Il y a 20 ans, en novembre 1987, j’étais encore étudiante à Paris. Début Novembre, c’était les vacances de la Toussaint. Mon Oncle et sa femme se trouvaient à Milan. Je suis allée les y rejoindre. Nous avions passé quelques jours agréables. Le 7 novembre 1987 exactement, nous devions repartir chacun de son coté, eux à Tunis et moi à Paris.
Nous étions sortis le matin, et nous avions appris qu’il s’était passé quelque chose à Tunis, mais nous ne savions pas quoi.
En tout début d’après-midi, j’avais pris l’avion pour Paris, en ignorant toujours ce qu’il s’était passé chez nous.
J’arrive à l’aéroport Charles de Gaule, je donne mon passeport pour le contrôle de police. Et surprise:
- Vous êtes tunisienne? C’est extraordinaire ce qui s’est passé chez vous aujourd’hui!
- Que s’est-il donc passé chez nous?
- Vous n’êtes pas au courant? Il y a eu un coup d’État!
- Comment???????????
- Mais oui, il y a eu un coup d’État. Bourguiba a été renversé. Mais c’est extraordinaire, c’est un coup d’État complètement à l’image de la Tunisie: en douceur, sans aucune effusion de sang. Vraiment extraordinaire, il n’y a jamais eu un coup d’État pareil. Il n’y qu’en Tunisie qu’une chose pareille peut arriver. Vous êtes un pays pacifique. Vraiment bravo!
J’étais surprise… et fière. Fière du compliment. En Tunisie, chez nous, il y a eu un coup d’État, sans aucune goutte de sang versée. Quel beau pays la Tunisie. Quelle fierté d’en faire partie!
J’ai quitté l’aéroport dans un état second. Chez nous, un coup d’État? En Tunisie? Un coup d’État exemplaire? Pas de sang????
Mais qui? Comment? Et Bourguiba????
Arrivée chez moi, je me suis installée directement devant ma TV. Et j’ai vu. J’ai d’ailleurs tout enregistré. J’ai vu la joie du peuple. J’ai vu le nouveau président. J’ai entendu son discours…. Je crois que je n’ai presque pas bougé de devant ma TV. Je zappais d’une chaîne à l’autre, enregistrant tout ce qui se disait à propos de la Tunisie et de son coup d’État exemplaire. La Tunisie, mon pays.
J’ai appelé mes parents, ma famille, mes amis…
C’est sûr, il y a eu un coup État, et personne n’en avait souffert. Personne.
L’espoir avait envahi la Tunisie. L’Espoir battait dans le cœur de tous les tunisiens. L’Espoir avait remplacé le désespoir qui depuis quelques années régnait sur la Tunisie.
Bourguiba, bien qu’il ait mis la Tunisie sur les rails du développement, bien qu’il ait été un grand homme… avait quand même commis une erreur monumentale: il n’avait pas su se retirer à temps et assurer sa succession. Et depuis quelques années, le pays se trouvait sous le contrôle d’un vieil homme sénile. Il avait hypothéqué l’avenir de Sa Tunisie, et ne s’en rendait même pas compte.
Ce général qui arrivait à ce moment avait mis de l’espoir dans le cœur des gens. En plus, il était arrivé avec de belles paroles et des promesses. Et tous y avaient cru…
Le lendemain, j’étais encore sous le choc, et toujours collée à ma TV, bien que souvent, les diverses chaînes passaient et repassaient les mêmes images. Mais j’étais presque hypnotisée. Je regardais encore et encore, inlassablement, ces gens qui laissaient éclater leur joie….
Ce lendemain, j’étais invitée à déjeuner chez ma cousine. Je prends le métro, dans la station, il y avait une TV qui passait des infos. Je regardais encore. J’attendais mon métro et je regardais encore ces images qui arrivaient de Ma Tunisie…
Le métro arrive. Je monte tout en regardant toujours la TV. Mes yeux ne quittaient l’écran que difficilement. Manque de pot, premier méfait du coup d’État pour moi: j’étais tellement concentrée que je n’avais pas remarqué que j’étais dans le compartiment 1ère classe, et je me suis faite choper par les contrôleurs. Le coup d’État en Tunisie m’avait valu une amande à la RATP….
C’était il y a 20 ans. Beaucoup d’espoir. Une lueur avait brillé pour les tunisiens.
Qu’en est-il aujourd’hui????
Déception. Déception. Déception….
Désillusions…
Et le désespoir à nouveau. Mais un désespoir plus profond qu’il y a 20 ans. Un avenir bien plus sombre.
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