Samedi 28 Mars 2014 a eu lieu au cinéma Le Rio à Tunis, l’avant première du long métrage «Le Challat de Tunis» de Kaouther Ben Hania.
Etaient présents tous les techniciens (auxquels la réalisatrice a rendu un grand hommage) et les acteurs, dont Jallel Dridi qui joue son propre rôle dans le film.
Synopsis :
Eté 2003, un homme sur une moto, une lame de rasoir à la main, rode dans les rues de Tunis. Il s’est donné pour mission de balafrer les plus belles paires de fesses des femmes qui arpentent les trottoirs de la ville. On l'appelle le Challat. Figure mystérieuse et insaisissable, le Challat génère passions et tensions. L’Etat en profite alors pour lancer une campagne « de bonnes mœurs » et faire planer le doute d’un possible retour des islamistes, dans une Tunisie qui, pourtant, depuis son indépendance, avait réussi, mieux que ses voisins, le pari de la modernité en émancipant ses femmes. Dix ans plus tard, alors qu’avec la Révolution la vérité semble accessible, une jeune réalisatrice obstinée mène l’enquête. Elle se fait un point d’honneur d’élucider ce mystère. Avec humour, Le Challat de Tunis raconte les dessous d’un fait divers devenu légende urbaine et dresse le portrait d'une société tunisienne en pleine effervescence où les hommes semblent peiner à trouver une place et où le corps féminin reste un enjeu politique de taille.
Le film devait être une pure fiction, mais tournée comme un documentaire. La réalisatrice a expliqué qu’en réalité tout le film devait être une fiction inspirée d’un fait divers, mais que par la suite, il est devenu mi-fiction, mi-réalité. En fait, comme elle l’a qualifié elle-même : il s’agit d’un film hybride, mêlant la réalité à la fiction. Et jusqu’à la dernière scène, le spectateur ne saura d’ailleurs jamais ce qui est réel et ce qui est fictif.
En effet, le scénario s’inspire d’un fait réel survenu en 2003. Un challat (balafreur) avait attaqué 11 femmes. Il les agressait avec une lame au niveau des fesses. Ce fait divers avait fait beaucoup parler à l’époque. Un homme avait été arrêté puis relâché. Par contre le vrai balafreur n’a jamais été arrêté. Le scénario a été écrit en 2009, bien avant la révolution. A l'époque, comme personne ne pouvait accéder aux documents officiels et aux archives des tribunaux, il n’y avait aucun moyen de savoir ce qu’il en était réellement. Il a fallut donc inventer toute l’histoire. Après la révolution, la situation a changé et les documents officiels étaient à la disposition du public. Il a été donc possible de consulter les divers PV de police et les archives du tribunal et de connaitre l’identité de l’homme arrêté et les détails de l’affaire. Le scénario a été modifié en conséquence.
La réalisatrice va expliquer que le fait divers ne sera qu'un prétexte pour aborder certains sujets: les relations hommes/femmes, la violence à l’encontre des femmes, le regard misogyne des hommes qui s’est d’ailleurs accentué après la révolution…
Le film commence par une scène importante : une équipe de tournage va à la prison de Mornaguia pour filmer. Un gardien les en empêche. La réalisatrice lui explique qu’elle a les autorisations nécessaires, que tout est en règle et qu’elle peut donc filmer. Le gardien refuse. Il répond que ces autorisations ne lui sont pas opposables. Pour lui, il est interdit de filmer, donc interdit de filmer. Point. La situation est kafkaïenne, mais typiquement tunisienne. Il y a la loi, et il y a la réalité. Le gardien va finir par s’énerver et casser la caméra.
Cette scène va donner le ton du film. On entre de plein pieds dans la réalité tunisienne, loin de ce qui devrait être, mais dans ce qui est.
Pour les besoins de l'enquête, des annonces sont placardées un peu partout dans un quartier populaire soupçonné être celui du balafreur. C'est l'occasion d'un micro trottoir qui permet de connaitre l’opinion des gens de la rue concernant ce qu’a fait le challat. Et c’est effrayant, c’est d’autant plus effrayant que la réalisatrice va annoncer lors du débat qui a suivi la projection du film que ce micro-trottoir est bien réel. Les hommes interrogés vont tous être solidaires du challat. Pour eux, si ces femmes avaient été agressées, c’est qu’elles le méritaient. Elles sortent moulées dans des Jeans serrés, elles méritent d’être balafrées. Ce micro-trottoir va être l’occasion de propos très misogynes.
Dans le film, n’ayant pas trouvé le balafreur, la réalisatrice fera un casting pour essayer de trouver un acteur pour jouer le rôle. La réalisatrice va demander à ces hommes pourquoi elle les engagerait pour le rôle du balafreur et s’ils pourraient expliquer son geste. Autre occasion pour écouter des propos très misogynes et effrayants. Casting réel ou pas ?
A la fin du casting, apparait Jallel Dridi, l’homme qui a été réellement arrêté par la police pendant une quinzaine de jours et qui avait bénéficié d’un non lieu. Il se fera passer pour le balafreur. La réalisatrice va le suivre dans sa vie quotidienne pour essayer de comprendre son geste.
Dans ce film, deux faits sont purement fictifs :
- Un jeune va créer un jeu vidéo : il s’agit de balafrer toutes les femmes «indécentes», ne pas toucher aux femmes voilées et échapper à la police.
Ce jeu aura un grand succès auprès des jeunes du quartier jusqu’à ce qu’une femme se révolte. Elle va crier son indignation et son refus de la misogynie ambiante et du message véhiculé par ce jeu.
- Purement fictif aussi est le virginomètre, appareil sensé détecter si une jeune femme est vierge ou pas en analysant son urine.
Ces deux faits sont là pour accentuer la misogynie de ces hommes. Mais ce qui est inquiétant est que l’image est réelle. Un peu trop réelle. Ces hommes veulent contrôler la femme et son corps. La scène de la poupée gonflable insiste sur cette volonté de contrôle du corps de la femme.
Le film est très plaisant. Le sujet est très sérieux, mais traité avec humour et légèreté. Mais tous les tunisiens sauront-ils rire d’eux-mêmes ?
Ce n’est que vers la fin du film que nous voyons deux vraies victimes du vrai balafreur. Elles vont témoigner et quelque part déconstruire le discours des hommes. Ce sont deux femmes respectables, d’un certain âge, elles étaient toutes deux décemment habillées lors des agressions. Elles ne correspondent pas du tout au stéréotype de la femme décrite par tous les hommes. Pourquoi donc avaient-elles été balafrées ?
Allez voir le challat. Vous passerez un bon moment et peut-être que vous apprendrez beaucoup sur notre société tunisienne!
Récompenses du film:
- Projet lauréat du prix Arte des relations internationales à la Berlinale en 2011.
- Lauréat de deux prix au Final cut workshop à la Biennale de Venice 2013
A partir du 1 avril 2014 à Tunis, dans les salles : Rio, Amilcar El Manar, MAD'ART Carthage, El Hambra La Marsa.
J'ai Lu le résumé "la réalité est assez riche pour donner de la fiction".Cette réalité ,je l'ai vécue (pas personnellement ) En Algérie pendant les années de Plomb qu'a vécue ce pays .Il avait un phénomène des jeunes frustrés ou pas ,s'amusaient à terroriser les jeunes Filles en les balafrant (fesses qd ils le peuvent ou sur une autre partie du corps ) .c'est la triste réalité .je tacherais d'y aller ce samedi
Rédigé par : Aman | 02/04/2014 à 17:32