Là où je vais, je pose des questions aux gens sur la situation de la Tunisie. J'aime connaitre les avis divers, de personnes diverses, d'âge, de classes sociales, de régions... diverses. Essayer de voir les choses autrement. Comprendre ce qu'ils se dit, ce que les gens pensent... Ne pas rester dans une bulle avec des gens qui pensent comme moi.
Et ce qui me choque le plus, c'est l'indifférence totale d'une très grande partie de nos concitoyens. Ils ne se sentent pas concernés, ne suivent pas l'actualité, ne savent pas ce qu'il se passe.. Mais le comble, c'est que rares sont ceux qui voudraient en savoir plus, être mieux informés.
Et ce sont ces gens-là qu'il va falloir attirer et intéresser à la politique.
Ci-dessous, deux exemples récents de mes questions:
Dimanche soir, un homme d'environ 35 ans
- Que penses-tu de la situation actuelle en Tunisie?
- Je ne sais pas. Je ne suis au courant de rien. Cela ne m'intéresse pas.
- Comment cela ne t'intéresse pas? C'est ton avenir et celui de tes enfants.
- Je travaille toute la journée et ne m'intéresse pas à l'actualité.
- Mais quand même, tu dois bien penser quelque chose de tout ce qu'il se passe. Par exemple, que penses-tu de cette histoire de Baghdadi?
- Je sais juste que le gouvernement va le livrer à la Libye.
- Va le livrer? Mais il l'a déjà fait depuis dimanche dernier, et cela a crée un grand problème entre le gouvernement et le président. Tu n'es pas au courant?
- Non, je ne suis pas au courant.
- Et tu n'as pas entendu parler de toute cette querelle qui a même été reprise à l'ANC?
- Non, je ne suis au courant de rien.
- Est-ce que tu avais voté en octobre dernier?
- Non.
- Pourquoi?
- Parce que je ne savais pas pour qui voter. Je ne voulais pas de nahdha, mais je ne savais pas pour qui voter parmi les autres.
Je lui ai raconté les évènements de la semaine dernière. Mais j'étais déçue de voir que des gens ne savent vraiment pas ce qu'il se passe en Tunisie.
Hier soir, un autre homme d'environ le même âge.
- Que penses-tu de ce qu'il se passe en Tunisie ces derniers temps?
- Je ne pense rien.
- Est-ce que tu as voté en octobre dernier?
- Oui. J'ai voté pour Ettakattol, je croyais qu'il allait nous défendre contre nahdha.
- Et aujourd'hui?
- Je ne sais pas, je ne suis plus tellement l'actualité, je travaille toute la journée. Mais j'ai installé une auto-radio pour pouvoir suivre dorénavant.
- Et donc que penses-tu de la situation actuelle?
- Je ne suis pas encore très au courant, il va falloir me poser la question une autre fois lorsque je serais plus au courant de ce qu'il se passe. Mais ce qui est sur, c'est qu'autour de moi, les gens sont très mécontents de nahdha. Et même ceux qui ont voté nahdha ne le feront plus la prochaine fois.
- Pourquoi?
- Parce que Nahdha a dit qu'elle ne toucherait pas à notre façon de vivre, or elle est entrain de le faire. Je ne suis pas d'accord pour qu'elle change notre société. Je ne suis pas d'accord pour qu'elle intervienne dans notre façon de vivre. je ne suis pas d'accord qu'elle veuille nous supprimer nos bières et notre vin. Je ne suis pas d'accord que des gens que je connais depuis toujours, des bandits de notre quartier, se fassent pousser des barbes et veulent aujourd'hui se mêler de notre façon de vivre. Mon beau-frère par exemple, il s'est fait pousser la barbe et à chaque fois qu'il vient chez moi et voit une bière, il détourne la tête et se met à dire istaghfourou allah. Il m'énerve. Alors je fais exprès de boire une bière à chaque fois qu'il vient chez moi. Je le fais vraiment exprès. Et si cela ne lui plait pas, il n'a qu'à aller ailleurs.
- D'accord, mais que penses-tu du reste, de la situation politique, économique...?
- Je ne sais pas. Je sais juste que nahdha NON.
- Et tu vas aller voter la prochaine fois?
- Je ne sais pas. Je ne sais pas pour qui voter. Mais grâce à cette auto-radio que je viens de m'acheter, j'espère savoir. Je passe mes journées en voiture, je fais environ 500km/jour, je vais donc pouvoir écouter la radio et savoir ce qu'il se passe. Nahdha ne me dérangerait pas tellement si elle s'engageait à bien travailler, à ne pas imposer un mode de vie précis, à ne pas se mêler de nos vies, à ne pas voler, à bien gérer le pays, à ne pas favoriser les siens, à ne pas se mêler de nos croyances et notre foi...
- Et tu penses quoi de l'affaire Abdellia, tu es au courant?
- Oui, je sais qu'il y avait des tableaux contraires à l'Islam.
- Tu es au courant que le tableau dont on a beaucoup parlé sur facebook ne se trouvait en réalité pas à la Abdellia, mais se trouvait au Sénégal?
- C'est vrai?
- Oui, ils l'ont dit à la TV et à la radio. Tu ne savais pas?
- Non. Mais dorénavant je saurais. Je vais écouter les infos.
Cet article est très significatif à plus d'un niveau. Actuellement en peut remarquer le désintérêt totale de la plus part des tunisiens aux affaires quotidienne et politiques, ce qui amène le penseur à se douter de la situation actuel de la "mémoire collective" du peuple. Mais la question reste de savoir "Le pourquoi"?
De point de vue sociologique, on peut remarquer que le tunisien était depuis la naissance de la république un subsistant éloigner du fait politique par crainte de pouvoir ou par hypocrisie.
De point de vue historique, on doit noter que la culture démocratique et absente dans la société tunisienne depuis plus de 50 ans.
Ce tableau oblige l'élite intellectuelle du pays de faire un effort plus grand pour faire comprendre aux peuple la vitalité de la question et l'importance de la démocratie et de la pluralité pour la Tunisie d'aujourd'hui et de demain.
Rédigé par : Dracontius | 06/07/2012 à 18:39