Vendredi dernier, j'étais à un séminaire à l’hôtel International. Vers 13h, 13h30, nous, les participants à ce séminaire avons entendu une clameur venant de la rue. Nous sommes allés rapidement aux fenêtres. Il y avait une manifestation de barbus à l'avenue Habib Bourguiba. Quelques hommes sont descendus pour voir cela de plus près. Ils sont remontés et nous ont dit qu'en effet, des barbus manifestaient contre le professeur, qui d'après eux, aurait insulté le prophète. Je dis "aurait", parce que bien-sûr, rien n'est prouvé.
J’ai lu plusieurs articles à ce sujet.
Le premier disait que le professeur avait parlé des versets 11 à 26 de la sourate XXIV qui sont consacrés à innocenter Aïcha d'une accusation d'adultère. J’ai même lu un article qui disait que ces versets sont étudiés depuis des années dans nos écoles sans avoir jamais causé aucun problème particulier. Il s'agit d'un fait historique, attesté d'ailleurs par ces versets.
Ensuite, j'ai lu deux articles, pratiquement identiques (l’un a copié l’autre ?), mais dans deux magazines différents, accusant le professeur d'avoir dit que le prophète était pédophile et que s'il avait vécu à notre époque, il aurait été poursuivi en justice.
J'ai aussi lu un article innocentant le dit professeur, et racontant que les camarades des deux petites filles accusatrices, avaient témoigné en faveur du professeur.
Bref, désinformation totale. Des médias qui ne savent pas faire leur travail. Infos et intox sont devenues notre pain quotidien.
Personnellement, je vois très mal un professeur portant de telles accusations contre notre prophète, cela serait un grave manquement à son rôle d’éducateur. Un professeur doit enseigner une vérité historique et non pas porter des jugements personnels et manquer de respect aux religions.
Je pense plutôt que la première hypothèse est la plus plausible. Le professeur aurait parlé de cet incident de l'accusation d'adultère, et de l'issue de cette histoire. Et je pense que les deux élèves qui ont porté leurs accusations auraient mal interprété ses propos. De toute façon, une enquête objective devrait nous éclairer à ce sujet. Du moins, je l'espère.
Vers 15h, nous étions toujours en séminaire, et nous avions entendu des tirs. Ensuite, nous avons sentis les lacrymogènes.
Plus tard, je suis moi-même descendue dans l'avenue. Il y avait énormément de policiers. J'ai posé des questions aux gens. On m'a raconté que des barbus s'étaient attaqués aux femmes non voilées et à celles qui étaient attablées aux cafés. Il parait qu'ils étaient très agressifs. Certains auraient utilisé des bâtons. On m’a dit qu'il y a eu un moment de panique dans l'avenue, que des femmes pleuraient, que des gens fuyaient... On m'a raconté que lorsque la police a été obligée d'intervenir et a dispersé la manif, les gens applaudissaient.
Des tunisiens applaudissant la police ! C'est un spectacle inhabituel, mais significatif quand même. Les gens ont en marre de ces barbus qui squattent l'avenue Habib Bourguiba et y sèment la terreur.
J’ai fait quelques pas dans l'avenue. J'ai parlé avec des gens, et ensuite, j'ai trouvé un groupe de policiers, en uniforme et en civil. Je suis aussi allée leur parler. Ils m'ont raconté la même version que les badauds. Ils étaient eux-aussi très heureux d'avoir été applaudis. Ils m'ont fait des reproches en disant que nous, les autres (entendez par là, les non-barbus) avions tort de ne pas agir et de laisser ces gens accaparer la rue et les médias.
Que pouvais-je répondre?
Nous ne laissons pas faire, mais nous agissons différemment. Et c'est vrai, nous agissons différemment. Nous essayons de nous grouper, de former des associations.... Est-ce la bonne solution? Je ne sais pas vraiment. Je l'espère. Mais occuper la rue est-elle aussi une bonne solution?
La solution est les urnes. Allons tous voter en masse le 24 juillet.
Le problème qui se pose: est-ce que les tunisiens sont tous conscients des enjeux de cette constituante?
Ce n'est pas sur.
Avant-hier, toujours dans l'avenue (certains m'ont prise pour une journaliste en me voyant parler aux uns et aux autres), des gens m'ont affirmé qu'ils n'iront pas voter. Lorsque j'en ai demandé la raison, ils ont répondu qu'ils ne sauraient pas pour qui voter. Ils ne veulent pas de la Nahdha, mais ne connaissent pratiquement pas les autres partis.
C'est grave.
Certains m’ont dit qu’ils ne savaient pas en qui avoir confiance. Ils ne savent pas, et me paraissent avoir jeté l’éponge. Ce que j'ai trouvé émouvant, c’est que ces gens me demandaient mon avis. Ils me demandaient conseil. On voit vraiment le désarroi. Ils veulent savoir, mais ne savent pas comment ou quoi faire. Je n’avais pas voulu les influencer. D’autant plus que je n’ai moi-même pas fait mon choix.
Après insistance, j’ai fini par leur conseiller de voter en leur âme et conscience, mais de voter utile, c’est-à-dire de voter pour des partis qui pourraient gagner, pas pour de partis minuscules, ce qui ne servirait à rien.
Ce qui me rassure, c’est qu’il est fort probable que les petits partis finiront par s’unir, d’une façon ou d’une autre. Et nous y travaillons.
Je l’avoue, j’ai adoré me promener dans l’avenue et parler ainsi avec les gens, mais je n’étais pas très rassurée.
J’adore ce contact avec les gens. J’adore les écouter. J’adore avoir d’autres points de vues, de personnes qui n’ont malheureusement pas souvent l’occasion de s’exprimer.
Ma plus belle expérience, je crois, a été une grande discussion improvisée devant le Théâtre municipal de Tunis le 20 mars 2011. J’en garde un excellent souvenir, et ces deux photos, qui, pour moi, représentent la Tunisie Plurielle:
Pour arriver à ma voiture, qui était garée un peu loin, je devais passer par une rue un peu sombre et j’avoue que j’ai eu un peu peur. Peut-être l’ambiance particulière de l’avenue. J’ai donc demandé à un policier qui était là à écouter mes bavardages avec les gens, s’il voulait bien m’accompagner jusqu’à ma voiture. Ce qu’il a fait.
Ce qui m’a permit de discuter avec lui pendant quelques minutes. Il paraissait désespéré et sincère. Il ne comprenait pourquoi les tunisiens ne les aiment pas, eux les policiers. Il demandait ce qu’il fallait faire pour que le peuple les aime. Il dénonçait ses supérieurs, leur incompétence, leur corruption.
J’ai essayé de lui expliquer que les abus de certains avaient conduit à cette situation. Qu’il est normal que les gens n’aiment pas ceux qui les répriment, ou les rackettent...
Il a essayé de me raconter leurs conditions de travail. Je crois qu’il pensait vraiment que j’étais journaliste, et il me suppliait presque de leur envoyer un journaliste intègre qui passerait une nuit avec eux dans un quartier chaud de la ville pour comprendre leurs conditions de travail.
Ah si seulement il était possible d’avoir une baguette magique qui permettrait de résoudre tous les problèmes de la Tunisie d’un coup !
Bon, je sais, faut pas rêver !!!!
Ensuite, j’avais été chez mes parents, mon père m’a aussi raconté qu’il avait entendu parler du grabuge qu’il y avait eu à l’Avenue Habib Bourguiba et les rues avoisinantes. Il m’a dit que des bars avaient été attaqués.
Samedi, j’avais été voir le film Persepolis à la maison de la culture Ibn Khaldoun. J’avais acheté un sandwich et j’en avais profité pour poser des questions aux gens qui faisaient la queue et au type à la caisse. On m’a raconté qu’en effet, vendredi, des barbus s’étaient attaqués à des bars et qu’ils avaient cassé des vitrines.
Rabbi yoster.
C’est vraiment dommage tout cela.
Où est donc passée la solidarité des tunisiens du 14 janvier ?
P.S. : Les immeubles de la rue Ibn Khaldoun sont encore plus beaux que dans mes souvenirs !!!
J’espère que le nouveau gouvernement, quel qu’il soit, pensera à les sauvegarder.
bellahi arrêtez de régurgiter les termes réducteurs que vous entendez chez les médias Français. "Barbus" n'est pas le bon terme surtout dans ce contexte dérogatoire qui me ramener a considérer votre sincérité.
Rédigé par : mehdi | 03/05/2011 à 06:25
@ Mehdi: S'ils se rasaient, je ne dirais plus barbus!!!!
Si j'avais dit islamistes, on m'en aurait quand même fait le reproche. Je suis sure qu'une personne m'aurait demandé comment j'aurais su que c'étaient des islamistes. Que ce n'est pas écrit sur leurs visages.
Et bien, barbus, c'est une réalité et c'est visibles sur leurs visages!!!!
Maintenant, tu crois en ma sincérité ou pas, c'est ton problème, et ton choix.
Rédigé par : Massir | 03/05/2011 à 10:42