Nous étions sortis vers 12h.
Nous avions pris la ligne A du RER, lorsque tout d’un coup, le train s’est arrêté à une station. Une voix nous a demande de tous descendre parce qu’un accident grave avait eu lieu.
J’ai tout de suite pensé à une mort. Qu’est-ce qu’un accident grave dans un RER si ce n’est une personne qui décède sur les rails ?
Nous descendons tous du train. Nous étions quelques centaines. Il était samedi sur la ligne A, direction Marne la vallée, donc essentiellement Eurodisney et un centre commercial.
Nous étions tous égarés, ne sachant que faire. Je trouve que la RATP a mal géré, nous aurions du être mieux renseigné sur le : qu’allons-nous faire ?
Nous attendons tous de longues minutes sur le quai. Que faire ? Attendre ? Combien de temps ? Remonter en surface ?
Personne pour donner un renseignement.
Certains s’assoient sur les bancs, escaliers… D’autres finissent par monter pour demander plus d’éclaircissements.
En haut, pareil. Personne pour nous guider. Cohue totale.
Nous remarquons enfin un employé de la RATP, nous nous ruons sur lui. Il nous apprend qu’une personne était morte sous un train. Suicide ? Meurtre ?
Ce qui m’a étonnée, c’était l’indifférence des gens face à cette mort. Tout ce qui les intéressait était : et nous ? Qu’allons-nous faire ?
Une voix se fait à nouveau entendre. Le trafic est interrompu sur un tronçon de 4 stations. Cette interruption durera environ une heure. Il est prévu que le trafic reprendra vers 14h.
Fallait-il attendre sur place ? Y avait-il une solution de rechange ?
Le trafic reprendrait-il vraiment une heure plus tard ?
Nous, voyageurs, demandons à cet employé ce qu’il fallait faire. Il fallait prendre le bus 320, avec correspondance avec le bus 220 et reprendre le RER 4 stations plus loin. Il ne nous dira bien-sûr pas combien de temps durera ce périple.
C’est la ruée vers le bus 320. On n’entend qu’insultes contre cette personne décédée. Pourquoi dérange-t-elle tout ce monde ?
Les voyageurs prennent d’assaut le bus 320. Le chauffeur est effrayé. Il appelle sa direction pour des explications. On lui dira qu’un homme s’était suicidé en se jetant devant le train.
A mon avis, ce chauffeur a été l’unique personne à avoir de la compassion pour ce malheureux. Tous les voyageurs étaient par contre dans une rage folle contre ce type. Pourquoi maintenant ? Pourquoi le RER ? Pourquoi cette ligne ?
Les voyageurs poussent, crient, essayent de monter dans le bus… Mais des centaines de voyageurs ne peuvent monter dans un bus. Il faut attendre le prochain, ou celui d’après…
Dans le bus, nous sommes serrés come des sardines. C’est à peine respirable.
Et les commentaires vont bon train.
Ce salaud, ne pouvait-il pas se tuer sans faire chier le monde ?
Pourquoi ne s’est-il pas jeté du haut de son immeuble ?
Ne pouvait-il pas choisir le dernier train pour ne pas emmerder les honnêtes gens ?
Pourquoi pas la Tour Montparnasse ? Il aurait pu se jeter du haut de la Tour Montparnasse ?
Pourquoi pas la Seine ? Avec tous les ponts qu’il y a, il n’aurait dérangé personne !
Une personne disait et répétait : pourquoi ne s’est-il pas tout simplement pendu chez lui ? S’il ne savait pas s’y prendre, je l’aurais aidé, je lui aurais fait un joli nœud et j’aurais même donné un gentil petit coup de pied à son tabouret.
Aucune compassion. Aucune question. Qui est-il ? Pourquoi s’est-il suicidé ?
Les voyageurs étaient tout à leur rage. Pourquoi ce sale con s’est-il suicidé en emmerdant les autres ? Pourquoi n’a –t-il pas pensé aux autres ?
Environ une heure de bus. Dans la chaleur. Dans la sueur. Dans les odeurs.
Et puis, tout le monde descend. Il faut changer de bus.
C’est samedi, les transports en commun sont rares. Le bus se fait attendre. Il arrive enfin, plein à craquer. Il faut pourtant le prendre. Et c’est la cohue, les cris, les insultes. J’ai même crains les coups.
Quelques personnes montent, d’autres restent.
Et dans le bus, à nouveau, on suffoque, on se pousse, on s’insulte, mais surtout on insulte le suicidé.
Quel con celui-là. Mais quel con ce salaud. Ne pouvait-il pas se suicider autrement ?
35 stations. Oui, je dis bien 35 stations de bus pour arriver à l’RER et reprendre le trajet normal. Il s’est écoulé entre temps 2 heures et demi. 2h30 de colère. Il a fallut 2h30 pour retrouver la ligne de RER et reprendre le trajet. Un trajet qui aurait du durer juste quelques minutes.
Le trafic interrompu a repris quelques minutes plus tard, soit environ 2h40 après le drame.
Je suis restée perplexe face à la réaction des gens et de la mienne.
C’était samedi. Les gens travaillent toute la semaine et attendent samedi avec impatience. Ils ont programmé ce samedi. Certains vont aller voir leur famille, d’autres vont aller faire des courses, d’autres courent à un RDV important, d’autres vont enfin voir leurs enfants…
Des touristes viennent de loin, avec des enfants impatients de voir Mickey et ses amis.
Ils courent tous. Ils ont tout programmé. Certains sont attendus… Et voilà que tout d’un coup, tous leurs projets tombent à l’eau. Des mères affolées appellent leurs enfants. Des gens téléphonent, reportent un RDV, s’organisent autrement, essayent de trouver des solutions, supplient une nounou de rester plus longtemps. Des parents essayent de calmer leurs enfants nerveux…. Et tous en veulent à ce suicidé. Il s’est suicidé, mais il a dérangé leurs projets. Il s’est infiltré dans leurs vies. Son acte a eu des répercussions plus ou moins graves sur la vie de tous ces gens.
Mais…
Mais cela excuse-t-il de ne pas avoir de la compassion face aux malheurs d’autrui ?
Je me pose la question depuis hier.
Je ne suis pas un ange. Je ne dirais pas que j’ai réagis différemment. Ce n’est pas vrai. J’ai eu quelques pensées pour ce suicidé, pour son désespoir et surtout pour ses éventuels enfants, mais j’ai eu mes moments de colère contre lui. Pourquoi faire chier le monde ?
Et je me pose la question.
Sommes-nous égoïstes au point d’en vouloir à un suicidé d’avoir dérangé nos plans ?
J’ai passé une nuit blanche. Je n’ai pratiquement pas dormi jusqu’au matin. Je me posais et reposais la question.
Si nous avions appris ce suicide à la Tv et qu’il ne nous avait pas concernés directement, aurions-nous eu plus de compassion ? Aurions-nous plus partagé son désespoir et celui de sa famille ?
Ou bien, sommes-nous devenu insensibles à la mort d’autrui ?
Ou bien, à force de voir la mort partout, à la Tv, aux infos… est-elle devenue tellement abstraite que nous ne la ressentons plus ?
Je ne sais pas.
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