J'ai assisté mercredi 27/07/11 à la présentation du dernier livre de M.Yadh Ben Achour "La Deuxième Fâtiha : l'Islam et la pensée des droits de l'Homme".
La présentation a commencé par une intervention de M.Abdelmajid Charfi pour lequel il existe deux YBA, le savant qui expose les thèses classiques et le militant engagé.
Cet ouvrage, serait d'après M.Abdelmajid charfi, l'œuvre du militant qui l'aurait écrit avec un cri du cœur.
M.Abdelmajid Charfi a aussi précisé que ce livre avait été écrit en 2010, donc avant la révolution, mais édité en 2011, d'où son intérêt parce qu'il s'agit surtout d'une réflexion profonde ne tenant pas compte d'impératifs du moment. Il s'agit donc d'une pensée structurelle et non pas conjoncturelle.
Je vous conseille de lire cet article "Yadh Ben Achour présente La Deuxième Fâtiha ouvrage philosophique pour les uns, politique pour les autres" de Seif Soudani qui résume très bien comment s'est déroulée la présentation. J'aurais quand même une petite rectification à faire: le dernier intervenant, qui s'est assis à la table de YBA sans y être invité, n'a pas chanté "un chant identitaire et religieux", il a prétendu avoir écrit un poème pour l'occasion. Ce qui est faux. Il s'agit en réalité d'un poème de Sghaier Ouled Ahmed, poète tunisien.
Par rapport à cet article, je voudrais juste ajouter quelques remarques personnelles, qui relèvent plus du ressenti que de la raison.
Tout d'abord, je voudrais revenir sur le principe de la non souffrance dont M.YBA a longuement parlé: "la souffrance que je refuse pour moi, je la refuse pour tous les autres". De là découle d'après lui le refus de la torture, le refus de porter atteinte à l'intégrité physique...
Ce qu'il a dit là m'a rappelé la règle d'or: "Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse". Cette règle existe dans pratiquement toutes les religions, y compris dans la religion musulmane: "Aucun d'entre vous ne croit vraiment tant qu'il n'aime pas pour son frère ce qu'il aime pour lui-même".Hadith 13 de al-Nawawi. J'adore cette règle, si elle était vraiment appliquée, nous serions tous très "heureux". Personnellement, elle est pour moi la base de tous nos rapports et j'essaye de la respecter autant que possible.
De quoi parle ce livre?
Je ne l'ai pas encore lu, juste acheté. Mais d'après M.Abdelamajid Charfi et M.YBA, ce livre nous donne une nouvelle lecture des versets 23 à 37 de la sourate Al Isrâ’. Ces versets seraient une sorte de commandements. Il s'agit d'une éthique de la responsabilité. D'après M.YBA, à part la beauté esthétique extraordinaire de ces versets, ceux-ci donnent en plus un aperçu sur les droits de l'Homme dans l'Islam.
D'après M.YBA, il y a plusieurs façons de lire le Coran. Il vaut mieux le lire avec des yeux modernes pour y trouver une pensée des droits de l'Homme. Hélas, la majeure partie des musulmans lisent le Coran avec des yeux salafistes et rétrogrades. L'essentiel aujourd'hui est donc de savoir sélectionner nos méthodes de lecture.
Je suis tout à fait d'accord avec ce que dit là M.YBA. Et cela me ramène à ma jeunesse, période où autour de moi, on me disait la même chose. Période où on voyait la beauté de la religion musulmane et où on l'interprétait selon des règles humanistes et universelles, et où la tolérance et l'ouverture d'esprit avaient la prédominance. A cette époque là, on faisait surtout attention à l'esprit de la religion musulmane. Période où la morale avait bien plus d'importance que les rites ou dogmes. Je me rappelle qu'enfant et adolescente, autour de moi, aussi bien dans ma famille qu'à l'école, on me parlait de la religion musulmane comme d'une religion merveilleuse, qui s'occupait surtout de l'esprit, des relations des gens entre eux, de l'amour entre les Hommes, de la compréhension, de la tolérance, de la morale sociale... A l'époque, il n'existait pas de discussions sur le fait de savoir s'il faut descendre de son lit avec le pied droit ou le pied gauche, si un parfum pouvait empêcher le jeun, s'il faut se mettre un vernis à ongles avant ou après les ablutions pour la prière... Toutes ces discussions inutiles n'existaient pas Dieu merci.
Écouter M.YBA m'a rappelé à quel point l'islam pouvait être beau et m'a montré à quel point aujourd'hui certains voulaient le dénaturer.
M.Abdelamjid Charfi a d'ailleurs fait allusion à cela en relevant que dans le chapitre IX "La lettre et l'esprit", on pose la question: dans quel esprit les révélations ont-elles été faites?
En fait, tout est question de références. Les intégristes, les salafistes et les passéistes ont une vision particulière. Et j'ajoute qu'il est regrettable qu'aujourd'hui certains tunisiens soient entrain d'épouser cette vision réductrice de l'Islam.
M.YBA a insisté sur l'universalité des droits de l'Homme. Pour lui, il ne faut pas faire de distinctions entre les êtres humains. Il ne faut en aucun cas tenir compte du sexe, de la couleur, de la race... Les droits de l'Homme concernent tous les humains sans aucune distinction. La nature est pleine de différences et les droits de l'Homme refusent ces différences et doivent se construire en faisant abstraction de tout. La culture des droits de l'Homme doit être supérieure. Il faut tout transcender: nature, culture, histoire... Si nous faisions des distinctions, nous ne ferions que nous battre toujours entre nous. Nous entrerions dans le relativisme. Les droits de l'Homme ont besoin d'absolu et d'universalité.
M.Abdelmajid Charfi n'est pas d'accord. Pour lui cela serait trop idéaliste.
M.YBA a rappelé qu'il est actuellement plongé dans le feu de l'action. Il a même été menacé lorsqu'il avait dit que sa première religion est la démocratie. Certains esprits n'ont pas compris ce qu'il voulait dire. Il voulait en réalité dire qu'il voulait une religion personnelle, réelle et authentique, et cette religion ne peut être fondée que sur la liberté et l'auto-détermination personnelle et non pas sur le conformisme. Il a rappelé qu'il venait d'une famille religieuse et conservatrice, mais qui lui a appris l'autonomie et la liberté personnelle et lui a permis de choisir. La religion est un choix personnel et non pas un héritage familial ou culturel. Chaque personne devrait choisir sa religion en toute liberté. Lui-même se sent musulman parce qu'il a choisit cette religion, non pas par tradition familiale, mais par choix personnel, convaincu et réfléchis. Encore une fois, je suis totalement d'accord avec M.YBA. L'important est de choisir ses croyances en toute liberté. C'est à mon avis ce qui donne encore plus de valeur à ce choix. Ne vaut-il pas mieux être musulman (ou chrétien, juif ou autre) par choix et conviction plutôt que par un simple accident de naissance?
Cette remarque m'a d'ailleurs rappelé une discussion avec M.Lotfi Zitouni de la Nahdha. Il avait dit presque la même chose il y a quelques semaines. Mais je n'étais pas d'accord avec lui. En effet, M.Zitouni avait fait cette distinction entre le musulman par tradition et le musulman par choix pour faire une division et une hierarchie entre les Tunisiens. Il disait que tous les tunisiens n'étaient pas vraiment musulmans et que seuls l'étaient ceux qui prononçaient la chahada par choix et que ce choix devait provenir du plus profond d'eux-mêmes. Et les autres? Et n'étant pas de vrais musulmans, restent-ils quand même de bons citoyens?
Comme quoi, on peut penser pareil, mais pour des objectifs complètement opposés!!!
M.Ghazi Gherairi a pris la parole. Pour lui, ce livre est éminemment politique. Il pense que M.YBA commence par un constat et une interrogation. La plupart des pays arabo-musulmans ont un problème avec la modernité et ont renoncé à une certaine norme de la morale, de l’esthétique et du droit. Pourquoi les musulmans ont-il des difficultés pour s’insérer dans l’esprit des temps modernes? Comment retrouver l’inspiration du début de la religion musulmane? M.YBA a l’espoir d’une certaine conciliation entre les droits de l’homme et l’Islam. M.Gherairi dit d’ailleurs avoir été interpelé par le chapitre X "La loi de Dieu et la purification des sociétés impies" qui parle de la théologie du soupçon et de la théologie de la purification. Il y a aujourd’hui l’émergence d'une théorie qui nie par principe la pensée des droits de l'homme et tout ce qu'elle considère provenir de l'occident. Or le livre écrit en 2010 trouve une résonance dans la révolution tunisienne. Lors de cette révolution, non seulement il n'y avait aucun slogan religieux ou identitaire, mais en plus les valeurs des droits de l'homme ont été à l'origine de cette révolution. Il faut aujourd’hui relire ce chapitre X et y trouver une question d’actualité et une matière constitutionnelle. Aujourd’hui, il y a un éclairage nouveau sur ce chapitre X.
Suite à cette question posée par une personne présente: comment faire admettre à la base que sa religion est la liberté? M.YBA a été amené à parler du système éducatif tunisien qui est d'après lui complètement défaillant. D'après lui, les peuples sont aujourd'hui cultivé, mais aussi cultivables. Il faut développer les peuples selon les capacités de chaque personne. Il y a des nations qui éduquent et qui donnent à l'ensemble de leurs peuples une éducation qui leur permet de s'ouvrir à toutes les lumières de la science et de la connaissance. Mais il y a malheureusement aussi des nations qui sont complètement déficientes sur ce plan-là et qui ne donnent pas à leurs peuples les moyens de s'ouvrir aux lumières de la science et de la raison. En Tunisie, en janvier 2011, ce n'est pas l'élite qui a fait la révolution, mais le peuple. Qu'avait-il demandé? Il avait demandé la liberté d'abord, la dignité, l'État de droit, le pluralisme, etc... Si nous voulons poursuivre le chemin dans ce sens, il faut réellement reconsidérer notre système éducatif qui n'ouvre pas l'esprit aux lumières et à la culture. C'est un système éducatif renfermé sur lui-même (regardez les programmes d'histoire, les programmes de littérature...) qui enferme les esprits et forme des esprits étroits, trop concentrés sur l'orgueil national, sur l'identité, sur l'authenticité... Or ces perspectives sont fausses et ne mènent à rien, nous pouvons hurler que notre culture est la meilleure, que dans l'histoire nous avons été les plus forts, les plus intelligents, que nous avons été ceci ou cela..., cela ne changera rien à l'état des lieux, nous sommes aujourd'hui une civilisation mineure. Pourquoi? Parce que nous nous sommes condamnés nous-mêmes à la médiocrité par des systèmes éducatifs archaïques, par des systèmes d'éducation familiale qui sont aussi archaïques, par un manque de développement de l'autonomie dans l'esprit de l'enfant, par des systèmes familiaux basés sur l'utilisation de la violence contre les enfants... nous créons des violents à l'école et dans nos familles. Il faut cesser tout cela. Ce peuple qui a réussi à faire cette révolution, il faut l'aider par le développement de la culture, de la culture ouverte, de la culture des droits de l'homme, il faut refaire notre système éducatif, il faut refaire les programmes d'histoire, d'éducation religieuse, de littérature....
Merci M.Yadh Ben Achour. Farhatdtli 3ala 9albi!!!!
Mais je voudrais ajouter une précision: il y a une distinction à faire entre le système éducatif tunisien d'avant Mzali et après Mzali, et surtout une distinction à faire entre le système éducatif de l'époque Bourguibienne et celui de l'époque Ben Ali, époque où la médiocrité a été développée sur tous les plans.
Merci pour cet article.J'ai l'impression d'y avoir assisté.
Rédigé par : Sonia | 01/08/2011 à 15:50
Merci pour cet article et j'ai apprécié votre précision concernant le système éducatif tunisien. C'est tout à fait vrai mais en plus le système après Mzali a "fabriqué" des assistés partisans du moindre effort puisque toute initiative a été sciament détruite tout au cours du cursus scolaire.
Rédigé par : chaherli | 06/08/2011 à 13:56