«Cette liberté est le seul moyen d’affronter un monde sans
liberté, et de devenir si absolument libre qu’on fasse de sa propre
existence un acte de révolte»
Albert Camus (1913 – 1960)
«Même
moi, je n’ai jamais été capable de piger ce que c’est le féminisme :
j’ai seulement remarqué que les gens m’appellent une féministe chaque
fois j’exprime des sentiments qui me distinguent d’un paillasson ou
d’une prostituée».
Rebecca West (1892-1983)
Il était
une fois un homme qui vivait seul… parmi des hommes. Tout ce qui se
rapportait à son existence paraissait homogène et harmonieux. Il
commandait de son libre arbitre tout ce qui l’entourait… Son pouvoir
souverain n’était nullement partagé avec qui que ce soit. Ce fut une
des prérogatives incontestables que lui octroya le Tout-Puissant et au
sujet de laquelle nul soupçon n’était toléré.
Un jour, cet homme
commença à se soucier du pouvoir et du bonheur dont il avait toujours
eu la chance de jouir. D’un seul coup, des êtres inférieurs se sont mis
à réclamer ce qu’ils appelaient grossièrement leurs droits et leurs
libertés. L’un de ces insurgés ingrats était sa compagne de vie. Elle
osait revendiquer l’égalité entre toutes les créatures de Dieu en
sortant de sa coquille pour lui faire concurrence dans divers rôles et
métiers. De plus, cet homme si malheureux devait souffrir de la voir se
montrer en public sans avoir honte de sa personne, sans se présenter
dans ce moule qu’il avait divinement conçu pour elle afin de la
protéger. Elle, cette Ève qui, autrefois, lui avait fait goûter la
pomme des péchés, revenait aujourd’hui sur terre pour le pousser à se
livrer à une infinité d’autres vices par sa présence insolente et quasi
diabolique et par son intervention illicite dans son territoire privé
qu’est la terre.
Pire encore, cette femme est désormais soutenue
par d’autres créatures méprisables, ayant à l’esprit des visions
particulières et une conception du monde distincte de la sienne,
qu’elles osent afficher devant lui en toute impunité. Ainsi, ce pauvre
homme, harcelé par une logique despotique combien étrangère qui
persiste à lui imposer la liberté de pensée et l’égalité malgré toutes
les réclamations, se trouve obligé d’accepter cette nouvelle réalité.
Ce n’est qu’avec amère nostalgie qu’est aujourd’hui évoqué son paradis
perdu, où toute nuisance était vite supprimée, où tout lui appartenait
sans contestation aucune.
Bizarres sont ces barbares ! Ils ne
semblent pas se rendre compte du fait que leur présence est une
insulte, une atteinte à la morale et à l’Identité. Maudites soient ces
femmes dont la chair lui rappelle qu’il existera toujours un certain
côté satanique de l’existence, et que l’homme ne cessera d’alourdir le
poids de ses péchés malgré lui.
Encore bizarres sont ces rebelles
qui viennent prêcher une absurde pluralité dans l’unité, promettant une
nouvelle conception hérétique et insensée de l’identité sur sa terre à
lui, alors que lui a toujours aimé conjuguer le verbe croire à
l’impératif. En fait, sa propre interprétation des règlements du
contrat lui avait toujours confirmé l’inexistence de la dissimilitude
chez lui. Chez lui, tout est censé être naturellement et spontanément
uniforme et conforme à lui-même, car c’est simplement chez lui!
En
raison de tous ses malheurs, ce pauvre homme se trouve souvent obligé
de se contenter de savoir qu’il existe encore des êtres inférieurs qui,
étant complètement convaincus de leur infériorité comme des asservis
qui regrettent l’abolition de l’esclavage, le soutiennent dans sa
malheureuse épreuve et l’encouragent dans son entreprise en toute
confiance et fierté.
En outre, afin d’atténuer la dureté de
cette réalité si pitoyable et afin de pas avoir à subir tous les
indices qui trahissent son impuissance prolongée, il se met souvent à
discourir sur le Soi et sur Autrui, sur les prostituées et les âmes
vendues, et puis sur la fameuse chimère de l’Orient et de l’Occident,
en songeant que les échecs et les crises successives dont souffre ce
dernier le pousseront un jour à reconsidérer ses Lumières, peut-être
même à retrouver son moyen-âge … oubliant toutefois que la blessure
d’Achille au talon et son ultime défaite ne feront jamais que
ressuscite Hector, son adversaire au combat.
Le pauvre homme est
cependant conscient dans son for intérieur que ses efforts ne sont en
fin de compte qu’une tentative désespérée pour sauver ce qui est déjà
perdu. Ceci est manifestement confirmé par l’état des choses, ou l’état
des signes: signes de liberté de choix… et de corruption, d’égalité… et
d’indécence, de pluralité… et de décadence. Que des présages annonçant
la fin du monde, la fin de son monde!
Wassim Jday
Source: La Presse - 30/06/2010
Merci Wassim!
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.