Hier, j'avais appelé un ami médecin, Sami Ben Sassi, qui va tous les jours à la Casbah pour aider les manifestants. Je lui avais demandé s'il avait besoin d'aide. Il m'avait alors dicté une liste de médicaments à acheter et à lui ramener et m'a demandé de le rejoindre.
Je ne sais pas que raconter, ni quoi, ni comment. Je suis encore sous le coup de l'émotion.
Je pense que je vais particulièrement insister sur les bénévoles.
Lorsque j'avais été à la pharmacie avec ma liste, la pharmacienne était absente. La laborantine était gênée. Elle ne voulait pas que je paye, mais elle n'osait pas prendre l’initiative de me donner des médicaments gratuitement. Il a fallut la convaincre que je ne pouvais pas attendre, que j'avais besoin de ces médicaments et que j'allais les payer. Elle a insisté, ensuite, nous sommes arrivées à un compromis: je payais ce que je prenais, mais je lui laissais mon numéro de téléphone pour que la pharmacienne me contacte et me donne gratuitement d'autres médicaments si elle le désire.
Un laborantin qui avait assisté à la discussion est allé chercher une vingtaine de boites d'Efferalgan à la vitame C et me les a offert. Il a dit à sa collègue de les mettre sur sa note. Du coup, une autre laborantine est allée me chercher divers autres médicaments et me les a aussi offert, en les prenant en charge elle-même.
J'étais touchée par leur générosité. Vraiment.
A la Casbah, j'ai constaté que l'armée encercle les manifestants et que normalement, on ne peut les rejoindre. Mon ami est médecin, et je portais des sacs de médicaments. Ils nous avaient donc laissés passer sans problème..
J'ai été étonnée de constater à quel point notre docteur était populaire parmi les manifestants. Certains le saluaient, d'autres le remerciaient, d'autres encore le consultaient...
A la Casbah, j'ai été étonnée par l'organisation des manifestants. Ils sont regroupés par ville. Chaque ville a sa tente ou son campement. Les manifestants étaient pacifiques. Certains vaquaient à leurs occupations (préparer le couchage pour le soir à cause de la pluie qui avait mouillé des matelas et des couvertures, nettoyage, distribution de nourriture, de vêtements...).
Je n'ai pas vu de groupes d'islamistes. En fait, pendant les 4/5 heures que j'ai passées à la Casbah, je n'ai vu que deux barbus habillés de 9amis. Et je n'ai vu qu'une seule pancarte islamiste.
Arrivés à la petite cellule médicale, nous y avons trouvé environ 4/5 médecins et une infirmière. Ils avaient organisé un système de garde de façon à ce qu'il y ait en permanence des médecins pour parer à toute éventualité.
Nous étions 3 ou 4 personnes non qualifiées. Nous nous sommes attelées à la tâche: rangement, aide, classement des médicaments...
Au début, il y avait juste quelques personnes qui venaient pour des petits bobos (petites blessures, maux de gorge, mal de dents...), quelques uns pour des problèmes plus graves (diabète, asthme...) et puis, arrivée du premier gréviste de la faim.
Et ensuite le 2ème, et le 3ème, le 4ème, le 5ème...
Cela a été un peu la folie. On aurait dit un service d'urgence. Ces gens étaient dans un était de pré-coma ou de coma hypoglycémique. Il fallait les soigner, les perfuser...
Entre temps, d'autres médecins étaient arrivés.
Mais la nuit était tombée. Et il n'y avait pas de lumière. Les médecins travaillaient grâce aux torches des téléphones portables et des bougies. Ce n'était vraiment pas facile. Essayez donc de trouver une veine et la piquer sans lumière!
Des journalistes étrangers étaient sur place. Mais ce qui est étonnant, je n'en ai pas vu un seul tunisien, du moins, pas dans la cellule médicale.
Les médecins s'activaient comme ils le pouvaient. Certains ont pu faire jouer leurs connaissances pour obtenir une ambulance et faire ainsi évacuer les malades à l'hopital Aziza Othmana.
Le docteur Sami Ben Sassi a appelé Sami Zaoui, secrétaire d’Etat aux Technologies de la communication au sein du nouveau gouvernement d’union nationale, pour lui demander d'intervenir d'urgence auprès du gouvernement pour avoir de la lumière et pour avoir des équipes médicales et au moins une ambulance.
Quelques minutes plus tard, il y avait de la lumière, et une promesse d'aide médicale.
Sami Ben Sassi a aussi appelé les médias tunisiens pour obtenir une couverture médiatique et pour lancer un appel aux bénévoles pour qu'ils viennent aider les manifestants en tant qu'êtres humains, quelques soient leurs idéologies politiques.
Ce qui m'a vraiement plaisir hier, c'était de voir des gens calmes, pacifiques, bien élevés. Très loin de la pagaille qu'on aurait pu imaginer.
Ce que j'ai adoré surtout a été de voir que nombreux étaient ceux qui voulaient aider. On m'a parlé d'une cellule des avocats qui étaient là pour aider. On m'a parlé d'entreprises et de particuliers qui avaient proposé leur aide (sous couvert d'anonymat, donc pas pour la pub), on m'a parlé de gens qui étaient venu donner de l'argent, des médicaments, de la nourriture, ou même une oreille attentive... On m'a parlé de solidarité, d'aide, de réconfort.
Et cela m'a vraiment fait plaisir.
Je suis fière de vous Tunisiens. Vraiment fière. Fière d'être Tunisienne.
Le soir, en partant, nous étions 3 femmes. On nous a confié à un bénévole pour qu'il nous accompagne jusqu'à nos voitures. Heureusement, il a été notre ange gardien, et sans lui, nous aurions pu tomber dans un guet-apens. Je vous en parlerais dans ma note suivante, ne voulant pas gâcher celle-la à cause de personnes malhonnêtes et opportunistes.
Vous trouverez les photos que j'avais prises hier ici. Malheureusement, j'étais plutôt occupée et je n'ai pas pu en prendre plus.
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