Dès que j’ai appris qu’un film de Yousry Nasrallah était projeté sur les écrans parisiens, je me suis dépêchée d’aller le voir. Et je ne l’ai vraiment pas regretté.
Je pense qu’à une seule exception, je n’ai jamais été déçue par les films de Yousry Nasrallah, bien au contraire. A chaque fois, j’ai envie de voir et revoir ses films, une seule vision étant insuffisante pour y voir tout ce que Yousry Nasrallah a voulu nous montrer.
Ehky ya schahrazad ou femmes du Caire, tels sont les titres de ce film, son titre original et son titre français, film tout récent, qui décrit un aspect de la situation de la femme égyptienne, de nos jours, encore en 2009.
Synopsis :
Le Caire, de nos jours. Hebba et Karim forment un couple de journalistes à succès, jeunes, riches et beaux. Hebba anime un talk-show politique, mais sa pugnacité anti-gouvernementale met en danger la promotion qu’attend son mari. Il lui met la pression ; elle promet de mettre un peu d’eau dans son vin. Son émission troque alors la politique pour des faits divers féminins. Le succès est immédiat : Hebba passionne des millions de spectateurs avec des histoires vraies, pleines de surprises, de violences, de rebondissements, les emmenant des bas-fonds du Caire à la jet-set, impliquant des membres du gouvernement, dans un tourbillon de sensualité et d’inventivité romanesque. Mais où s’arrête la politique, où commence la question de la condition féminine ? Hebba se retrouve très vite en terrain miné fait d’abus, de tromperies religieuses, sexuelles et... politiques. De conteuse, Hebba devient elle-même une histoire.
Après avoir vu ce film, j’ai lu plusieurs articles à son sujet, des articles écrits par des journalistes, par des critiques de cinéma, par une blogueuse (1), (2), (3), (4), (5), (6)… Et je suis d’accord avec tous. Je vous invite à faire de même. Bien que chacun interprète le film sous un angle divers, ils sont tous unanimes pour en dire beaucoup de bien.
J’espère contribuer à enrichir le débat par ma propre contribution, et cela surtout en disant: il ne s’agit pas seulement de la femme égyptienne, mais il s’agit de toutes les femmes arabo-musulmanes, et peut-être même de la Femme, bien que je ne connaisse pas la situation des femmes du monde entier pour affirmer cela.
Je me limite donc à la femme arabo-musulmane.
Je sais, j’entends déjà tous ceux qui diront : oui, mais la femme tunisienne a dépassé tout cela et joui aujourd’hui d’une égalité quasi-parfaite avec les hommes.
Ok. D’accord. Mais seulement sur certains plans.
Oui, d’accord, la femme tunisienne a bien plus de droits que toutes les autres femmes arabo-musulmanes. Je sais. Je suis d’accord.
Mais dans ce film, il ne s’agit en aucun cas de droits.
La femme tunisienne est majeure comme l’homme, et juridiquement, du moins en ce qui la concerne personnellement, elle a les mêmes prérogatives que l’homme tunisien. Elle peut par exemple, et par elle-même, décider de travailler, de faire des études, de voyager, de se marier, de divorcer… sans autorisation d’un tuteur. Oui, ok, c’est vrai. Mais si on parlait de la société, de la pression sociale et non pas de droit?
Je dirais que socialement, il reste encore beaucoup à faire. Et c’est bien ce que montre ce film.
Dans une société sclérosée, ployant sous le poids des traditions, où est la place de la femme?
Le film d’ailleurs, nous montre des femmes de milieux différents pour prouver que cela touche toutes les classes sociales, pas seulement celles qui sont défavorisées ou illettrées.
Hebba est une femme instruite. Son mari aussi. Ils sont jeunes, beaux et riches. Ils s’entendent sexuellement. Donc, à priori, aucun problème à l’horizon. Pourquoi y en aurait-il d’ailleurs? Si ce n’est que la société veille.
Karim, le mari de Hébba est un lèche-bottes. N’ayons pas peur des mots. Il veut une promotion, il veut être reconnu, mais non pas grâce à son mérite, mais grâce à ses relations et aux courbettes qu’il passe son temps à faire à gauche et à droite.
La relation de Karim avec ses collègues et avec ses supérieurs est en soi un problème de nos sociétés : hypocrisie, léchage de bottes aux « waslins ». Mais dans ce film, ce qui m’intéresse, c’est surtout le fait que Hebba est plus «propre» et courageuse que son mari. Elle est plus intègre. Elle ne veut pas de ces manœuvres de lèche-bottes. Elle voudrait pouvoir s’affirmer par elle-même et par son travail, et c’est aussi ce qu’elle souhaite et conseille à son mari.
Hebba a commencé à avoir un certain mépris pour son mari, mais sa copine la met en garde: «n’oublies pas que c’est ton deuxième mariage, si jamais tu divorçais, que diraient les gens et quel serait ton avenir?». Voici une injustice flagrante de nos sociétés: un homme peut divorcer, encore et encore, il pourrait toujours se remarier, refaire sa vie. Mais une femme?
Une femme, pourrait à la limite divorcer une fois, on pourrait à la limite lui pardonner une fois, mais deux?
Même si elle est parfaite, même si elle ne commet aucune faute, on le lui reprocherait: elle est divorcée. C’est une divorcée. Une étiquette qui colle à la peau. Une tare. Attention, elle est divorcée. Quelle maman en voudrait pour son fils?
Pourtant, Heba et Karim viennent d’un milieu censé instruit et «moderne».
Tout est moderne chez ce couple : un appartement meublé à l’américaine, une nourriture américaine (on les voit manger je crois à deux reprises, et à chaque fois, ils mangent du pain de mie, des sandwichs… pas de cuisine égyptienne).
Leurs relations de couples semblent modernes, leur façon de faire l’amour parait moderne, et pourtant….Pourtant, lorsque Hebba a commencé à manifester son désaccord, son mari lui a bien signifié qui est l’homme et où se trouve la place de chacun.
Pourtant Hebba a fait preuve de bonne volonté. Elle a essayé d’aider son mari. Bien que n’étant pas d’accord avec sa manière de vouloir plaire à ses patrons, elle a quand même «obéi» à son mari et modifié son émission. Lorsqu’il n’a pas la promotion escomptée, que fait-il ?
Il se venge sur Hebba, il la bat. Il manifeste toute sa rancœur contre elle, il la rend responsable de tous ses problèmes, et c’est l’œil au beurre noir qu’elle ira témoigner. Hébba, la femme moderne et instruite est battue par son mari, parce que c’est ainsi. Parce que même lorsqu’une femme est en apparence traitée sur un pied d’égalité, elle reste une femme et doit être corrigée.
Je sais, j’ai parlé de la fin du film, mais il s’agit d’histoires de femmes, et j’ai commencé par celle de Hebba, même si son histoire se développe tout au long du film.
Pour faire plaisir à son mari, et aussi par crainte d’un deuxième divorce, Hebba est d’accord pour changer le sujet de son émission de TV, et voilà que l’occasion lui en ai offerte d'une manière inattendue.
Hebba se rend dans une parfumerie. Elle est habillée à la dernière mode. Elle s’enquiert de la nouvelle collection de Chanel et commande toutes les couleurs de rouges à lèvres. On comprend que Hebba est privilégiée.
Une vendeuse de cette parfumerie lui reproche le fait que son émission ne traite pas des problèmes de tous. Comme Hebba s’étonne, la vendeuse lui propose d’aller avec elle pour découvrir une autre réalité que la sienne.
Cette vendeuse elle-même est intéressante. Elle dit à Hebba qu’elle est double. En effet, elle travaille dans cette parfumerie, elle est habillée à l’occidentale, mais dès qu’elle quitte son travail, elle se voile et vis dans les quartiers défavorisés. Hebba l’accompagne. Dans le métro, Hebba est l’unique femme à ne pas porter de voile. Tous la regardent avec insistance. Ils la fixent et la mettent mal à l’aise. La vendeuse ressent ce malaise et lui donne un foulard pour qu’elle se couvre la tête comme toutes les autres femmes.
La pression sociale et le voile. Une belle image. Certaines se voilent peut-être par choix, mais toutes les autres? Toutes les autres le font-elles vraiment par choix?
N’est-ce pas la pression sociale qui les y oblige, cette pression pouvant être un parent, le voisinage, un patron, ou tout simplement le regard des autres?
Pour son émission, Hebba va donc rencontrer des femmes différentes, et chacune va raconter son histoire.
Nous avons celle qui est resté vieille fille. Elle a fini dans une clinique psychiatrique. Pourquoi? Parce qu’elle a refusé le carcan social, elle a refusé le mariage à l’égyptienne (ou à l’arabo-musulmane), elle a refusé le joug des traditions, elle a refusé la suprématie du mâle, elle a refusé d’être l’ombre d’un homme.
Elle va à un rendez-vous. Elle écoute le prétendant énoncer toutes ses conditions. Et à la fin, elle lui dit qu’elle accepterait toutes ses conditions, mais qu’elle demande juste ce qu’elle aura en retour. Quoi? Elle répète: pourquoi renoncerait-elle à sa liberté, à son indépendance financière, pourquoi est-ce qu’elle accepterait de faire le ménage, de s’occuper de la belle-mère, de faire la cuisine…? En contrepartie de quoi? Que va-t-il lui apporter lui?
Que répond le prétendant ?
Un mari.
Une femme doit consentir à tout cela, à toutes ces restrictions, à toutes ces obligations, seulement et uniquement pour avoir un mari.
Mais qu’est donc un mari dans nos sociétés ?
Elle est prête à renoncer à tout cela pour avoir un compagnon, pour avoir un amoureux, un partenaire, un prince charmant, mais… on ne lui offre qu’un mari, qui ne remplirait aucune de ces «taches». En fait, elle ne consentirait à tous ces sacrifices que pour obéir à la société et jouir du statut de la femme marié. Et quel statut !
Cette femme est venue témoigner à l’émission de Hebba. J’ai adoré lorsqu’elle a commencé son témoignage en disant qu’elle voulait parler du voile. Hebba étonnée, lui demande s’il s’agit du voile islamique, elle lui répond que non, qu’elle parle du voile qui couvre depuis quelques temps les esprits des gens. Ce voile qui s’est abattu sur les cerveaux de tous les égyptiens, hommes et femmes.
Je dirais: pas seulement égyptiens d’ailleurs!
Il y a deux autres témoignages dans le film. Je ne peux les raconter tous. Mais à chaque fois il s’agit de femmes victimes d’hommes. D’hommes qui profitent des lacunes de nos sociétés et s’en servent pour tromper, bafouer, profiter, exploiter des femmes. L’oncle qui vole l’argent de ses nièces, pourtant elles-mêmes pauvres, l’employé qui séduit les filles de son patron décédé, le futur ministre arnaqueur…
D’ailleurs, pour ce dernier témoignage, la femme est arrêtée pour avoir protesté et posé une simple question: sur quels critères les ministres sont-ils nommés?
Yousry Nasrallah profite d’ailleurs de son film pour aborder d’autres problèmes que ceux de la place de la femme dans nos sociétés. Il parle de corruption, il parle de drogue, il parle d’hypocrisie… Et comme on le répète souvent dans ce film, tout est politique.
TOUT EST POLITIQUE, c’est bien vrai.
Je ressens ce film comme un signal d’alarme. Attention, mesdames et messieurs, nous avons des problèmes. Nos sociétés arabo-musulmanes souffrent. Et un des problèmes majeurs est celui du statut de la femme, qui représente, il ne faut jamais l’oublier, la moitié de l’humanité.
Allez voir ce film, c’est le conseil que je vous donne. Entre temps, lisez les articles qui lui ont été consacrés.
Quand à moi, je le reverrais avec un très grand plaisir.
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