Hier, je suis allée au rassemblement qui a eu lieu au Bardo à l'appel de plusieurs associations et mouvements, à l'occasion de la séance inaugurale de l'assemblée constituante.
J'ai malheureusement été coincée dans la circulation et je ne suis arrivée que vers 10h45 je pense.
A mon arrivée, il y avait déjà un monde fou. Certains avancent les chiffres de 3000/4000 personnes. Peut-être bien. Et peut-être même plus, parce que certains venaient, d'autres partaient.
Les gens étaient plus ou moins organisés par groupes, associations, revendications...
Les premiers que j'ai vu sont Amnisty International. Cela m'a rappelé qu'en décembre 2010, j'avais été à leur bureau au centre ville à Tunis, et qu'on m'avait raconté leurs conditions de travail et la pression permanente que cette organisation subissait. Les voir à la lumière, entrain de manifester dans un endroit public était une belle surprise.
(Cliquez sur les photos pour les agrandir)
Je suis arrivée juste quelques minutes avant M.Ahmed Nejib Chebbi qui a été pratiquement ovationné. J'ai essayé de le prendre en photo, mais je n'y ai pas réussi.
Ensuite, je me suis promené ça et là, j'ai pris des photos, j'ai écouté quelques personnes.
Il y avait toutes sortes de revendications. C'était assez hétéroclite. Mais l'ambiance était saine. Du moins au début.
Comme le montrent les photos, les revendications étaient vraiment diversifiées. Les citoyens étaient là pour demander la/les libertés, la justice, l'emploi, l'indépendance par rapport aux pays étrangers, l'indemnisation des victimes de la révolutions, les droits des femmes, les droits des enfants, des médias libres et indépendants, des élections libres et transparentes.... Bref, le rassemblement reprenait en gros les revendications de la révolution. Pour résumer: LIBERTÉ - DIGNITÉ - JUSTICE - CITOYENNETÉ - JUSTICE SOCIALE.
A un certain moment, des sympathisants de la nahdha, et même l'un de ses dirigeants (je ne me rappelle pas son nom, mais je l'ai déjà rencontré avec Ajmi Lourimi) sont arrivés. Tant mieux. Cela peut en étonner certains, mais j'adore cela parce que cela permet des discussions intéressantes, avec des points de vues complètement opposés parfois. J'adore lorsque bien-sûr le respect est mutuel et que les discussions sont "pacifiques". Ce qui devrait être la règle. Il faut que nous tous, puissions nous parlez dans le respect total.
Je me suis donc promenée d'un groupe à l'autre. Juste pour écouter parfois, ou pour participer d'autres fois.
Je peux vous dire que cela discutait. De sujets divers. Par exemple de mères célibataires. C'est du moins la discussion la plus houleuse à laquelle j'ai assistée. Ce qui est dommage, c'est que parfois on sent qu'il y a une désinformation monstre. Et la rumeur a la peau dure parfois.
Ce que je trouve dommage en ce qui concerne ce sujet précisément, est que la plupart des gens en entendant parler de mères célibataires ne pensent que femmes "perverses" et oublient très souvent les victimes. Les victimes de viols, d'agressions et même les victimes de leurs ignorances ou de la société.
Un autre groupe parlait de tenues vestimentaires. Ce que j'ai trouvé étonnant, c’est la réaction d'une femme voilée. Elle était là pour la défense des droits des femmes. Elle m'a raconté qu'elle est voilée par conviction. Elle avait pris cette décision par elle-même sans aucune pression d'aucune sorte. Elle était d'ailleurs accompagnée de sa fille, jeune femme non voilée. Cette dame était tellement en colère. Elle a dit à un certain moment: "wallah, wallah, si jamais un jour le voile devenait obligatoire, wallah je l'arrache de suite et le jette. Moi qui l'ai porté par conviction, je l'enlèverais". Elle était émouvante dans sa colère.
Une autre discussion à propos de la tenue vestimentaire avec un papi qui portait cette pancarte:
Je l'avais remarqué et j'avais été lui demander ce qu'il voulait dire par sa pancarte et s'il s’adressait à un parti particulier. Sa réponse est que sa pancarte s'adresse à tous. Tous sans exceptions. Tous ceux qui trichent. Mais ensuite, la discussion a dévié sur le voile à cause d'une vielle mamie qui avait abordé ce sujet. Elle disait que c'est une obligation religieuse, il avait dit que non. Ensuite, il nous a regardé (nous étions environ 3/4 femmes non voilées à discuter avec lui) et nous a dit que nous étions si smè7 (mignonnes) et vraiment décentes telles que nous étions! :-)) Gentil le papi.
Pas loin de ce papi, deux tunisiennes noires revendiquaient l'égalité entre les races. L'une d'elles portait cette pancarte:
Un jeune homme était étonné par cette revendication et est allé leur poser des questions. Et elles nous ont raconté. Elles nous ont raconté le racisme des tunisiens. Elle nous ont raconté le racisme des Tunisiens envers leurs frères tunisiens. Elles nous ont raconté le racisme des tunisiens blancs envers leurs frères tunisiens noirs. C'était étonnant et épouvantable. Nous ne connaissons pas ou nous ne voulons pas connaitre ce genre de racisme en Tunisie, pourtant il existe.
Tout d'un coup, mon attention a été attiré par des cris. Je suis allée voir. Il s'agissait de Sofiène Ben Hamida. Il était venu et avait été agressé. Des gens lui criaient de dégager, d'autres l'insultaient. Mme Zeyneb Farhat et d'autres essayaient de le protéger.
Cela devenait insupportable et certains lui ont conseillé de s'en aller pour que cela ne dégénère pas. Ce qu'il a essayé de faire. Mais sur son chemin, il a malheureusement été agressé encore plus violemment, et certains en sont venus aux mains. L'agression verbale s'est transformée en agression physique. SBH était proche d'une voiture de police, mais les policiers ne faisaient que regarder sans intervenir. Une femme d'environ 55/60 ans est allée leur parler. Elle était en colère et leur criait de faire leur travail. Elle leur a dit que c'était normal que les tunisiens ne les aiment pas puisqu'ils ne les protégeaient pas et se contentaient de regarder.... Bref, elle a enfin réussi à les faire bouger. Ils ont alors essayé de protéger SBH et de l'escorter loin pour qu'il puisse s'en aller.
Je déplore et condamne fermement cette agression et toutes agressions. Je suis contre la violence. Je trouve vraiment dommage que cet incident ait eu lieu. Normalement, tout citoyen a le droit d'occuper l'espace public et de s'exprimer librement. Je dis bien tous. Tous les citoyens. Je signale au passage que le membre de la nahdha dont j'ai parlé plus haut essayait de calmer les gens et s'opposait aux agresseurs.
Personnellement cette agression est la seule à laquelle j'ai assisté hier. Mais on m'en a raconté une autre. Celle de Souad Abderrahim. Que je condamne aussi fermement.
Je ne connais pas les détails puisque je n'y étais pas. Certains disent qu'un homme lui aurait tiré les cheveux. D'autres disent qu'en réalité, il s'agit d'une mère célibataire.
Sur facebook, il y a le témoignage de Mme Zeyneb Farhat qui nie ou nuance cette agression:
Témoignage: lors de son arrivée aujourd'hui, à pied, pour se rendre à la &ère séance du CS au Bardo, Souad Abderrahim a été prise à parti par une femme qui s'est jetée sur elle en pleurant ! Nous avons tiré cette dame en arrière en protestant fortement ! Nous avions hué Souad Abderahim quant à ses positions rétrogrades et son insulte aux longues années de militantisme pour les Droits des Femmes MAIS NUL-le n'a le droit de porter atteinte à l'intégrité physique de qui que ce soit !!!
La seule vidéo que j'ai trouvée, toujours sur facebook semble corroborer ce témoignage, bien qu'elle ne soit pas vraiment explicite.
Sur Internet, certains semblent dire que cette agression est une comédie. Ils trouvent étonnant que Souad Abderrahim soit la seule à être venue à pieds, alors que tous les autres élus sont venus en voiture. Ils trouvent aussi étonnante la crise d'hystérie de cette femme avant l'arrivée de SA, et la manière dont elle s'est donnée en spectacle, peut-être juste pour attirer l'attention. Et la facilité qu'elle a eu à traverser le cordon de sécurité.
Y-a-t-il eu agression ou pas? Je ne sais pas. Quoiqu'il en soit, je le répète, je condamne fermement toutes agressions et violences. Et je suis contente de constater que la grosse majorité de mes amis a aussi fermement condamné cet acte.
On m'a raconté qu'un huissier notaire pro-nahdha (?) se promenait parmi les gens pour relever les "atteintes" à la nahdha. Cela me fait sourire. Ce huissier aurait pris la photo de cet homme et de sa pancarte pour porter plainte contre lui:
Le "phénomène" Jalel Brick était aussi représenté hier:
Bref, que c'est beau de pouvoir exercer librement sa citoyenneté. J'espère que cela durera à l'infini. Pouvoir s'exprimer, pouvoir protester, pouvoir manifester.... Et surtout s’approprier l'espace public. S’approprier son propre pays. S'approprier sa Tunisie.
Je me rappelle que lors de ma première manif sur l'avenue Habib Bourguiba, je pleurais. Oui je pleurais parce que de ma vie, je n'aurais jamais cru qu'un jour, je pourrais marcher au beau milieu de la rue et manifester. Et depuis, ce miracle s'est répété à plusieurs reprises.
L'espace public est à nous Tunisiens. A nous les citoyens. Et personne ne pourra plus nous l’arracher ou nous le voler.
La Tunisie est à nous, son peuple, ses enfants. Nous tous.
J'espère juste que nous trouverons un moyen d'y vivre tous en bonne entente, sans dictature, sans discriminations, sans exclusions....
Demain, Nabil Karoui et deux autres personnes vont passer devant la justice pour avoir diffusé le film Persépolis à la TV. Ce film a pourtant eu un visa d'exploitation du Ministère de la culture et a été projeté plusieurs fois au cinéma et dans les maisons de la culture, et cela avant et après la révolution. Ce film est en vente dans les vidéothèques en tunisie. Je l'ai moi-même acheté il y a deux ans. Et tout d'un coup ce film est devenu sacrilège!!! Ce film a aussi été projeté à Abou Dhabi lors d'un festival de cinéma. Je me demande si les Emiratis sont de bons musulmans puisqu'ils ont diffusé ce film.
Par ailleurs les gens qui ont agressé, cassé, violé le domicile privé, violenté une femme... n'ont été condamnés qu'à 9d600 d'amande. C'est beau un Etat de droit!!!! Justice mon oeil!!!!!
C'est ce que j'appelle la dictature. Et la mort de la liberté d'expression.
Update (17/11/2011 à 12h45) : l'audience a été reportée au 23 janvier 2012.
Je vous publie ci-dessus un article écrit par un ami. Il s'agit d'une reflexion au sujet de l'article 1 de la constituante de 1959. L'avenir nous dira s'il avait raison ou pas.
Jaouhar M'barek avait déjà soulevé le problème de l'ambiguité de cet article 1 dans son projet DOSTOUROUNA. Dernièrement, j'ai lu un article dans lequel Mohamed Abbou du CPR aurait dit que cet article 1 ne serait pas maintenu dans la nouvelle constitution pour éviter toute ambiguité dans l'avenir.
En ce qui me concerne, j'ai toujours été contre cet article 1 justement à cause de son ambiguité qui lui permet d'être utilisé par les uns et par les autres dans des sens complètement différents. J'avais d'ailleurs refusé de signer la pétition de l'Initiative Citoyenne qui demandai le maintient de cet article 1, et c'était un point de désaccord que j'avais avec le PDM qui préférait le maintenir tout en y ajoutant d'autres articles pour éviter l’ambiguïté.
La rédaction de cet article 1, tel qu'il est, est une brèche par laquelle pourraient s'engouffrer bien des malheurs.
Et je pense que c'est la raison pour laquelle nahdha voudrait le conserver. Il pourrait en effet servir à nous conduire petit à petit vers un État théocratique.
Et rabbi yoster.
La guerre de l’article premier n’aura pas lieu
Sami Bostanji
Professeur à la faculté de droit et des sciences politiques de Tunis
A la faveur d’une liberté d’expression longtemps étouffée, on a assisté au lendemain du 14 janvier à l’émergence au-devant de la scène politique d’un débat fondamental ayant trait aux rapports entre Politique, Droit et Islam au sein de l’Etat. Cela remettait à l’honneur une question centrale, constamment biaisée par les régimes autoritaires qui ont hérité de la phase postcoloniale.
Sur ce terrain miné par les clivages qui séparent les acteurs politiques, un certain consensus semble s’offrir autour du concept d’Etat civil. Ignoré, il y a quelques mois, le terme Etat civil fait une pénétration fulgurante dans le lexique politico-juridique tunisien. Tant et si bien, que les principales parties prenantes au jeu politique en arrivent à oublier leurs dissensions, s’attelant chacune de son côté à lancer un appel non équivoque à couler les institutions de la deuxième république dans le moule de l’Etat civil. Par une sorte d’effet d’attraction, un curieux phénomène de convergence s’établit sur la scène politique tunisienne pour entériner ce nouveau concept.
Pour s’en rendre compte, il suffit d’égrener les positions des principaux pôles politiques en concours : le pôle moderniste progressiste et le pôle islamiste. Dans ce contexte, il est à rappeler qu’après un lâcher d’essai orienté vers la revendication d’un État laïc, les modernistes ont vite fait de changer leur fusil d’épaule. Désormais, ils crient haut et fort que le salut de la Nation passe par la consécration du caractère civil de l’Etat, laquelle consécration est parfaitement conciliable avec le maintien de l’ancienne formulation de l’article premier de la Constitution qui prévoit que l’Islam est la religion de l’Etat tunisien. Quant aux islamistes, leur noyau dur revendique l’Etat civil en précisant toutefois que cet État ne peut se dissocier du référentiel islamique qui est appelé à accompagner, de manière incontournable, toute édification d’un nouveau cadre constitutionnel (Voir en ces sens, l’Interview de l’un des hommes forts du Parti Ennahdha, Ali Laaridh, Journal Le Maghreb, 2 septembre 2011; voir également, Le programme du Parti Ennahdha, Journal El Fejr, 16 septembre 2011).
Est-ce à dire que l’on se trouve en présence d’un concept qui présente des potentialités fédératrices au point de contenir des mouvances qui semblaient prima facie antinomiques ou bien faut-il tout simplement voir dans ce phénomène de convergence une simple manœuvre politicienne destinée « à botter en touche » les questions qui dérangent en attendant la joute finale qui aura lieu sur le terrain de l’élaboration de la nouvelle Constitution tunisienne?
Ces questionnements nous amènent à une introspection théorique de la clef de voûte de ce débat: le concept d’Etat civil.
Dans son acception générale, l’Etat civil s’oppose à l’Etat théocratique. Au rebours de celui-ci, il repose sur l’idée que l’Etat ne peut être défini par une référence quelconque à la religion, fut-elle celle de la majorité de ses ressortissants. Ceux-ci participent à l’exercice de la souveraineté par l’élection de leurs représentants, lesquels représentants sont appelés à forger des normes organisant la vie en société en contemplation des principes d’égalité et de liberté, sans l’interférence d’une quelconque transcendance divine.
L’appel à ce concept nécessite une reconfiguration des notions clés du cadre étatique: société, pouvoir et droit.
La société est identifiée au regard de son appartenance à une nation spécifique constitutive d’un État. La notion d’Umma, autrefois fédératrice de la collectivité, est reléguée au champ du symbolique ou tout au plus, celui du cœur. L’allégeance est donc concrétisée par un lien politico-juridique: la nationalité, lequel lien est rétif à toute interférence du religieux.
Quant au pouvoir, il trouve son fondement exclusif dans la souveraineté populaire. Point n’est besoin ici de chercher une quelconque validation de ce pouvoir au regard du sacré (Compagnons privilégiés du Prophète ou encore un prétendu lien de sang avec un membre de la famille du Prophète). Le gouvernant exerce le pouvoir par la volonté du peuple qui, par le biais de ses représentants, fixe les modalités d’exercice du pouvoir et les conditions au regard desquelles celui-ci prend fin.
Enfin, le droit est désacralisé en ce sens qu’il est dissocié du voile sacré qui l’a toujours couvert en terre d’Islam. Sur le plan formel, le droit n’est plus une production des jurisconsultes, il est désormais l’apanage exclusif de l’Etat qui s’approprie le monopole de la production des normes juridiques suivant des techniques bien établies. Sur le plan substantiel, le droit apparaît comme une médiation entre des intérêts antagonistes. A cet effet, il se présente comme le reflet des besoins et des exigences de la société qu’il prend en charge. Mieux encore, le droit se projette parfois comme un vecteur du changement social emportant dans son sillage une véritable mutation des relations qu’il est appelé à gouverner. Ce droit s’élabore sur terre sans prétention d’ancrage au ciel.
Au regard de cette présentation, on comprend mal comment le concept d’Etat civil peut se concilier avec la référence à l’Islam en tant que religion de l’Etat tunisien. Plaider pour l’Etat civil tout en cherchant à maintenir le lien ombilical avec le modèle originel place les chantres d’un tel discours dans l’impasse: quelle que soit la portée à conférer au référent religieux, le résultat de cet «attelage baroque» pèche par son incohérence. A défaut de pouvoir être justifiée, cette position trouve son explication dans la pression des faits politiques qui balayent toutes les certitudes théoriques et viennent rappeler que la Politique reste avant tout «l’art du possible».
I- Les incohérences du concept
Si l’on affirme, comme le pense en sourdine la frange moderniste que la référence à l’Islam doit être cantonnée dans le champ du symbolique on est alors acculé à s’interroger sur l’utilité d’une telle référence. Sachant que la solution véhiculée par l’article premier a été élaborée dans un contexte postcolonial, on peut émettre de sérieux doutes sur l’opportunité de la pérenniser au-delà de son contexte originel. Il est à rappeler à cet égard que la formulation, à l’aube de l’indépendance, de l’article premier de la Constitution tunisienne véhicule un effet d’annonce à double détente: l’annonce à la fois d’une rupture et d’une continuité par rapport à l’ancien système.
Ce texte évoque la rupture par rapport au passé sur le plan de l’organisation politique. Cette rupture se traduit par le passage d’une monarchie sous protectorat français à un État-Nation indépendant organisé suivant un mode républicain. La rupture vient ici exalter la souveraineté fraîchement acquise du nouvel État.
Quant à la référence aux éléments de continuité, elle permet de rassurer la population tunisienne: le nouveau fait politique n’emporte pas une subversion sur le passé puisque la société tunisienne reste soudée par les segments traditionnels, en l’occurrence la langue et la religion. De ce point de vue, la religion musulmane apparaît comme l’un des éléments fédérateurs de la Nation.
Les prescriptions de l’article premier de la Constitution de 1959 se retrouvent dans la quasi-totalité des Constitutions arabes. Cette disposition s’inscrit dans la voie de l’instrumentalisation des symboles religieux par les acteurs politiques. Lorsque la matrice structurante d’une collectivité est animée par le sacré, le référent religieux reste une source intarissable de consolidation du pouvoir. Il est ici question de capter l’audience et la force structurante de ce référent auprès de la population tunisienne, de l’endosser et de l’afficher afin de profiter des bienfaits de légitimation qu’il emporte. L’utilisation de ce référent apparaît donc comme une nécessité pour des régimes en quête de stabilité. Il révèle également que contrairement aux États laïques, il y a dans ces systèmes une interférence entre le Politique et la Religion. D’un côté, l’Etat gère l’Islam dans l’espace public (organisation de l’enseignement et du culte), d’un autre côté, l’Islam influence certains aspects du système politique (l’exigence par exemple que le chef de l’Etat soit d’obédience musulmane).
Toutefois au-delà de ces aspects, force est de constater que pour le cas tunisien, la place du religieux dans l’édification des institutions juridiques et politiques fut très tôt neutralisée. Cette assertion trouve consolidation, tout d’abord, sur le terrain de l’organisation du pouvoir qui s’est faite selon les paradigmes du constitutionnalisme occidental tournés vers l’idée centrale de limitation du pouvoir. Cette conception se traduit notamment par l’exaltation de l’idée de souveraineté populaire, l’affirmation du principe de séparation des pouvoirs et la proclamation des libertés publiques. Par ailleurs, le législateur tunisien ne s’est jamais obligé à aligner la loi sur les principes de la Sharia; de même, le Conseil constitutionnel n’a jamais contrôlé, de manière frontale, l’islamité des lois.
Certes, certains juges ont vu dans l’article premier, un visa ouvrant la voie à l’interprétation de certains textes, notamment ceux du Code du statut personnel, par référence au droit musulman classique. Néanmoins, une telle lecture ne demeure pas moins contestable dans la mesure où elle se trouve en porte-à-faux avec le caractère national de ce Code ainsi que les principes d’égalité et de liberté de conscience qui coiffent l’ordre juridique tunisien.
Si l’on se place dans la perspective qu’il faut maintenir cet article dans la dimension symbolique qui lui a été attribuée successivement par les régimes de Bourguiba et Ben Ali et qu’il faut, en parallèle, maintenir la perspective de laïcisation du droit, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’utilité d’une telle entreprise.
Y a-t-il, aujourd’hui, un besoin impérieux 56 ans après l’accès du pays à l’indépendance, de faire pareille déclaration identitaire? Avons-nous encore besoin de nous rassurer? Pourquoi s’obstiner à se représenter au regard d’une seule strate identitaire au mépris des autres éléments constitutifs de notre identité? N’est-ce pas oublier que l’identité n’est pas un état mais plutôt un processus. « Elle n’est pas une essence, mais une donnée historique qui se construit, se déconstruit et se reconstruit au gré des conjonctures économiques et sociales, locales ou régionales » (Sélim Abou, De l’identité et du sens, La mondialisation de l’angoisse identitaire et sa signification plurielle Perrin/PUSJ 2009). Notre identité arabo-musulmane, à la supposer exclusive est-elle vraiment menacée dans son existence si on venait à omettre ce genre de mention?
Autant d’interrogations qui fissurent le mur de certitudes des adeptes de cette position. L’Etat civil invoqué est certainement viable sans cet effet d’annonce qui interpelle un référent religieux. Partant du principe que les dispositions inutiles affaiblissent les dispositions nécessaires, le maintien de cette solution devient nuisible car elle nourrit une représentation du droit et de la politique qui tourne le dos à la réalité. Cette attitude schizophrénique joue sur l’ambiguïté de l’association Etat civil – Islamet entretient le flou de ce binôme. Elle appelle à la méfiance car, comme le souligne Edgar Morin « La conscience n’est jamais assurée de surmonter l’ambiguïté et l’incertitude » ( E.Morin, Le paradigme perdu ) . Pis encore en regardant devant soi, l’Histoire nous apprend que l’ambiguïté est souvent le masque derrière lequel s’embusque la perversion.
Mais le danger est plus grand dès lors qu’on réfléchit à dissocier l’article premier de son caractère symbolique pour le canaliser vers un terrain plus concret où il autoriserait une plus grande pénétration de la religion dans les domaines politique et juridique. Ce projet qui tient à cœur à certains dirigeants islamistes et à une bonne partie de la base acquise à leur cause viendrait alors déconstruire un à un les éléments de l’Etat civil par une confusion entre le temporel et le spirituel ; de même qu’il emporterait l’affaiblissement du principe d’égalité qui se trouverait battu en brèche par les nombreuses discriminations véhiculées par le droit musulman classique (discrimination en raison de la religion, du sexe, de l’origine de la naissance…). Enfin, assisterait-on à travers une telle approche à la réactivation in fine d’une identité religieuse aux lieu et place de l’identité nationale. Sous cet angle, Droit et Politique obéiraient à une conception identitaire au sein de laquelle l’Islam transcende les règles appelées à régir les rapports gouvernants-gouvernés et à réguler, de manière générale, l’organisation de la vie sociale. L’incompatibilité de cette démarche avec le concept d’Etat civil est saillante. C’est toute l’organisation rationnelle que présuppose ce concept qui se trouve ici ruinée. S’il est vrai que l’Etat civil est une illustration édifiante de la modernité, il est aussi vrai que celle-ci s’accommode mal de toute transcendance. Comme le souligne Juergen Habermas, la modernité est nécessairement un phénomène endogène; elle ne peut trouver sa référence dans autre chose qu’elle même.
Loin d’assumer les véritables implications de l’Etat civil, les acteurs politiques de la scène tunisienne semblent nourrir ce concept d’une vision qui le délite de sa conception originelle. C’est là qu’entrent en jeu la pression des faits politiques. On sort alors du domaine théorique des concepts pour aller sur le terrain de la stratégie politicienne.
II- La pression des faits politiques
Par l’intermédiaire du concept d’Etat civil, les acteurs politiques simulent l’accalmie en essayant de maintenir les divergences en suspens ; chaque partie cherchant à bénéficier d’un « temps mort » qu’elle espère prolonger à volonté. Derrière cette stratégie commune visant à lénifier les appréhensions d’un électorat que l’on cherche vaille que vaille à captiver, se terrent les mobiles divergents des parties au débat.
Le clan moderniste vise le maintien du statu quo ante : c’est à dire continuer à brandir l’étendard de l’Islam, au plus haut niveau, tout en s’efforçant de neutraliser la charge juridique de cet article premier. Cette partie préfère continuer à surfer sur le flou du texte, à compter sur « la baraka de l’ambiguïté »pour maintenir l’aiguillage du système politico-juridique vers le cap de la sécularisation. Pour elle, la posture idéale est d’esquiver le débat avant le 23 octobre mais également après cette date afin de ne pas entrer dans une bataille où elle risque d’être mise au ban compte tenu du fait que l’Islam conserve au sein de la société une force structurante dont il est difficile de faire fi.
Quant à l’autre partie, elle simule le jeu de la continuité pour ne pas choquer les forces séculières qui, pour des raisons historiques (la Tunisie a été un pays précurseur dans le mouvement réformiste amorcé au milieu du XIXème siècle) et politiques (laïcisation par le haut du système politico-juridique amorcée par Bourguiba et pérennisée par Ben Ali) sont plus vives en Tunisie que dans les autres pays arabes. In petto, la faction islamiste rêve de lendemains prometteurs; des lendemains où elle pourra, à la faveur d’une légitimité solidement acquise, donner satisfaction à une bonne partie de sa base qui réclame le rétablissement de « l’ordre juridique et moral originel ».
Quels que soient les objectifs non avoués des parties en concours, force est de relever que l’abandon de toute référence à l’Islam en tant que religion de l’Etat Tunisien est, aujourd’hui, difficilement concevable. A l’instar des autres sociétés arabes, la société tunisienne demeure profondément marquée par une fibre religieuse. L’Islam est le véritable ciment de la collectivité et le segment indéfectible qui structure la pensée, le comportement et la sensibilité de la collectivité. Il est à la fois croyance, morale, culture… Dans l’imaginaire populaire, renoncer à cette dimension identitaire véhiculée par l’article premier équivaut à se perdre. Conscients de cette réalité, les forces modernistes savent que sur ce terrain, elles ne peuvent réellement aller très loin. D’où la quasi unanimité qui se cristallise dans les milieux politiques progressistes sur le maintien de l’article premier de l’ancienne Constitution.
Pour leur part, les islamistes ont une marge de manœuvre non moins limitée. En effet, si, dans l’absolu, un retour à l’ordre charaïque n’est pas théoriquement exclu, il est d’une mise en œuvre très hypothétique au sein de la société tunisienne. Dans cette collectivité, la modernité ne date pas d’hier. Il n’est point question ici d’une modernité projetée ou différée; bien au contraire, la modernité en Tunisie est une pratique vécue sur les terrains politique, économique et social. La rationalisation de l’organisation de la vie au sein de la société aussi bien sous le rapport individuel que collectif est inscrite dans les mentalités et les mœurs de la société; l’exemple édifiant étant ici celui du statut personnel. Le droit objectif est venu prendre en charge cette modernité emportant dans son sillage la consécration de droits subjectifs qui, par un effet de répétition, vont accéder au rang de droits acquis. Qui plus est, cette rationalisation est aujourd’hui rendue nécessaire par la complexification de la vie sociale, laquelle complexification rend toute remise en cause des paradigmes qui découlent de la modernité difficilement envisageable.
En somme, nous nous trouvons en présence d’une situation qui a atteint un point d’équilibre qui fait que quelque soit le résultat du scrutin du 23 octobre aucun de ces principaux pôles ne serait en mesure d’imposer ses vues à propos de l’article premier, à la partie adverse. Au regard de ces considérations, il est probable que la nouvelle Constitution ne contienne pas d’innovations substantielles sur le terrain de la conception des rapports entre Politique, Droit et Religion; se contentant d’introduire le concept d’Etat civil qui s’apparente ici à «un concept placébo» qui permettra à toutes les parties prenantes de sauver la face moderniste du débat; en même temps, on cherchera à maintenir la référence à l’Islam en tant que religion de l’Etat tunisien pour sauvegarder la dimension identitaire à laquelle tient une grande partie de la population.
Ce positionnement nuancé semble en l’état actuel des choses incontournable. La politique, dit-on, est «l’art du possible»; or n’est possible que ce qui est réellement praticable. Le pragmatisme dans l’appréhension de la situation l’emportera nécessairement sur la logique et la cohérence des concepts.
Dans ces conditions, il est légitime de penser que la guerre tant annoncée de l’article premier n’aura pas lieu.
Depuis quelques semaines, je n'écris pas beaucoup sur mon blog parce que j'ai eu un petit problème "technique".
Mon blog était hébergé par psychologies.com depuis le début, soit depuis septembre 2006.
Malheureusement, ils ont pris la décision de changer et ils ont crée une sorte de réseau social. Mon blog a donc migré vers une nouvelle plateforme. Au début, je n'étais pas contre ce déménagement, mais ensuite j'ai remarqué que ce déménagement s'est plutôt mal passé. Des notes et des commentaires ont disparus en cours de route. Des dates ont changées. Les photos avaient disparues et sont réapparues, mais avec des noms de différends et surtout avec une taille si petite que pour certaines, elles ne présentaient plus aucun intérêt. Les lecteurs ne peuvent plus commenter sans être connectés sur psychologies.com. Les compteurs ne marchaient plus...
Bref, cela devenait trop compliqué, avec des contraintes monstres.
J'ai donc contacté psychologies.com pour leur dire mon refus de cette nouvelle formule.
Heureusement, ils ont été compréhensifs et m'ont offert d'héberger mon blog chez TypePad. Le problème est que l'URL change. J'ai fini par accepter, même si je dois recommencer tous les référencements et procéder à de nouveaux paramétrages.
Petit à petit, j'espère que tout rentrera dans l'ordre.
M.Hamdi Meddeb s'est permis d'inviter M.Samir Dilou et M.Ajmi Lourimi au dernier match de l'EST. Mais où les a-t-il invités? Dans la loge qu'occupait Slim Chiboub.
Ces messieurs ont accepté l'invitation et sont venus au stade accompagnés de leurs épouses.
Mais seulement, ce geste n'a pas été apprécié par tous. Non pas parce qu'il s'agit de ces deux messieurs en particulier, mais pour le geste en lui-même.
Un citoyen, sympathisant de l'EST est allé leur parler. Il leur a dit qu'il n'était pas d'accord qu'ils occupent cette loge gratuitement. Il leur a expliqué que la révolution a justement mis fin à ce genre d'agissements. Plus de privilèges pour personne. Il leur a aussi dit que dorénavant le sport et la politique devraient être séparés. Les politiques n'ont plus à se mêler du sport. Il leur a gentiment expliqué son point de vue. D'après lui, s'ils étaient présents à titre personnel, ils devaient payer leurs places comme tous les autres spectateurs, et s'ils étaient là à titre officiel et représentants de leur partis, ils devaient aller à la tribune d'honneur avec les autres officiels.
Messieurs Lourimi et Dilou ont été très corrects. Ils ont compris ce point de vue et ont quitté la loge.
Pourquoi est-ce que je vous raconte cette anecdote?
D'abord pour dénoncer la 9offa et ensuite pour que les erreurs du passé ne se renouvellent plus.
Malheureusement, en 23 ans, nombreux sont ceux qui se sont habitués à la 9offa. Iddiniya ma3 il wa9if dit-on. Et depuis le 23 octobre, nous avons vu bien des retournements de veste et bien des 9affèfa. Surtout bien-sûr, les mauves qui sont devenus les plus grands révolutionnaires pendant 9 mois, et qui aujourd'hui se transforment en nahdhaouis.
On dit qu'on veut rompre avec le passé et la corruption. C'est bien, mais il faut donc rompre avec ces sales habitudes de 9offa et de tentatives de corruptions.
Et puis, rappelez-vous Ben Ali. Au début de son "règne", c'était pareil. Les 9affèfas avaient fait de même et petit à petit, le pouvoir lui est monté à la tête et il n'a plus connu de limites. L'ivresse du pouvoir finit corrompre.
Il ne faut plus commettre les mêmes erreurs aujourd'hui. La 9offa doit s'arrêter et les nouveaux gouvernants, quel qu’ils soient, ne doivent pas tomber dans ce piège et ne doivent pas laisser le pouvoir leur monter à la tête et les éloigner des objectifs de cette révolution. Ils se doivent de refuser tout privilège ou passe droit d'où qu'il puisse provenir.
Aujourd’hui, j’ai préféré aller à l’AG organisée par le FUT concernant les agressions qui ont eu lieu au sein des établissements universitaires. Mais l’une des femmes organisatrices de l'action de la Casbah (cliquez ici et ici) est venue nous rejoindre après le RDV avec M.BCE.
Voici ce qu’elle a raconté : Pendant que des femmes manifestaient pacifiquement à la place de la Casbah, une délégation de femmes est allée à la rencontrer M.BCE. Actualité oblige, ces femmes avaient demandé à une enseignante universitaire, membre du syndicat des enseignants universitaires, de se joindre à elles, ce qu’elle a fait. C’est cette dernière qui a parlé. Elle a commencé par exposer les problèmes que rencontrent actuellement les femmes (enseignantes et étudiantes) au sein des établissements universitaires, elle lui a raconté les agressions aussi bien verbales que physiques, les problèmes de sécurité qui se posent… Elle a ensuite demandé à M.BCE de les aider aussi bien en ce qui concerne ce problème précis, qu'en ce qui concerne la préservation des droits des femmes tunisiennes, en particulier en les faisant inscrire dans la nouvelle constitution. Il parait que M.BCE les a un peu rassurées toutes, tout en leur recommandant de se mobiliser encore plus et de rester très vigilantes.
Bon, à priori, ces femmes n'ont encore commis aucun délit ni crime.
Attendons donc avant de les condamner encore plus!
Peut-être que je suis trop naïve, mais je préfère présumer de la bonne foi des gens, et surtout, je préfère ne pas condamner avant d'avoir des preuves. Pour en revenir à la réunion des femmes d'hier, comme je vous le disais le texte présenté était nul et j'avais proposé l'aide d'un ami juriste pour le réécrire en gardant les mêmes idées. J'avais RDV ce matin avec l'une des femmes initiatrices du projet et nous sommes allées voir cet ami.
J’ai expliqué à cet ami la situation en lui disant clairement que je ne cautionnais pas ces femmes que je ne connais pas et que son texte allait éventuellement être présenté à des hommes politiques.
Depuis hier, j'ai posé quelques questions à gauche et à droite, et toutes les personnes interrogées confirment que ces femmes, tout à fait ordinaires, agissent de leur propre initiative, sans aucun arrière pensé, sans aucun parti, organisation... caché derrière. Elles sont, parait-il, de simples citoyennes qui ont pris cette initiative parce qu’elles ont eu peur que les femmes tunisiennes, et leurs filles et petites filles perdent des droits acquis depuis une cinquantaine d'années.
Bref, cet ami a donné une forme à l’ancien texte qui n’en avait pas. Pour résumer, ce texte demande tout simplement que l’acquis soit préservé, que les conventions internationales accordant des droits aux femmes soient ratifiées sans aucune réserves, que les droits du Code du statut personnel soient garantis par la nouvelle constitution… le tout au nom de citoyens tunisiens, sans distinction aucune.
Il y avait avec nous une dame qui était présente hier soir et qui comme moi ne faisait pas partie de l’initiative initiale mais qui avait manifesté le désir d’être présente.
Ensuite, nous sommes allées à la coupole. Il y avait une centaine de femmes qui malgré le fiasco d’hier ont accordé leur confiance à cette initiative, d’autant plus qu’une grande partie de ces femmes se connaissaient puisque le rassemblement s’est fait de bouche à oreille (ou plutôt de SMS à SMS et de message à message).
Les médias étaient présents aussi.
Un des quatre bus était aussi là.
Les initiatrices ont demandé si quelques femmes voulaient faire partie de la délégation qui parlerait à M.BCE. Il suffisait de communiquer le numéro de la CIN. Elles me l’ont d’ailleurs vivement proposé, mais j’ai refusé parce que j’avais une très grande envie d’aller à la réunion du FUT à 14h, et je n’aurais pas pu faire les deux. Et puis, il reste quand même au fond de moi un doute. Sait-on jamais ?!
Deux femmes se sont proposées et ont donné leur CIN.
Tout d’un coup, nous avons vu le bus partir, vide. Et les initiatrices apprennent que des ordres venant Dieu sait d’où avaient été donnés pour faire annuler les bus. Consternation. Pourquoi ? Qui a donné ces ordres ? Les bus avaient été loués, et même parait-il payés.
Le bus est donc parti et les autres bus n’allaient pas venir. Les femmes ont alors décidé d’y aller par leurs propres moyens.
Je les ai quittées, et je suis allée au bureau.
Je me pose plein de questions.
Pourquoi ?
Pourquoi toute cette suspicion ?
Pourquoi ce sabotage ?
Qui a annulé les bus ?
Nous ne savons pas qui sont ces femmes ? Oui, c’est vrai. Et alors ? Cela veut-il dire automatiquement qu’elles sont louches ?
De simples citoyennes ne peuvent-elles donc pas prendre des initiatives ?
On trouve louche le fait qu’elles aient pu louer une salle et 4 bus. Pourquoi ? Il faut des dizaines de millions de dinars pour louer une salle et 4 bus ? Une dizaine de femmes seraient donc incapables de se cotiser et payer cela ? Elles sont pharmacienne, architecte, enseignante universitaire… Vous pensez que c’est vraiment au-dessus de leurs moyens ?
On trouve louche qu’elles aient envoyé autant de SMS. Ah oui ? J’en ai envoyé des centaines lors des derniers mois. Pour chaque action qui m’a semblée intéressante, j’ai envoyé un SMS à toute personne figurant dans mon répertoire téléphonique. Et je demandais à mes amis de relayer. Vous pouvez me croire, lorsque l’on est motivé, cela va vite.
On trouve louche que la date choisie correspond à la date de l’AG organisée par le FUT. Oui, mais vous avez une preuve que cela a été fait exprès ? Vous pensez vraiment que ce sont elles qui ont choisi la date et l’heure du RDV avec M.BCE ?
Bon, hier, c’était le cafouillage total. C’est vrai. Mais c’est peut-être aussi une preuve en faveur de ces femmes, elles n’ont pas l’habitude de ce genre d’action mais au moins elles sont pleine de bonne volonté.
Personnellement, je trouve dommage qu’on les accuse et condamne sans attendre d’avoir des preuves quelconques. Je trouve dommage qu’une initiative personnelle ait été coupée dans son élan. Ce qui m’inquiète, est que cela fait des mois que nous n’arrivons pas à nous entendre, cela fait des mois que nous sommes divisés, cela fait des mois que chacun accuse l’autre, cela fait des mois que chacun se méfie des autres, cela fait des mois que chacun sabote le travail des autres… et qui est perdant à la fin ?
Peut-être que ces femmes sont des arnaqueuses. Peut-être qu’elles ont manigancé un énorme complot. Oui, peut-être. Mais peut-être que non. Et à ce moment-là, dommage d’avoir saboté leur travail. Oui, elles ont commis des erreurs de communication, mais est-ce une raison suffisante pour les saboter ?
Pourquoi ne pas les avoir laissé faire, les observer quelques temps, et juger par la suite ?
Ce qui m’inquiète, c’est que nous risquons de ne jamais avancer si nous décourageons toute initiative. Dommage.
Et wait and see !
Demain, vous serez peut-être entrain de me dire que j’ai eu tout faux. C’est très possible. Mais au fond de moi-même, j’aurais la satisfaction d’avoir attendu avant de condamner sans preuves.
Je leur accorde le bénéfice du doute. Je préfère que demain, on me dise que je suis trop naïve, plutôt que de me dire à moi-même que j’ai participé à saboter les efforts d’autrui.
UPDATE: précision quant aux bus annulés. En fait, le loueur des bus a reçu des menaces lui disant que ses bus seraient cassés s'ils allaient à la Casbah, il a alors préféré les "rapatrier". Qui a menacé? That is the question.
Depuis 3/4 jours, j’ai reçu, comme des centaines de femmes, un message sur facebook et par SMS. Ce message disait que pour se battre pour les droits des femmes, un RDV avait été pris avec M.Beji caid Essebsi pour lui demander de faire inscrire le Code du statut personnel dans la prochaine constitution tunisienne. Ce texte demandait aux femmes, si elles désirent avoir plus de précisions, de venir à une réunion le mardi à 17h au centre culturel d’el menzah 6. A la fin du message, on demandait à chacune de nous d’inviter un maximum d’autres femmes. Je l’avoue, je n’ai renvoyé ce message à personne. Pourquoi ? Parce que je ne savais pas qui était derrière. Qui organisait cette manifestation ?
Ensuite, un évènement facebook a été créé (j'ai d'ailleurs donné à cette note le même titre que cet évènement facebook). On n’y apprend pas plus. J’ai partagé sur facebook. Qui sait ? C’est peut-être sérieux.
Cette après-midi, je suis allée voir.
La salle était archicomble, des femmes étaient dans les couloirs, sur les marches. Des centaines de femme s’étaient déplacées comme moi. J’en connaissais plusieurs. Certaines seulement depuis quelques mois, mais d’autres depuis toujours, des amies à ma mère, des parentes….
Dans la foule, j’ai aussi reconnu des visages de femmes connues, des militantes… elles étaient toutes là pour se renseigner, savoir de quoi il s’agit.
Une femme était sur l’estrade. Elle nous expliquait qu’il s’agissait d’une initiative citoyenne, sans l’intervention d’aucun parti, ni association, ni organisation d’aucune sorte.
Elle nous a dit qu’un texte, dont plusieurs exemplaires avaient été distribués dans la salle, avait été rédigé. Des RDV avaient été pris avec M.BCE, M.ANC, M.MBJ, M.MM et M.RG pour leur présenter ce texte.
Ces femmes y demandent que les droits des femmes ne soient plus un enjeu politique ou idéologique, que le CSP soit intégré dans la future constitution, et que les droits des femmes tels que décrits dans les diverses convention internationales soient respectés. Elles demandent par ailleurs que personne ne puisse plus à l’avenir porter atteinte à ces droits.
Il y a eu dans la salle des femmes qui criaient que ce n’était pas suffisant, et qu’il fallait réclamer une égalité totale entre tous les citoyens (femmes ou hommes) tunisiens.
L’erreur de ces femmes, je pense, a été de ne pas commencer par se présenter. Qui sont-elles ?
Question posée et reposée. Elles se présentent comme simple citoyennes, mais est-ce suffisant ?
Ce qui est dommage en fait, c’est qu’à un certain moment, il y a eu une cacophonie monstre. Chacune voulant poser ses questions et parler avant ou plus fort que les autres. En fait, nous n’entendions ni ne comprenions plus personne.
Plusieurs femmes sont d’ailleurs parties sans même attendre la suite.
Certaines femmes ont émis le doute que ces femmes qui sont parties étaient peut-être justement là pour embrouiller la situation.
Après l’insistance des femmes présentes, on nous a finalement dit que l’idée avait germé spontanément lors d’un déjeuner entre amies et qu’elles avaient décidé par la suite d’agir en essayant chacune d’amener ses amies, et amies de ses amies…
Qui sont donc ces femmes ? D'après ce qu'elles ont dit, elles sont 11 femmes, de métiers divers, mères de familles, qui ont décidé d’agir pour préserver les acquis des tunisiennes.
Elles ont pu obtenir des RDV avec le premier ministre et divers chefs de partis pour justement leur faire cette demande.
Elles ont annoncé s’être cotisées pour louer 4 bus. Ces bus se trouveront demain mercredi 11h devant la coupole d’El Menzah pour aller ensemble à la Casbah rencontrer M.BCE à 13h.
Faut-il ou pas faire confiance à ces femmes ?
Après la fin de la réunion, des dizaines de femmes se sont groupées dehors, elles parlaient entre elles et discutaient du sujet. Faire confiance en ces femmes ou pas ? Aller avec elles demain ou pas ?
Je me suis promenée d’un groupe à l’autre. J’en ai entendu de toutes les couleurs. Il y a celles qui leur font une totale confiance et qui sont prêtes à les suivre, et bien-sûr, il y a celles qui s’y refusent totalement, disant qu’il y a surement une manipulation et une récupération quelque part.
Que penser ?
Je ne sais pas.
Les arguments de part et d’autres sont convaincants. Mais par ailleurs, il y a une telle paranoïa ambiante ces derniers temps !!!
Certaines pensent qu’il s’agit peut-être de ex-RCDistes qui veulent nous manipuler. Certaines autres pensent qu’il s’agit de la nahdha qui aurait organisé cette action de demain pour contrer l’AG du FUT qui va traiter des divers cas de harcèlements et agressions contre les professeurs et étudiantes de ces derniers jours. Certaines autres pensent qu’elles sont peut-être elles-mêmes manipulées par des forces occultes….
Je ne connais aucune de ces 11 femmes. Mais en restant, j’ai vu que certaines sont des amies de longue date d’amies à ma mère et qu’elles leur font confiance. Il parait qu’elles n’avaient jamais milité auparavant dans aucune organisation, ni parti, ni association.
Ce qui est certain, c’est qu’elles paraissent très sincères, même si elles reconnaissent elles-mêmes qu’elles n’ont pas su présenter leur projet, ce qui prouve justement qu’elles sont novices en la matière.
Certaines femmes présentes étaient d’accord pour participer à cette action de demain, mais rejetaient le texte, qui est en réalité très très mal écrit. De discussions en discussions, elles étaient d’accord pour que le texte soit modifié. Ce que j’ai apprécié, et qui prouve peut-être qu’elles sont de bonne foi, est qu’elles ont accepté que ce texte soit revu par une personne spécialiste tierce. Nous avons proposé un juriste, et elles ont accepté.
Bref, demain matin, 2 ou 3 d’entre elles vont montrer ce texte à un ami juriste que j’ai proposé. Et on verra.
Faut-il donc faire confiance à ces femmes ? Je ne sais pas vraiment. Mais je vais essayer de leur accorder le bénéfice du doute. Elles paraissent sincères. Je vais essayer de les accompagner et voir. Qu’y a-t-il à y perdre ?
Si vraiment ce sont des citoyennes qui ont pris une initiative, pourquoi ne pas les encourager ? Et si elles ne sont pas sincères, rien ne m’oblige à rester avec elles.
Il faut bien commencer quelque part.
De toute façon, je suis curieuse de voir ce qu'il va vraiment se passer. A défaut d'y être comme une femme défendant ses acquis, je vais essayer d'y être en tant que blogueuse pour vous raconter la suite.
P.S.: sur facebook, énormément d'accusations, de réserves, de questions... Normal. Je rappelle que je n'en sais pas plus que vous. Je ne connais pas ces femmes. J'ai juste eu l'intuition qu'elles sont sincères, mais je peux me tromper complètement. Alors, que chacune agisse en son âme et conscience.
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