Hier, ouverture à Tunis de la 15ème session du festival « Cinéma de la Paix ? » avec le film Kazakh « Naguima » de Zhanna Issabaeva dont c’est le 4ème long métrage.
Synopsis :
Kazakhstan de nos jours. Naguima, jeune femme réservée, abandonnée à la naissance, partage une chambre dans un quartier-dortoir d'Almaty avec sa sœur de cœur, Ania, rencontrée à l'orphelinat. Enceinte, Ania meurt lors de l'accouchement. A nouveau seule, Naguima va tenter de reformer une famille…
Zhanna Issabaeva a décidé de faire ce film lorsqu’elle a découvert que dans son pays, une loi permet aux enfants abandonnés et élevés dans des orphelinats de connaitre l’identité de leurs parents biologiques lors de leur sortie de l’orphelinat, bien qu’une étude a démontré que 80% de ces parents rejettent quand même leurs enfants lorsque ceux-ci les retrouvent. Elle a voulu montrer les conditions de vie de ces enfants considérés comme des sous-citoyens, qui vivent dans des conditions précaires, et qui sont en manque d’amour.
Le film nous montre justement deux orphelines, amies, presque sœurs, vivant seules et devant faire face à tout et à tous. A part la voisine et l’épicier qui les aident, elles vivent dans un monde hostile.
Les deux jeunes femmes sont pauvres. Elles habitent dans un quartier dortoir miséreux et sinistre, elles se nourrissent de restes qui auraient du aller à la poubelle. La jeune Ania a été abandonnée par son compagnon lorsqu’elle est tombée enceinte. En plus, elle est malade. Mais elle ne peut pas consulter un medecin puisque même l’État les considère comme sous-citoyennes : elles sont sans papiers ni carnet de santé. La scène dans l’hôpital est d‘ailleurs significative : sans ces papiers, nulle admission aux urgences. Bureaucratie lourde et inhumaine, et alors qu’Ania se meurt, l’infirmière s’inquiète de papiers, de règles, de rapport à rédiger. Il a fallut l’intervention d’un médecin pour qu’Ania soit admise et qu’on s’occupe enfin d’elle. Mais trop tard, elle décède en couches.
Ce décès va opérer un tournant dans la vie de Naguima qui, ne pouvant supporter la solitude et en quête d’amour, part à la rencontre de sa mère biologique. Elle voudrait vivre avec elle et faire partie de sa famille.
Cette dernière va la rejeter. On le comprend tout de suite à la façon dont les deux femmes se tiennent l’une par rapport à l’autre, sans aucun contact physique. Elles s’assoient sur un banc, mais si éloignées l’une de l’autre. L’image est parlante d’elle-même.
La mère reproche à cette enfant qu’elle a abandonné 18 ans plus tôt d’avoir détruit sa vie une première fois et refuse de la laisser la lui détruire une seconde fois. Par ailleurs, cette même mère parle de ses 3 enfants légitimes d’une manière différente. Elle est même fière de son autre fille qui fait des études de médecine. Finalement, de ses 4 enfants, cette mère ne renie que Naguima.
Naguima rejetée par sa mère, va décider d’adopter le bébé de son amie Ania, bébé placée dans un orphelinat dès sa naissance. Or elle ne remplie pas les conditions requises pour pouvoir adopter un enfant : pauvre, illettrée et célibataire. Mais elle a un tel besoin de construire une famille qu’elle va voler le bébé.
Cette troisième tentative de construire une famille échoue, Naguima n’ayant pas su s’occuper du bébé. Elle prend par ailleurs conscience que le bébé est promis au même destin solitaire qu’elle. Ce constat la plonge dans une profonde dépression. Elle prendra alors une décision radicale.
La fin du film est tragique et très pessimiste. La réalisatrice voulait-elle dire que la mort est plus supportable qu’une vie dans un orphelinat et surtout sans amour ?
Tout le film traite d’ailleurs de cette quête d’amour. Le moment clef de ce film est justement la scène dans laquelle Naguima dit à l’épicier : "dis-moi que tu m’aimes". Lorsque surpris il refuse, elle va carrément le supplier de lui avouer un amour qu’il ne ressent pas, elle lui demande de mentir, de jouer la comédie. Elle manque tellement d’amour qu’elle pourrait se contenter d’un amour factice.
Malgré une photographie très soignée, le film est oppressant. Très minimaliste, des couleurs ternes, une ambiance triste, des visages presque sans expressions… Cette lourdeur du film est une manière de mettre le spectateur dans la situation des personnages, d’imposer le malaise des personnages aux spectateurs.
Le casting est excellent. Les deux jeunes femmes sont jouées par de vraies orphelines et non pas par des actrices professionnelles. Aucun acteur professionnel n’aurait d'ailleurs pu trouver en lui-même ce vécu et n’aurait pu jouer le rôle de cette manière. La jeune fille qui a joué le rôle de Naguima EST le personnage. Sans dialogues le message est passé, grâce aux gestes, aux actions, aux expressions du visage, au jeu d’acteur très dépouillé…
Naguima a remporté le Lotus du meilleur film au Festival du Film Asiatique de Deauville 2014.
Article publié également sur Tourismag.
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