autrefois. Je me rappelle comment ce quartier était il y a bien longtemps. Je me rappelle lorsque nous n’étions encore que quelques-uns uns à y habiter. Pendant des décennies j’ai résidé à Mutuelleville sans même savoir pourquoi ce quartier s’appelle ainsi. Et puis, récemment je l’ai appris. A l’origine, Mutuelleville était une petite colline couverte d’olivettes et s’appelait «Kirch il ghaba», le ventre de la forêt. C’est joli comme nom, non? Et puis, vers les années 1900, cette campagne a commencé à être peuplée. En si ce quartier s’appelle ainsi, c’est parce que ses premiers habitants étaient les adhérents d'une mutuelle: l'Assistance Mutuelle Tunisienne. Et le nom est resté. C’est joli. Et puis, on y ressent comme une déclaration de fraternité. A l’époque, il n’y avait encore que quelques rares maisons. Des petites maisonnettes en réalité. Les mutualistes n’étaient pas très aisés et ne pouvaient se permettre de construire de grandes maisons. Mais ces petites habitations avaient, comme moi, une identité, donc une personnalité et une âme. Elles avaient des noms: Villa Les Géraniums, Villa Robert, Villa Shangrilha, Villa Minouche, Villa Padou, Villa Bel Azur… Aujourd’hui, les maisons portent des numéros. N°1, N°3, N°5... Ce qui les rend impersonnelles. Et si on continue ainsi, un jour, les nouvelles maisons porteront peut-être un code à barres! Bientôt, les humains seront répertoriés grâce à un code à barre, alors pourquoi pas les bâtisses? Bien que construites assez éloignées les unes des autres, je ressentais une certaine chaleur entre ces maisons. C’était comme si elles communiquaient entre elles, et bien-sûr avec moi aussi. Nous nous racontions des petites histoires, nous nous partagions nos impressions. Nous murmurions, nous gloussions de rire parfois. Nos mots volaient d’un arbre à l’autre, d’une branche à l’autre, créant une liaison entre nous. Notre arbre préféré était le bougainvilliers. Ses branches collées aux murs étaient le meilleur pourvoyeur de nos dialogues. Et puis, les matériaux utilisés à l’époque, comme le bois et les tuiles, dégageaient une telle chaleur qu’ils ne pouvaient que favoriser ces échanges. Ce n’est pas comme de nos jours où le marbre et le verre glacials ne donnent que des frissons. A l’époque, Mutuelleville était très fleurie. Il y avait plusieurs plantations de fleurs et même des potagers. D’ailleurs, dans les années 1920, la Société d’Horticulture de Tunisie, à l’issue de ses conférences théoriques, amenait ses auditeurs à Mutuelleville afin de mettre en pratique son enseignement. En ce temps-là, les Européens avaient l’habitude de venir à Mutuelleville pour respirer un peu d’air pur, loin de la ville et de ses bruits. Ils venaient les dimanches et les jours de fêtes. Ils amenaient leurs enfants, leurs amis, leurs parents. Ils venaient s’y reposer et oublier un peu la monotonie des fatigues quotidiennes. Dès le matin, je les voyais arriver. J’entendais de loin le bruit des calèches, les roues peinant sur la route, les chevaux qui trottaient… Plus tard, j’ai aussi été témoin de l’apparition des premières automobiles. Les premières Renault, les premières Peugeot… Mais quels bruits elles causaient avec leurs pétarades! C’était assourdissant! De là où je me trouvais, je pouvais admirer les jolies dames, protégées du soleil par des ombrelles en dentelles et des chapeaux énormes. Elles portaient de belles robes longues, des bijoux divers, des colliers de perles, des broches ou des camées en pendentifs, des rubans de satin, des sacs à main. Leurs cheveux étaient bien coiffés en chignons ou en mise-en-pli et étaient souvent ornés d’épingles nacrées. A leurs pieds, des souliers ou des bottines à hauts talons suivant la mode de ce début de siècle. Pendant des journées entières ces familles profitaient d’un moment de détente bien mérité. Enfants et parents pouvaient se relaxer, jouer ensemble, pique-niquer, courir, se reposer à l’ombre d’un arbre, flâner ... J’adorais cette ambiance de fête champêtre, mais ce que j’aimais le plus, c’était la petite animation culturelle ou artistique qui ne manquait pas d’être organisée. Il m’était arrivé de voir des danseurs, d’écouter des chanteurs, de voir passer une fanfare… Un jour, j’ai même eu le privilège d’assister au spectacle de M.Ferdinand Huard en train de déclamer l’un de ses poèmes. Quel moment merveilleux! Quelle émotion surtout, il ne faut pas oublier qu’il avait été le fondateur de mon quartier puisqu’il était justement le père de la mutualité en Tunisie! A ma grande fierté, cet événement avait été relaté dans la revue «La Tunisie illustrée». Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’un article était consacré à mon cher quartier dans cette revue. M.Ferdinand Huard, ce poète amoureux de Mutuelleville avait d’ailleurs décidé d’y prendre sa retraite et d’y passer ses derniers jours.
Au fil du temps, j’ai du subir plusieurs transformations. On m’avait tout d’abord agrandi. Les besoins s’en étaient fait sentir du fait que de plus en plus de filles avaient intégré l’école, et aussi que les Tunisiens avaient aussi fait un grand effort de scolarisation de leurs propres enfants. On m’avait alors ajouté de nouveaux bâtiments, mais construits dans un style complètement différent du mien. Claude Chandioux m’avait conçu selon le style architectural à la mode à cette époque-là: l’Art Nouveau. Ce mouvement artistique de la fin du XIXème et du début du XXème siècle s’appuyait sur l’esthétique des lignes courbes, en s’inspirant des arbres, des fleurs, des insectes et des animaux. Les nouveaux bâtiments par contre, étaient carrés et sans aucune ornementation. On voyait donc la différence. Mes fenêtres hautes et ma porte d’entrée étaient toutes en courbes et décorées de guirlandes de fleurs. Conformément à la mode de l’époque, j’étais pourvu d’une porte d’entrée en verre et fer forgé. Tel une couronne, un bel auvent, lui aussi en fer forgé et verre, était posé dessus. Un beau travail de ferronnerie! Surplombant le tout, une baie permettait l’éclairage naturel du hall du premier étage, et donnait à l’ensemble un bel aspect harmonieux. Je sais, je n’ai pas la prétention de me croire aussi beau que le Casino Municipal de Tunis construit lui-aussi dans le style Art Nouveau et à la même époque. Non bien-sûr je n‘ai pas cette prétention. Mais, mais j’étais beau. Et je suis toujours beau!
Les années ont passé, et un siècle plus tard, je suis toujours là. Fidèle au poste comme on dit. Mais je ne suis plus pareil, ni physiquement, ni moralement. Mes bâtiments ont été «divisés» en deux. Les sœurs catholiques qui me géraient sont parties. La partie moderne de mes bâtiments et mon nom ont été vendus à une dame, qui en a fait ce que l’on appelle aujourd’hui, l’École Privée Chevreul. Quant à moi, c’est-à-dire, l’ancien bâtiment, j’ai été vendu à une association française, qui m’utilise en partie comme école maternelle pour les enfants de ses adhérents, mais aussi comme club de bridge. Je suis donc toujours une école, mais seulement une petite école, et on m’a affublé du nom ridicule de Piou Piou. Piou Piou, on dirait un nom d’oiseau. Moi, qui suit une école, vieille d’environ 100 ans, on m’appelle Piou Piou! Quel outrage! J’ai beaucoup souffert de la perte de mon nom. Comment peut-on vendre un nom? De quel droit peut-on spolier quelqu’un de son nom? Un nom est quand-même une identité, une part intrinsèque de soi, comment peut-on en être dépouillé? Je n’ai jamais pu accepter cela. Mais je suis complètement impuissant. Je souffre, je m’indigne, mais je ne peux rien y faire. Mon frère, lui, a eu plus de chance que moi en ce qui concerne le nom. Bien qu’il ait changé de propriétaire, il s’appelle toujours l’Hôtel des Oliviers. Tout à changé. La façon de vivre, les valeurs, les principes, les priorités… Autour de moi, plus de campagne, plus d’oliviers, presque plus de petites maisonnettes, à part quelques-unes, disséminées dans le quartier et presque ignorées de tous. Elles seront très probablement détruites dans un futur proche. A perte de vue, des murs, et encore des murs. Mutuelleville est devenu un quartier résidentiel. On y a construit des villas. Encore et encore. La moindre parcelle de terre a été construite. Il n’y a que des villas, des résidences d’ambassadeurs, des sièges de grandes compagnies…. A l’image de leurs propriétaires, ces nouvelles maisons sont sans charme, sans personnalité. Plus de convivialité. Plus de communication. Plus d’échanges. Les bougainvilliers sont devenus muets. Ces maisons ont-elles donc des âmes? On ne le croirait pas. Elles sont fonctionnelles, elles sont snobs, elles sont un reflet de la situation sociale de leurs propriétaires. Mais pas plus. Placement. Argent. Rendement. Plus-value. Telles sont les nouveaux critères d’évaluation des constructions. Où est la poésie? Où est le charme? Est-ce pour cela que mon voisin se fait tuer? Est-ce pour cela qu’il se fait détruire? Boum. Boum. Boum. Va-t-on le remplacer par un nouveau bâtiment sans âme et sans personnalité?
Et moi? Quand donc mon tour viendra-t-il? La mort. La fin. La destruction. L'anéantissement. L'oubli. Faire de la place. Se faire remplacer par les nouveaux.
La mort, est-elle notre destin?
En ce qui me concerne, tant que je demeurerai dans la mémoire de mes enfants et tant qu’ils me chériront, je ne mourrais pas vraiment!
P.S.: Pour en savoir un peu plus sur Mutuelleville et voir les photos, aller voir cette note:
J’ai lu, dernièrement, le livre d’Albert Memmi ((1) (2)), «Le Pharaon». En couverture il est dit que ce livre «relate la rencontre avec l’Histoire, l’émergence stupéfiante de la nation tunisienne. S’y insère une aventure amoureuse qui, malgré ses emportements du cœur et de la chair, ne pâlit pas devant la violence de l’Histoire…».
Pour moi, ce n’est pas vraiment cela que relate le livre. Je dirais plutôt qu’il s’agit d’amour, d’une histoire d’amour essentiellement, et qui accidentellement se passe en Tunisie lors de la lutte pour l’indépendance.
Il est vrai qu’on y parle un peu des mouvements patriotiques, des fellaghas, de Bourguiba, de Mendés France… D’ailleurs, on remarque à quel point l’auteur admire Bourguiba, et je ne lui donnerais pas tort sur ce plan.
Mais pour moi, comme je l’ai dis plus haut, il s’agit surtout d’une histoire d’amour. Une banale histoire d’amour entre le mari, la femme et la maîtresse. L’éternel trio infernal en fait.
Lorsque je dis «banale», je ne veux pas dire que cette histoire est banale, je veux simplement dire que de nos jours, de telles histoires sont tellement nombreuses qu’elles en deviendraient banales.
Armand est un homme d’un âge certain. Il mène une vie routinière, réglée comme du papier à musique, entouré de sa femme, de son associé, de ses enfants… Lorsqu’un jour, entre dans sa vie une jeune femme.
Nous assistons dans ce livre aux bouleversements, bonheurs, souffrances… que cette rencontre va occasionner à Armand. Armand pour qui cette rencontre est une occasion de tout recommencer, une renaissance en fait.
Armand se remet donc en question. Il remet tout en question, sa vie, ses attentes, ses relations avec ses amis, sa famille, son travail… Tout en fait. Tout est chamboulé par cette rencontre.
Cette jeune femme va tomber amoureuse d’Armand. Est-ce pour elle une façon de remplacer son père absent?
Quoi qu’il en soit, elle deviendra vite exigeante, elle voudra plus, toujours plus d’Armand.
En ce qui me concerne, je n’ai pu avoir aucune sympathie pour cette jeune femme. Pour moi, elle est l’intruse, la pièce rapportée, l’empêcheuse de tourner en rond… Celle par qui les souffrances arrivent…
Je ne peux avoir aucune empathie ni sympathie pour une personne si égoïste: elle arrive, elle veut, elle exige… A-t-elle même pendant quelques secondes pensé à l’épouse et aux enfants de son amant? Pas du tout. Elle veut Armand, point à la ligne. Elle n’a pensé qu’à elle-même, à ses désirs, à l’amour qu’elle pense porter à Armand… Peu importent les conséquences. Et c’est cela qui me révolte dans ce genre d’histoires. Les maîtresses ne pensent qu’à elles-mêmes, jamais aux autres.
L’auteur essaye de nous dire qu’elle n’est peut-être elle-même que la «conséquence» de son enfance: une mère infidèle qui un jour l’a abandonnée, un père qui souffre de cet abandon et qui sera stricte et absent…
Pour moi, les deux personnages les plus importants sont Armand et son épouse, Allégra. En fait, Le personnage le plus important est Armand, c’est à travers lui que nous verrons les autres personnages. Le livre relate les questionnements d’Armand, les pensées d’Armand, les souffrances d’Armand…
Armand est déchiré entre ses deux femmes. L’une, la jeune maîtresse, lui donne une nouvelle jeunesse, une impression de revivre à nouveau, une occasion de sortir de sa routine… mais au prix de grands déchirements et de sacrifices. L’autre représente un passé commun, un foyer, une famille, des enfants, des racines…
A la découverte de l’infidélité de son mari, la souffrance de l’épouse est intolérable. Je trouve que l’auteur a trouvé les mots justes pour la décrire. Cette souffrance immonde qui irradie dans le corps de l’épouse trompée. Cette souffrance sourde qui tort le ventre, qui arrête le cœur, qui fait mal, vraiment mal, un mal indescriptible. Cette souffrance oppressante, qui ne quitte plus le trompé, qui l’écrase, qui l’étouffe, qui le plie en deux, qui le fait hurler.
«Pour Allegra, la trahison d’Armand fut un coup de tonnerre; jamais auparavant, elle ne l’aurait crue possible; certes, tout parle d’infidélité, les livres, les films, les discussions avec ses amis, mais cela ne pouvait concerner que les autres.»
«C’était Allegra qui parcourait le couloir, montait et descendait l’escalier. Le somnifère n’avait pas agi; elle en avait pris un autre, en vain. Elle se tordait les mains de désespoir. - C’est affreux! Je ne sais que faire! J’ai la tête pleine de scènes horribles, toi avec cette putain…(…) - … cette salope! Cette voleuse! Je la tuerais! Tu verras que je la tuerai!…».
«L’état d’Allegra avait empiré. Elle maigrissait de façon alarmante… Elle dormait à peine; son somnifère habituel n’agissait presque plus, elle en doubla la dose sans effet notable. Entre deux crises de violence, comme un enfant qui a besoin d’être rassuré, elle implorait Armand. - Prends-moi dans tes bras! Tu m’aimes, n’est-ce pas? Il n’avait pas besoin de répondre, elle répondait à elle-même: «je sais que tu m’aimes.» Il la prenait dans ses bras avec un embarras où il ne savait distinguer entre l’évocation émue de leur amour enfui, le remords, la pitié et le sentiment d’une odieuse comédie. Elle s’assoupissait, mais cela ne durait guère, elle se réveillait en hurlant: «je vous vois! Je vous vois entrain de faire vos cochonneries! Elle est sur toi, l’ordure! La salope! La putain!». Même dans la journée elle n’arrivait plus à chasser de son esprit les images qui la torturaient…
«Elle ne voulait plus sortir de la Villa… mais ne supportant pas d’y être enfermée, elle faisait le tour du jardin, longeant la clôture comme un fauve, une aliénée prisonnière de ses angoisses.»
«N’ayant plus la force d’affronter la trahison d’Armand, Allegra entra dans le cycle médicamenteux des malades de la vie: tranquillisants, somnifères, euphorisants, excitants, calmants, etc. Elle exigeait qu’Armand restât avec elle à la Villa, où elle le soumettait à d’épuisants interrogatoires, le coinçait par des questions croisées, lui tendant des pièges où il finissait toujours par tomber, furieux de s’être laissé prendre en se jurant de ne plus lui répondre. Dès qu’il mettait un pied dehors, elle le traquait, le suivait à la trace. Sous des prétextes enfantins, elle téléphonait à la boutique, elle qui naguère n’en connaissait même pas le numéro par cœur. (…) Faisait-il mine de résister, marquer une pause, sur un mot, une phrase, souvent innocents, qui pussent se rapporter à leur drame, le visage d’Allegra se vidait de son sang, ses mains tremblaient et elle reprenait son air hagard, comme si elle fixait à l’intérieur d’elle-même quelque monstre horrible. Elle ne sortait de cette fascination muette que pour éclater en reproches, en accusations insensées….»
«La souffrance d’Allegra déborda, se répandit autour d’eux, se révéla à tous. Elle qui au début, avait si peur du ridicule ne cachait plus son malheur. Elle en parlait en public, avec cette ironie complaisante des romantiques qui affectent de mépriser la douleur pour mieux la braver. Elle décrivait son mal comme un abcès monstrueux, un mal pernicieux dont elle se trouvait affligée, et dont son époux était la cause persistante. Armand, honteux de ce rôle qu’il jouait malgré lui, ne savait comment mettre un terme à cette indécence.»
Allégra n’était pas la seule à souffrir de cette «tragédie» qu’est l’infidélité de son mari. Ses enfants aussi en souffraient. Et le plus étonnant, Armand aussi. Il en souffrait beaucoup. D’un coté, il se sentait fol amoureux de sa jeune maîtresse qui le sortait de sa routine, qui lui faisait oublier son âge, d’un autre coté, il ne pouvait se résoudre à quitter Allegra. Il s’en voulait aussi de la faire souffrir.
«… comment éviter la souffrance destructrice de l’autre? Comment affronter l’insupportable, l’incontournable souffrance d’Allegra? Fallait-il quitter Allegra, rester avec Allegra? Quelle serait la meilleure solution pour elle comme pour lui? Quitter Allegra la transformerait en une créature hagarde, aux gestes saccadés, à la bouche tordue. Comment prétendre aimer toute l’abstraite humanité si l’on accepte d’être le bourreau d’un être de chair et de sang? Comment repousser une femme qui nous tend les bras? N’est-ce pas l’enfant qui crie en elle?»
«… la souffrance la rendait folle. La fragilité intérieure d’Allegra fut la grande révélation de cette terrible période; elle fut aussi son arme et sa sauvegarde. Armand se demandait parfois si elle n’allait pas, dans l’une de ses crises, se livrer à quelque acte insensé, se fracasser la tête contre un mur ou se saisir d’un couteau. Il lui aurait pardonné, il lui pardonnait tout à cause de cette souffrance qu’il sentait en elle, et pour laquelle il se détestait et la détestait. «Comment puis-je la mettre dans cet état? ». «C’est la dernière fois, je ne recommencerais plus.» Mais il recommençait, il le savait, il ne pourrait pas s’en empêcher, et il serait encore rempli d’horreur contre lui-même et de colère contre elle d’avoir encore utilisé ce chantage si vulgaire.»
Il doutait de tout, il doutait de lui-même. Il ne s’occupait plus de ses enfants, il ne pouvait plus travailler…
Et le doute. Le doute pernicieux concernant sa maîtresse si jeune. Un jour, elle le quitterait. Un jour, lorsqu’il sera vieux, où lorsqu’elle ne l’aimera plus. Un jour… Peut-il même être sur de sa fidélité? Non. Elle le lui a même dit.
Alors qu’Allégra… «… moi, je ne te quitterais jamais, parce que moi, je t’aime. Je t’ai aimé depuis que je t’ai vu à Paris, je n’ai jamais cessé de t’aimer même lorsque je te détestais.
Armand du convenir qu’il n’en avait jamais douté, même s’il n’y prêtait guère attention, comme on est certain de posséder un bien sans avoir besoin de le vérifier sur l’acte notarié. Il eut presque envie d’exprimer sa gratitude à Allegra.»
Et si Allégra avait, elle aussi, trompé son mari?
« -Si je l’avais fait, tu ne l’aurais pas supporté, ajouta Allegra comme si elle avait deviné sa pensée.
Il dut convenir qu’elle avait raison; il en aurait souffert. Il ne se permettait de telles audaces que parce qu’il les savaient gratuites. Allegra supportait tout ce qu’il lui faisait endurer, parce qu’elle l’aimait. Il n’en avait jamais vraiment douté. (…) Armand incarnait son destin; il lui aurait paru inconcevable de vivre sans lui. (…) Mais curieusement, cette ténacité d’Allégra n’effrayait pas tant Armand; au contraire, elle le rassurait.»
Pourquoi Armand ne quittait-il donc pas sa femme puisqu’il pensait tant aimer sa maîtresse?
«… en effet, pourquoi ne partait-il pas? A-t-il besoin, pour la quitter, de la permission de sa femme? Et soudain, avec une évidence très forte, il comprend que oui, il a besoin de son accord; il sait même pourquoi: s’il partait avec l’accord d’Allegra, il pourrait un jour, si besoin en était, revenir, réintégrer la Villa. La vérité est qu’il veut, de cette manière, garder Allégra; la vérité, presque comique, est qu’il veut garder toutes les deux, l’âge mûr et la jeunesse, le calme et l’agitation, le rêve et la sécurité. »
Malheureusement, tel est le choix que voudraient pouvoir faire tant d’hommes. Ils veulent les deux. Pourtant, cette situation ne fait que des malheureux. Mais ils sont ainsi: égoïstes. Ils veulent les deux tout en sachant que cela est impossible.
«Même Allegra, que l’idée de perdre Armand plongeait dans un désespoir morbide, ne comprenait pas davantage pourquoi il ne la quittait pas. Au cours de ces scènes innombrables où la fatigue les transformait en somnambules, en machines à paroles, Armand avait fini par convaincre sa femme qu’elle n’avait pas su le rendre heureux. Force avait été à Allegra de l’admettre avec une insupportable douleur; elle en demeurait abasourdi, comme lorsqu’on apprend que l’on n’a pas su aimer un enfant qui, un jour, vous le crie à la figure. On a beau s’en étonner, se le reprocher, essayer de se souvenir de ses erreurs, il est déjà trop tard. Elle continuait à pratiquer les rites sur l’autel conjugal, sans la foi mais avec plus de minutie encore qu’autrefois, dans l’espoir insensé que, de la braise qui couvait sous la cendre, surgisse quelque flammèche. Et parce que, dans cette symbiose très mystérieuse qui se forme entre un homme et une femme, les racines communes deviennent plus énormes que les troncs respectifs, de sorte que l’arrachement de l’un risque de déchirer l’autre; parce que, de toute manière, elle n’aurait pu survivre autrement. »
Armand a essayé de rompre avec sa jeune maîtresse à plusieurs reprises. En vain. Dès qu’elle l’appelle ou se manifeste, il court auprès d’elle.
Mais Armand n’est pas heureux. Il est déchiré. Il n’est plus lui-même. Il est double. Il est tricheur. Il est menteur. Il vit en se cachant… Est-ce à cela qu’il aspirait?
Et puis, aucune des deux femmes n’est heureuse. Chacune voulant plus, chacune exigeant d’occuper la meilleure place dans sa tête, dans son cœur. Chacune voulant plus et même tout. Où est le repos d’Armand?
Et sa jeune maîtresse, si elle devenait la seule dans sa vie, s’il vivait avec elle, s’il partageait sa vie, ne se transformerait-elle pas en épouse? «Fallait-il bouleverser sa vie et celles de tous pour se retrouver dans une nouvelle prison, derrière d’autres barreaux et dans d’autres renoncements certainement plus pesants?»
Armand ne sait plus quoi faire ni que penser. Il ne se sent pas bien dans sa peau. Il va rompre. Il ne peut que rompre d’avec sa maîtresse. Comme elle lui a si bien dit, il veut se retrouver lui-même.
La vie et les circonstances se chargeront de les séparer. La jeune maîtresse fera sa vie avec un jeune homme.
Reste Armand.
Armand qui comprend finalement que son salut dépend de sa tranquillité d’esprit, dans son travail, dans sa famille, de cette routine qu’il croyait détester mais qui est quand même salutaire.
Armand ne veut plus de cette vie double, de ces mensonges. Il veut retrouver sa vie d’avant, celle qu’il menait au grand jour. Et surtout, suite à un cauchemar, Armand va comprendre que sa femme, Allégra, fait partie de lui-même. Elle est son port d’attache, qui s’il venait à disparaître, le laisserait dériver à l’aveuglette.
«…il se mit à appeler: Allegra!, curieusement certain qu’elle ne pouvait être loin et qu’elle seule pourrait lui apporter apaisement et sécurité. Allegra avec ses manies, son organisation domestique, ses préjugés, son sacro-saint bridge, était l’image réfléchie de cette cohésion, qu’il avait toujours recherché, patiemment construite, sans se l’avouer, sans l’avouer à personne. (…) Oui, Allegra fait partie de ma coquille; si je devenais infirme, aveugle ou paralytique, mieux vaudrait que je continue à vivre au milieu de cet espace familier dont je connais le volume, le nombre de pas et les moindres aspérités agaçantes et rassurantes; sans Allegra, trop vieux prisonnier libéré, je me heurterais, me blesserais au monde, je serais amnésique et nu.».
Je trouve que l’auteur a su trouver les mots justes pour traduire les pensées d’Armand et décrire l’état des autres personnages.
Très beau livre sur les questionnements que l’on peut avoir à une certaine période de sa vie, lorsque l’on prend soudain conscience que les années ont passées. Crise de la quarantaine pour certains, crise de la cinquantaine pour d’autres, ou crise existentielle tout court.
Finalement, comme le dis aussi bien Voltaire dans «Candide», que Paolo Coelho dans «L’Alchimiste», et d’une façon beaucoup plus accrue ici, plus réfléchie et mieux décrite, on ne trouve son vrai bonheur qu’en cultivant son jardin. Bonheur et sérénité que l’on cherche parfois très loin, et qui pourtant sont juste à coté parfois.
Pendant de longues années, elle avait trompé tout le monde, tout son entourage. Elle était tous sourires, serviable, le mot gentil toujours à la bouche, de belles manières, toujours polie…
Ils s’y étaient tous fait prendre. C’est un ange cette femme. Un ange si pur….
C’est qu’elle savait s’y prendre. En public, elle savait toujours se maîtriser. En public, elle jouait toujours son rôle.
Une personne avait besoin d’aide? Elle était là.
Une personne avait faim? Elle était là.
Une personne avait une difficulté quelconque? Elle était toujours là.
Mais ce que les gens autour d’elle ne savaient pas, c’est que cette aide, ces manières, ces sourires… ne servaient qu’un seul but: se faire des alliés. Des alliés si le besoin s’en faisait ressentir. Des alliés qu’elle pourrait manipuler, qu’elle pourrait maîtriser, qu’elle pourrait utiliser…
C’est que voyez-vous, une seule chose l’intéressait: son ambition démesurée.
Cette ambition ne concernait qu’une seule chose: arriver.
Arriver.
Arriver, comme si sa vie en dépendait.
Arriver, comme si c'était la chose la plus importante au monde.
Mais...
Arriver à quoi?
Arriver à être un grand médecin?
NON
Arriver à être un grand chercheur?
NON
Arriver à être une bonne épouse? Une bonne mère? Une femme d’affaire? Un bon prof?
NON. NON. NON. NON.
Elle voulait arriver, arriver au sommet de la hiérarchie sociale. Fréquenter ceux qu’elle pense être les grands. Aller à leurs fêtes, à leurs mariages, s’asseoir à leurs cotés, leur parler, être vue avec eux…
Mais quels grands?
Les intellectuels? Les savants? Les écrivains? Les politiciens? Les artistes?
NON. NON. NON. NON.
Les grands pour elle sont ceux qui ont un énorme compte en banque, même si à coté ils sont bêtes, inintéressants, orgueilleux, prétentieux… L’essentiel est leur compte en banque. L’essentiel est la richesse matérielle et pécuniaire qu’ils affichent.
Pourquoi est-elle ainsi?
A-t-elle eu faim un jour? A-t-elle souffert de la misère?
NON. JAMAIS.
Bien que ne roulant pas sur l’or, sa famille était assez aisée. Ils ont une belle maison, ils ont de belles voitures, ils voyagent, ils mangent bien, ils s’habillent bien… Mais pour elle, cela n’était pas suffisant. Elle voulait plus, beaucoup plus.
Elle voulait être au sommet.
Peut-être espérait-elle être une Paris Hilton, une Onassis, une Rockefeller…?
Mais il lui fallait restreindre ses rêves aux frontières tunisiennes.
Et même en Tunisie, les familles très très riches existent. Et elle voulait les atteindre.
Etant très belle, elle a pensé que sa beauté lui ferait atteindre son but. Un de ces riches héritiers l’épouserait sûrement.
Mais elle avait semblé oublier un fait très important: ces jeunes héritiers sortent avec beaucoup de filles, mais lorsqu’ils se marient, ils épousent de riches héritières comme eux. C’est du moins, ce qui se passe dans la très très grosse majorité des cas.
Il lui a fallut alors se rendre à l’évidence. Les riches héritiers ont des mamans qui les surveillent, et qui ne les laisseront pas l’épouser.
Elle est alors obligée de revoir ses ambitions à la baisse…
Et voilà que se présente à elle une belle occasion: un beau jeune homme riche s’éprend de sa beauté. De sa beauté extérieure, cela va s’en dire, parce que s’il connaissait son âme, il ne serait pas si ébloui!
Il est beau et riche, c’est vrai, mais il lui manque l’éclat et le prestige d’un nom illustre. C’est que c’est important un nom illustre!!!!
Mais elle l’épouse quand même. A-t-elle vraiment le choix?
Au moins, lui, pourra lui garantir une belle maison, une belle voiture, des voyages….
Elle n’aime pas cet homme. Elle s’en sert. Elle s’en servira. Elle s’en servira tant qu’elle ne trouvera pas mieux.
Et puis, grâce à son argent, elle arrive à s’habiller plus ou moins comme ces gens qu’elle admire tant. Grâce à lui, elle roule dans une superbe voiture. Grâce à lui elle fait des voyages et peut s’en vanter devant ses «amies».
Elle arrive à donner le change. Elle arrive à faire croire qu’elle fait partie des grands.
Mais bien qu’elle soit devenue riche de part son mariage, très riche même, elle n’arrive pas à être satisfaite de son sort. Elle n’arrive pas à oublier ses rêves, elle n’arrive pas à oublier ses ambitions. Elle veut faire partie de la cour des grands. Et elle fait tout pour.
Avec la famille de son mari, elle fait semblant. Elle est toujours polie, toujours souriante. Pourtant, au fil des années, ils se sont aperçus que son attitude ne cachait que mépris à leur égard. Ils ne sont pas assez classe. Pas assez pour elle du moins.
En plus, bien qu’ils soient riches, leur devise est «pour vivre heureux, vivons cachés», or cela est tout à fait contraire à ce qu’elle veut. Elle veut l’éclat, elle veut l’apparat, elle veut l’apparent, elle veut impressionner, elle veut montrer…
Alors que fait-elle?
Elle se fait des amis parmi les grands. Ce n’est pas bien difficile. Il suffit de les flatter. De leur faire plaisir. De leur sourire. D’être toujours là pour eux.
C’est vrai que parfois elle leur sert de faire valoir. C’est vrai qu’ils se servent d’elle. C’est vrai qu’ils la traitent avec condescendance. Mais elle accepte tout. L’essentiel est d’être parmi eux. L’essentiel est d’être avec eux. L’essentiel est d’être vue avec eux. L’essentiel est de pouvoir dire qu’elle compte parmi leurs amis.
Alors elle est gentille. Toujours gentille. Toujours aimable. Elle reçoit bien. Elle aide beaucoup… Et elle fait très attention à sa réputation.
Quelle réputation?
Celle de gentille. Celle d’ange.
Pourtant, elle n’est pas un ange. Loin de là. Elle est un diable. Un vrai diable calculateur, manipulateur, froid et cruel.
Elle se fiche éperdument des autres. Elle se fiche éperdument de ses amis. Elle se fiche éperdument de son mari.
Seule sa personne compte. Mais elle s’y prend si bien que personne ne s’en aperçoit. Personne. Même pas les plus proches. Même pas son mari.
Et puis, lorsqu’elle commet une erreur, elle sait se rattraper. Elle sait se relever. Elle sait faire supporter son erreur par d’autres. Elle est tellement gentille, qui ne la croirait pas?
Et même ceux qui la soupçonnent ne peuvent se résoudre à la condamner: elle est un ange!
Elle est habile aussi. Elle peut détester une personne et se comporter avec elle comme si elle était sa meilleure amie.
Et puis, elle sait distiller ses mensonges avec tellement d’habilité. Elle ne raconte pas, elle suggère. Et l’interlocuteur ne pourra jamais dire qu’elle a médit d’une telle ou telle personne.
Elle repère les points faibles des personnes, et s’en sert en toute quiétude, très innocemment, sans que personne ne s’en aperçoive.
Et parfois, elle repère la personne sans défense, sur laquelle elle va se défouler. Mais toujours en privé, sans aucun témoin, sans laisser de traces. Elle peut insulter, crier, mépriser une personne, et deux minutes plus tard, dès qu’une personne tierce apparaît, se métamorphoser en ange souriant.
Sauf lorsqu’il s’agit de «pauvres», étrangers à son cercle d’habitués ou de la famille de son mari. Avec ceux-là, elle ne prend même pas la peine de dissimuler. Elle s’en fout de ceux-là. Ils sont pauvres et ne l’intéressent pas.
Mais est-elle heureuse?
Pourquoi fait-elle tout cela?
Pourquoi prend-elle plaisir à se défouler sur les autres?
Est-elle satisfaite de sa vie?
Où va-t-elle?
Quel est son avenir?
Sera-t-elle découverte un jour?
A vouloir tout, ne risque-t-elle pas de perdre tout?
A vouloir plus, ne se condamne-t-elle pas à une éternelle insatisfaction?
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Oh non!
Pas maintenant.
Pourquoi? Pourquoi sont-ils là? Pourquoi maintenant? Un signe du destin?
La voiture, cette voiture qui arrive, est celle de ses parents.
Que viennent-ils faire dans ce bled? Sont-ils venus en visite ou bien est-ce lui qui les a invités?
A-t-il senti ou compris qu’elle voulait partir?
Était-elle si prévisible?
Que font-ils ici? Pourquoi sont-ils venus?
Elle ne savait que faire, elle ne savait que penser…
Leur raconter la vérité?
Impossible.
Jamais ils ne comprendraient. Jamais ils n’excuseraient. Jamais ils ne pardonneraient. Leur fille ne pouvait pas avoir fait une chose pareille. Leur fille ne pouvait pas être infidèle. Leur fille ne pouvait pas avoir trompé son mari.
Et pourraient-ils croire que leur gendre pouvait avoir menti pendant de si longues années à propos de sa stérilité supposée. Ils l’aimaient tellement. Ils étaient si fiers que ce médecin, ce gynécologue ait épousé leur fille. Il ne faut pas oublier qu’il est le fils d’une si grande famille, et qu’il avait épousé leur fille. Elle était et est encore très belle leur fille, mais elle vient d’un milieu si modeste. Ils avaient tout sacrifié pour elle. Ils avaient travaillé très dur pour l’élever et surtout lui donner de l’instruction. Ils rêvaient pour elle d’un beau mariage. Et leur rêve s’était réalisé: elle avait fait un beau mariage.
Que savaient-ils?
Savaient-ils d’ailleurs quelque chose?
Étaient-ils là par hasard?
Ou bien s’est-il déjà chargé de leur raconter?
Non, il n’aurait pas osé. Qu’aurait-il pu leur dire? Qu’il avait menti pendant des années en leur faisant croire qu’elle était stérile? Que sa femme, leur petite fille chérie, avait couché avec un autre homme et qu’elle portait son bébé?
Non. Impossible. Il est trop lâche pour leur avoir raconté. Non, Moch rajel. Il ne l’aurait pas fait. Alors pourquoi étaient-ils là?
Toutes ces questions se sont posées à elle en quelques secondes. La voiture s’approchait. Qu’allait-elle leur dire? Qu’allait-elle faire?
Elle n’a pas le choix. Elle doit s’arrêter. Elle ne peut pas faire celle qui n’a rien vu.
Elle plaque un sourire sur son visage. Un sourire hypocrite et contrit. Mais a-t-elle le choix?
Sa liberté n’aura pas duré longtemps. Il faut qu’elle y retourne, du moins le temps d’apprendre pourquoi ils sont là.
Elle a voulu s’échapper, mais sa vie l’a rattrapée. Sa vie routinière, insipide, incolore, inodore, avec cet homme qu’elle n’aime plus, et surtout ne respecte plus.
Elle plaque son sourire sur son visage et arrête la voiture. Cette voiture qu’elle a eue du mal à faire démarrer.
Elle plaque son sourire sur son visage et fait face. Elle fait face à son destin, à sa réalité… à ses parents, à la société…
Elle plaque son sourire sur son visage et descend de voiture.
Ils se sont aussi arrêtés. Ils sont descendus de leur propre voiture. Ils viennent vers elle…
Surprise.
Ils sont surpris par son ventre arrondi. Ils ne savent donc rien. Pas encore.
La surprise fait place à la joie, au bonheur. Leur fille est enceinte. Ils ont attendu et espéré un tel miracle pendant des années. Ils sont heureux. Ils sont transfigurés par le bonheur.
Ils vont être grands-parents. Ils vont être grands-parents, eux qui ont attendu en vain pendant des années!
Je passe le relais à Azwaw. Après tout, il a l’âge de ces parents…
Elle le regarde et se demande: qu’avait-elle pu lui trouver? Comment avait-elle pu se tromper à ce point?
A l’époque, lorsqu’elle l’avait connu, il lui avait semblé que ce garçon était l’homme qu’elle attendait depuis sa tendre enfance. Le prince charmant qui viendrait la prendre sur son cheval blanc. Le preux chevalier qui la protègerait et la défendrait lorsqu’un danger quelconque la menacerait…
Plus elle le connaissait, plus elle lui trouvait des qualités. Il lui paraissait droit, loyal, honnête…
Il lui racontait, se racontait, il lui disait ses goûts, ses lectures, ses rêves, ses projets… Il lui faisait des promesses. Il lui promettait le paradis.
Elle l’écoutait. Elle le croyait. Elle buvait toutes ses paroles, partageait ses rêves…
Il l’avait demandé en mariage, elle avait accepté. Pour elle, c’était un rêve qui se réalisait. Elle avait trouvé ce qu’elle avait toujours cherché, rêvé, attendu… Il était enfin là.
Ils se marièrent.
Les premières années, elle le considérait toujours comme son prince, elle l’aimait… Elle le trouvait beau, intelligent, cultivé, bon, généreux… Elle lui faisait confiance. Elle l’aimait.
Bien-sûr, la vie quotidienne lui avait montré qu’il avait des défauts, il n’était pas si parfait qu’elle le croyait, mais ses défauts lui semblaient minimes. Un tube de dentifrice non bouché, une chasse d’eau non tirée… cela n’était pas important.
Elle l’aimait. Elle l’aimait brut. Elle l’aimait avec son passé. Elle l’aimait avec son futur. Elle l’aimait lorsqu’il lisait. Elle l’aimait lorsqu’il parlait. Elle l’aimait lorsqu’il était en public. Elle l’aimait lorsqu’ils étaient seuls. Elle aimait ses idées. Elle aimait ses rêves. Elle aimait ses idéaux. Elle aimait ses passions.
Elle l’aimait nu sous les draps. Elle aimait son désir. Elle aimait son corps. Elle aimait se blottir dans ses bras. Elle connaissait la moindre parcelle de son corps. Ses grains de beautés. Ses cicatrices. Ses courbes. Ses muscles. Son odeur… Elle l’aimait.
Elle apprenait à mieux le connaître. Et elle l’aimait. Avec ses peurs. Avec ses faiblesses. Avec ses angoisses… Elle l’aimait. Elle aimait ses contradictions. Elle aimait ses certitudes. Elle aimait sa timidité. Elle aimait son assurance. Elle aimait son arrogance. Elle aimait son éloquence.
Elle l’aimait. Elle l’aimait tel qu’il était.
Ou tel qu’elle croyait qu’il était?
Pendant des années, elle l’avait aimé. Allant jusqu’à l’idolâtrer.
Mais…
L’avait-elle idéalisé? L’avait-elle déifié?
Elle l’avait placé sur un piédestal. Pour elle, là était sa place. Auprès des surhommes, auprès des dieux… Il faisait partie de l’Olympe.
Un idéal pouvait-il avoir des défauts???
Non.
Du moins, certains défauts n’étaient pas concevables.
Un Idéal pouvait avoir des faiblesses, mais ne pouvait pas mentir.
Un Idéal pouvait se tromper, mais ne pouvait pas tromper.
Un Idéal pouvait faillir, mais ne pouvait pas trahir.
Elle n’avait rien vu pendant des années. Elle n’avait rien vu. A chaque faiblesse ou erreur, elle trouvait des excuses, elle trouvait des circonstances atténuantes… Ce n’était jamais sa faute à lui. C’était elle que ne comprenait pas. C’était les autres qui n’avaient pas compris. Les autres, toujours les autres… surtout pas lui. Lui était parfait. Lui était un Dieu. Lui était son Dieu.
Seulement…
Seulement, un jour, il lui a bien fallut déciller les yeux. Il lui a bien fallut les ouvrir ses yeux. Elle ne pouvait plus faire celle qui ne voyait rien. Il n’était pas celui qu’elle s’évertuait à voir. A croire. A imaginer. Il n’était pas ce Dieu-là. Il n’était pas cet Idéal. Il n’était pas cela. Il était seulement un Homme.
Tout simplement.
Il était un homme. Il avait des qualités, mais avait aussi des défauts. Un Homme et pas un Dieu.
Tout simplement.
Un Homme. Mieux que certains, moins bien que d’autres.
Un Homme.
La désillusion a été énorme. La déception monstrueuse. Douloureuse même. Son Dieu n’était qu’un homme.
Chute.
De l’Olympe, il se retrouve à terre.
A terre, un homme parmi les hommes. Un homme comme tous les hommes.
Un Homme. Un Homme avec des qualités, certes, mais avec des défauts aussi. Des défauts qui lui semblent insupportables, elle qui avait toujours recherché la perfection.
Désillusion, oui.
Mais la faute à qui?
Sa faute à elle ou sa faute à lui?
Avait-elle le droit de le déifier?
Était-il possible de vivre en Dieu?
L’avait-il trompée? S’était-elle trompée toute seule? Lui avait-il demandé de l’idéaliser? Ce rôle était-il trop lourd à jouer pour lui?
Comment vivra-t-elle cette déception?
Saura-t-elle vivre avec un homme, elle qui avait toujours rêvé vivre avec un Dieu?
Hier, je l’ai rencontrée. Je l’avais déjà aperçue quelquefois de loin, et j’avais à chaque fois fait celle qui ne la voyait pas, mais hier, pour la première fois depuis 4 ans, je me suis retrouvée dans une soirée restreinte avec elle.
La toute première fois...
J’étais chez des amis communs lorsqu’elle est arrivée avec son mari. J’ai voulu éviter de la saluer, j’ai tourné la tête. J’ai voulu lui montrer à quel point je la méprisais. Mais elle a salué tout le monde, ensuite, elle s’est approchée de moi et m’a appelée. Je n’avais plus le choix, face aux autres invités, et surtout à nos hôtes, je ne pouvais pas ne pas la saluer.
Pourquoi d’ailleurs a-t-elle tenu à me saluer?
Était-ce un excès de bonnes manières et de politesse?
Voulait-elle montrer sa supériorité à moi?
Ou bien, voulait-elle me dire qu’elle ne m’en voulait pas?
Je ne saurais dire….
Mais devant les gens, elle m’a mise dans l’obligation de répondre à son salut.
La revoir a fait rejaillir en moi des souvenirs. J’ai fait un retour en arrière dans le temps, et même plusieurs retours en arrière.
Il y a 16 ans, j’ai divorcé. J’avais découvert que mon mari me trompait. Non seulement, il me trompait, mais en plus, il le faisait avec mon amie.
Nous avions un petit garçon de 2 ans. J’étais amoureuse de lui. Je l’aimais vraiment. Je pensais que nous étions un couple heureux. Nous étions un couple heureux. Il ne nous manquait rien. Et un jour, j’avais découvert sa trahison.
Le ciel m’était tombé sur la tête. Je m’étais sentie bafouée. C’était l’horreur. Une vraie horreur. Pourquoi avait-il fait cela?
Mais peu m’importait le pourquoi, j’avais ma dignité. Et ma dignité ne me permettait pas de vivre avec un homme qui m’avait trahie. Il n’était pas question que je sois le dindon de la farce.
J’avais exigé le divorce. Je ne voulais pas divorcer, mais je ne voulais pas non plus être l’idiote trahie. Je ne sais pas, peut-être bien que je ne comprenais pas ce que je faisais. Mais je sentais que ma dignité et mon amour-propre exigeaient le divorce. Alors, j’avais tenu bon. Il fallait divorcer.
Autour de moi, beaucoup me disaient que l’erreur est humaine, que je devais pardonner, que je devais penser à mon fils… Mais non, j’étais trop orgueilleuse, il fallait que j’aille jusqu’au bout.
Et puis, je savais que la loi prévoit deux audiences de réconciliation, et je pense qu’inconsciemment, je comptais dessus. Je crois que je pensais en mon for intérieur que je lui ferais peur, que je le ferais payer sa trahison lors de cette première audience en lui montrant que j’étais prête à aller jusqu’au bout et à divorcer, mais qu’ensuite, il me demanderait pardon, et que nous resterions mariés. Jamais je n’aurais cru que lui et moi pouvions être séparés.
Et nous voilà au tribunal. L’audience. Le juge nous demande si nous sommes sûrs de vouloir divorcer, nous répondons par l’affirmative. J’étais sûre que ce juge nous fixerait une date pour la deuxième audience. Mais, surprise, il nous a déclarés divorcés.
J’étais hébétée. Je ne comprenais rien de ce qui m’arrivait. J’étais là, devant le tribunal, j’étais divorcée sans même m’en être rendue compte. Je ne réalisais pas ce que cela signifiait. Ce n’était pas ce que je voulais. Je ne voulais pas divorcer. Je voulais juste lui donner une leçon. Je ne voulais pas divorcer.
JE NE VOULAIS PAS DIVORCER!
Mais je l’étais. J’étais divorcée. Divorcée. Séparée de mon mari que j’aimais. Je n’avais plus de mari. J’avis disloqué ma famille. J’étais seule. Seule avec mon petit garçon. Nous étions seuls.
Il a fallut faire avec. Mais, même aujourd’hui, alors que les années ont passé, alors que mon fils est presque un homme, je n’arrive toujours pas à réaliser, à comprendre, à comprendre comment j’en étais arrivée là.
Mon ex-mari s’est remarié avec sa maîtresse, mon ex-amie. Ils ont eu des enfants. En fait, je voulais le punir, et c’est moi qui ai été punie. Lui, a refait sa vie, a reconstitué une nouvelle famille, et m’a oubliée.
Mais moi, je ne l’ai jamais oublié. Les années ont passé, et j’en suis toujours au même point: comment tout cela est-il arrivé? Pourquoi suis-je divorcée?
Je ne voulais pas être le dindon de la farce, et je me suis retrouvée justement le dindon de la farce! Je ne voulais pas être la perdante, et je suis effectivement la perdante. Après tant d’années, je suis toujours amoureuse de cet homme, mais je l’ai perdu à jamais.
Je n’ai pas refais ma vie. J’ai élevé mon fils. Je sors beaucoup. Je me suis faite des amis, mais je crois qu’au fond de moi-même, j’attends toujours le jour où je retrouverais mon ex-mari.
Le deuxième retour en arrière, remonte à environ 5 ans. Un peu moins.
Ma meilleure amie, pourtant mariée elle-même, avait jeté son dévolu sur un ami à nous, marié lui-aussi. J’étais sa confidente. Elle me racontait tout. Et j’étais sa complice. Je voulais qu’elle réussisse à devenir la maîtresse de cet homme. Pourquoi pas d’ailleurs? Il est marié? Et alors? Mon mari aussi était marié, cela n’avait pas empêché mon ex-amie de le draguer, et même de l’épouser par la suite. Alors pourquoi pas? Ainsi va le monde… Et pourquoi seulement moi? Sa femme à lui, serait-elle meilleure que moi?
Alors, je l’ai aidée. J’ai tout fait pour créer des problèmes dans le couple de cet homme. J’ai tout fait pour le rapprocher de mon amie. J’ai conseillé mon amie, je lui ai fourni des alibis en cas de besoin…
Mon amie a fini par atteindre son but. Elle est devenue la maîtresse de cet homme. Cela n’a pas été facile. Cela nous avait pris beaucoup de temps, vraiment beaucoup de temps, des mois entiers, mais nous avions réussi, elle était finalement sa maîtresse.
Et j’en avais été heureuse, très heureuse. Je n’étais pas la seule à avoir été trompée. D’autres femmes l’étaient comme moi!
Je m’étais attendue à ce que sa femme demande le divorce. J’essayais d’une façon détournée de lui conseiller de le faire. Je voulais qu’elle divorce. Pourquoi seulement moi? Elle devait divorcer! Elle le devait. Mais elle ne le faisait pas. Au contraire, je ne l’avais jamais entendue parler de divorce.
J’avais essayé de la rabaisser, mais d’une façon indirecte. Je lui avais raconté mon divorce. J’avais essayé de lui expliquer que si une femme avait un minimum d’amour-propre, elle devait divorcer. Mais rien à faire, elle dépensait toute son énergie pour récupérer son mari. Je ne comprenais pas. Je ne comprenais vraiment pas. Pourquoi? Pourquoi ne divorçait-elle pas? Pourquoi moi? Pourquoi seulement moi?
Après une âpre lutte, elle était arrivée à récupérer son mari. Elle était arrivée à préserver son couple et sa famille. Je l’avais détestée. Je l’avais haïe. Pourquoi n’avait-elle pas divorcé? Pourquoi moi? Pourquoi seulement moi?
Paradoxalement, je n’en avais pas voulu à mon amie d’avoir souhaité prendre le mari d’une autre. Mais j’en ai voulu à l’épouse de ne pas avoir divorcé. J’en suis convaincue, notre société est aujourd’hui faite de traîtres, de faux-culs, d’hypocrites… Mon amie a juste agi comme le font les gens qui nous entourent. Mais elle, l’épouse bafouée, je ne l’avais pas comprise, et je ne la comprends toujours pas: pourquoi n’avait-elle pas demandé le divorce? Pourquoi?
Je ne comprends toujours pas comment elle fonctionne. Je ne comprends toujours pas comment elle réfléchit. Je ne comprends pas. Et je lui en veux. Je lui en ai voulu, et je lui en veux encore. Je sais, je me répète, mais depuis des années, je suis perdue, je ne comprends pas.
Bien-sûr, une fois son mari récupéré, elle s’est arrangée pour ne plus nous fréquenter. Cela va de soit…
Mais, comme Tunis est une toute petite ville, en 4 ans, il nous est arrivé de nous croiser, mais toujours de loin. Dans un restaurant, dans une salle de spectacle… Ce qui fait que nous n’étions jamais obligés de nous saluer. En fait, nous faisions comme si nous ne nous voyions pas. Nous nous ignorions royalement.
Mais ce soir, la fuite a été impossible. J’ai essayé de l’éviter, mais elle m’a obligée à répondre à son salut.
Pourquoi m’a-t-elle saluée?
Pourquoi?
Ensuite, comble de malchance, son mari et elle se sont installés juste en face de moi. J’ai du les avoir devant mes yeux pendant toute la soirée.
J’ai eu beau essayer de regarder ailleurs, de baisser les yeux, de faire semblant de m’occuper…je les avais sous mes yeux. Leur présence me narguait.
Que fallait-il que je pense?
Elle a su préserver sa famille, elle a été courageuse, ou bien, qu’elle est conne, elle n’a pas pensé à son orgueil?
Que fallait-il que je pense?
Elle a été le dindon de la farce ou bien elle a été plus intelligente que moi?
Que fallait-il que je pense?
Je la déteste. Je la déteste. Pourquoi n’a-elle pas divorcé?
Le pire, c’est que son mari et elle se tenaient par les mains. De temps en temps, il se penchait vers elle et l’embrassait.
Je la déteste. Je LES déteste. Pourquoi n’avaient-ils pas divorcé?
Pourquoi l’embrassait-il? Il l’aime ou il veut me narguer?
Pourquoi?
Pourquoi moi? Pourquoi ai-je divorcé? Pourquoi? Ai-je préservé mon orgueil? Ou bien, suis-je devenue une divorcée dont les gens ont pitié?
Et elle? Pourquoi n’a-t-elle pas divorcé? Que devrais-je penser?
Je La déteste. Je La déteste, elle, et toutes les femmes qui ont fait comme elle. Je LES déteste TOUTES.
P.S.:Ceci est de la fiction. Je préfère le rappeler et insister. J'ai remarqué que souvent des lecteurs pensent que je parle de moi-même, ce n'est pas le cas. En fait, pour écrire une petite histoire, j'ai besoin de me mettre dans la peau du personnage. Je ne peux le faire qu'en écrivant à la première personne du singulier, mais je n'ai rien à voir avec le personnage.
Tu n’as toujours pas compris qu’un homme est un homme et qu’une femme n’est qu’une femme. Il n’y a pas d’égalité, c’est du n’importe quoi!
Arrêtez. Bourguiba vous a farci les têtes avec ces idées, et vous y avez cru. Arrêtez.
Tu sais quoi, tu es une femme. Tu n’es qu’une femme. Je t’ai achetée à ton père pour un dinar. Tu es à moi. C’est moi le chef ici. C’est moi qui commande. C’est moi qui t’entretiens, et grâce à mon argent, tu es à moi.
Ton rôle consiste à t’occuper de moi, de mes enfants et de ma maison. Pas plus. S’il y a un plus, c’est moi qui te l’accorde si j’en ai envie et lorsque j’en ai envie.
Quoi???
Tu n’es pas un animal?
Tu es un être humain???
Je sais que tu es un être humain, mais les esclaves aussi sont des êtres humains. Et puisque tu ne veux pas comprendre qu’étant une femme, tu es inférieure, je vais te l’expliquer moi!
Ici, tu n’as aucun droit, sauf ceux que je veux bien t’accorder.
Tu n’as pas le droit de sortir, tu n’as pas le droit de travailler, tu n’as pas le droit de rouspéter, tu n’as pas le droit de revendiquer… C’est moi qui commande, c’est moi qui donne les autorisations.
Tu as bien compris, tu n’as aucun droit. Que des obligations. C’est-à-dire qu’ici, tout doit être parfait. La maison doit être parfaite. Les repas doivent être parfaits. Mes vêtements doivent être lavés, repassés, rangés… Et gare à toi si quelque chose est mal faite….
Moi???
Tu te compares à moi?
Je suis un homme moi. Je n’ai qu’une seule obligation: vous entretenir financièrement tes enfants et toi. A part cela, je suis libre et j’ai tous les droits!!!!
Le jour où tu comprendras cela, tu pourras enfin être heureuse!
Update du 25/01/2010: Bien que ce texte soit fictif, il reflète une certaine réalité. Il m'est malheureusement arrivé d'entendre ce genre de paroles autour de moi. Mais l'autre jour, j'ai entendu exactement ce même discours dans... un film américain. Vraiment exactement le même. Comme quoi le machisme n'est pas une spécialité arabe, ni musulmane.
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