Il y a trois semaines, je suis allée voir le film «Making of» de Nouri Bouzid. Je l’ai trouvé excellent. A tous les points de vues. Aussi bien par le sujet abordé, que par la manière d’aborder ce sujet.
Avant de parler du film, je voudrais juste dire un petit mot concernant l’acteur principal Lotfi Abdelli: je l’ai trouvé lui aussi excellent. C’est la première fois que je le vois, mais je trouve qu’il a été parfait. Il joue aussi bien le rôle de Bahta, que celui de Lotfi, l’acteur qui se pose des questions sur le rôle qu’on lui fait jouer. Le prix d’interprétation qu’il a eu pour ce rôle est tout à fait mérité.
Ce film «Making of» aborde le sujet de l’islamisme. Plus précisément, il met en évidence l’intolérance des intégristes.
Il montre le malaise des jeunes tunisiens, complètement paumés, sans espoir et sans avenir, incompris par leur entourage, sans travail, ni encadrement.
Ces jeunes se retrouvent facilement embobinés.
Au début du film, on voit ces jeunes s’adonner à leur passion: la danse. En occident, ils auraient pu avoir de l’aide pour canaliser leur énergie dans une telle passion pacifique plutôt que d’avoir à faire les durs dans la rue. Chez nous, ils sont pourchassés par la police.
En fait, ce film montre que dans une société intolérante, il n’y a pas un grand choix d’avenir: on est soit bandit, soit intégriste.
Or les intégristes ne sont pas progressistes, ils sont au contraire conservateurs ou même rétrogrades. Ils veulent une société sans changements, une société statique, sur laquelle le temps n’a pas d’effets. Les privilèges restent les mêmes. Pas de débats, pas d’échange d’idées, pas de remises en causes….
Tout est tabou: on n’en parle pas, on refuse d’en parler. Donc, rien ne changera.
Selon l’intégriste: la femme est l’origine du mal.
Pourtant lui-même est hypocrite. Je trouve que la différence d’âge entre l’époux intégriste et sa jeune femme est en elle-même un signe d’hypocrisie.
La femme est voilée, et elle a envers Bahta des sourires et des regards équivoques, qui pourraient laisser penser qu’elle a envie de le draguer.
Un reproche a été fait à Nouri Bouzid: la majorité des spectateurs n’a pas aimé la fin du film.
J’ai moi-même cette impression de film inachevé. Une impression de fin en queue de poisson.
Mais par ailleurs, quelle autre alternative?
Qu’aurait pu être une fin différente?
Bahta pouvait-il échapper au suicide? Qu’aurait-il pu être? Quel avenir lui restait-il? Quelles perspectives s’offraient à lui?
Bahta était tiraillé entre l’endoctrinement dont il a été victime et ses propres valeurs. Il s’est tué, mais sans porter préjudice à autrui. Il a été programmé pour s’exploser en faisant des victimes. Ses propres valeurs lui interdisaient de faire du mal à autrui. Le compromis a été de se tuer, seul.
Il paraît que le choix de l’endroit du suicide, en l’occurrence, le port et les containeurs, est un clin d’œil au fait qu’il aspirait à partir, à émigrer en Europe.
Je trouve qu’avec ce film Nouri Bouzid a su tirer son épingle du jeu: il a bien transmis son message, sans tomber dans le stéréotype. Même son acteur ne voulait pas jouer certaines scènes. Il lui a expliqué qu’il n’est pas contre l’islam, mais contre le fait d’instrumentaliser l’islam.
Bravo Nouri Bouzid. Je le trouve courageux d’aborder le sujet. De toute façon, ce n’est pas la première fois qu’il est courageux. Je rappelle qu’il y a de très longues années, dans son film «l’homme de cendres», il avait parlé de deux autres tabous de notre société: la pédophilie et l’homosexualité.
L’autre soir, j’ai rencontré un ami cinéaste. Il reproche au film l’absence de contre discours. Il trouve qu’il n’y a pas un autre son de cloche à l’intégriste. D’après lui, en première lecture, on pourrait comprendre le film comme pro-islamiste. Il pense que les gens «moyens», pourraient faire abstraction des interventions de Nouri Bouzid et comprendre le film comme pro-islamiste. L’islam serait l’unique moyen de sauver Bahta de sa vie de dépravé. Il paraît que c’est cette absence d’un autre son de cloche qui a fait que ce film n’a pas été retenu pour être présenté à Cannes.
Je ne suis pas très convaincue par ce raisonnement.
Cet ami cinéaste reproche aussi au film son dénouement. Pourquoi le suicide?
J’ai rencontré à une soirée privée, Lotfi Dziri, l’acteur qui joue l’intégriste dans le film, pour lequel, sans l’intervention de Nouri Bouzid, la lecture du film aurait été complètement différente.
En fait, bien qu’il semble dire la même chose que mon ami cinéaste, je pense qu’il y a une différence.
Mon ami, parle du film tel quel, et pense que ce film risque d’être mal compris, et que les spectateurs non «avisés» pourraient ne pas le comprendre. Par contre Lotfi Dziri dit que les interventions de Nouri Bouzid sont l’essence même du film, et je suis tout à fait d’accord avec lui.
Vendredi à Sousse, lors du débat qui a suivi le film, un homme accompagné de sa femme voilée est intervenu pour critiquer le film et son message. Il disait être là pour défendre l’islam contre les attaques du film. Et a voulu agresser verbalement Nouri Bouzid.
On dit que l’occident a rejeté ce film. D’après Lotfi Dziri ce film ne plait pas aux occidentaux parce qu’il fait une distinction entre islam et islamisme, alors que l’occident voudrait faire l’amalgame entre les deux. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Je ne pense pas que l’occident veuille faire cet amalgame, et même si c’était le cas, je pense que nous musulmans sommes responsables de cela.
C’est mon avis (ou mon impression personnelle), ce n’est bien-sûr basé sur aucune étude. Mais j’essaie de me placer du coté occidental. Quelle image l’islam ou les musulmans offrent-ils?
Je prends un exemple tout simple. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours vu des caricatures de Jésus ou de Moïse. Il y a eu parfois certaines polémiques à ce sujet, mais je ne me rappelle pas que le monde ait jamais été embrasé pour cette raison. Lors de la parution des caricatures danoises, le monde a brûlé. Je trouve cela disproportionné et cela donne à l’occident une image d’intolérance des musulmans.
J'ai bien aimé cet article concernant ce film.
"En occident, ils auraient pu avoir de l’aide pour canaliser leur énergie dans une telle passion pacifique plutôt que d’avoir à faire les durs dans la rue. Chez nous, ils sont pourchassés par la police."
Je ne suis pas d'accord Massir. D'abord ces jeunes étaient pourchassés dans la rue non à cause de cette passion pour la danse mais plutot pour les tags sur les murs. Ensuite, en occident, ce genre de jeunes reçoivent très peu d'aides, rien qu'a voir ce qui se passe en France pour ne pas aller plus loin (géographiquement).Donc sur ce plan je ne suis pas sûre que nous sommes pires ici qu'ailleurs.
Pour revenir au film, je le trouve bon, pas excellent. Tu le qualifies d'inachevé, je dirais plutôt immature et un peu superficiel. Le sujet est certes sensible, il est courageux de l'aborder mais je ne sais pas, je sens qu'on aurait pu aller plus loin tant au niveau du scénario que de l'idéologie. Après bon, je suis pas une pro dans la matière pour me permettre plus de jugements. Et je pense que le fait d'avoir vu khamsoun la veille est à l'origine de cette opinon. Ceci étant dit, je trouve que l'intervention régulière de Nouri Bouzid est une idée géniale puisqu'il fait comprendre clairement au spectateur que le film n'est pas pro islamiste et le message est clair pour les moins avisés et je crois même que ces derniers sont les plus ciblés par cet effet.
Rédigé par : Troub' | 05/03/2007 à 19:00
@ Troub':
Cela fait déjà 3 semaines que j'ai vu le film, mais d'après mes souvenirs, ces gosses voulaient trouver un endroit pour danser, et à chaque fois, la police les faisaient partir.
La passion de Bahta est justement la danse.
C'est dommage, je n'ai pas pu écrire ma note plus tôt, mes souvenirs auraient été plus vivaces.
En Europe, je sais qu'il y a des clubs, des encadreurs, des éducateurs... pour essayer d'encadrer ce genre de passions. Malheureusement, cela ne marche pas toujours, mais il y a au moins des tentatives.
Je n'ai pas encore vu Khamsoun, je ne peux comparer.
Mais j'ai beauoup aimé ce film. Son approche est d'ailleurs un peu originale par rapport aux autres films qui ont essayé d'aborder le même sujet.
Sincèrement, j'ai bien envie de le revoir.
Je le trouve un peu différent de "Yacoubian Building"
http://massir.blogs.psychologies.com/mon_massir/2006/09/yacoubian_build.html
et même du film "Le Destin" qui montre aussi quelque part l'endoctrinement et le lavage de cerveau des jeunes par les intégristes.
Rédigé par : Massir | 05/03/2007 à 19:15
Je suis totalement d'acoord avec Troub, le film est assez superficiel. Personnellement j'étais un peu étonné que les gens considèrent le film comme exceptionnel. Sinon je pense que les interventions de Nouri Bouzid ne m'ont pas convaincu, on y aborde courage, doute, crainte de Abdelli. Franchement, je suis inquiet parceque je ne trouve pas le film particulièrement courageux surtout la réaction de Abdelli pendant le tournage, peut être qu'il a été bon mais son comportement, plutôt sa réaction était catastrophique, il n'a rien compris au message. Si mes souvenirs sont bons il a bien dit : "et leur démocratie, qu'est ce qu'elle peut nous apporter." rien que pour cette réplique, désolé, mais il a raté une occasion pour se taire; que d'amalgames, que de confusions. Je pense que dans le même registre, l'immeuble yaacoubian dépasse largement ce film. Et on ne dira jamais assez que l'islamisme est un cancer qui est en train de gagner du terrain.
Rédigé par : un tunisien | 05/03/2007 à 22:32
@ Tunisien:
Abdelli, même lorsqu'il parle au nom de l'acteur, joue un rôle. Il joue le rôle de l'acteur naïf qui ne comprend pas où veut le mener le metteur en scène.
En fait, Abdelli fourni à Nouri Bouzid l'occasion d'expliquer son point de vue. Abdelli parle au nom de l'homme de la rue qui ne comprend pas. Il est l'ingénu, et Nouri Bouzid lui explique la différence entre islam et islamisme.
J'ai beaucoup aimé ce film.
"Yacoubian Building" est un film plus "général". Il traite de plusieurs problèmes touchant la société égyptienne et arabe. J'ai aussi adoré ce film.
La différence avec Making of, c'est que ce dernier est plus subtil. On y voit comment les intégristes, sous couvert d'aide, de compréhension... arrivent à manipuler les gens pratiquement à leur insu.
Bien-sûr, chacun son avis, mais j'ai beaucoup aimé.
De toute façon, je suis toujours pour que l'on puisse dénoncer les dérapages des islamistes.
Ce film, en plus du Tanit d'or qu'il a remporté lors des derniers JCC, vient de remporter aussi un prix lors du 20ème festival panafricain du cinéma et de la télévision (FESPACO) qui s'est tenu à Ouagadougou. Pour ce même film, Lotfi Abdelli a aussi remporté le prix de la meilleure interprétation masculine à dex reprises.
Rédigé par : Massir | 05/03/2007 à 23:00
Madame ... Si vous pouvez me ( Nous )parler de l'ISLAM et de l'ISLAMISME... Mes respects
BLEUNUIT
Rédigé par : bleunuit | 06/03/2007 à 00:16
Personnellement...je doute fort que Massir pourrait te répondre objectivement sur la distinction entre islam et islamisme...j'ai peur ya bleunuit que tu vas rester sur ta soif !!
Rédigé par : charismatic | 06/03/2007 à 00:54
"Bahta pouvait-il échapper au suicide?"
Ceci est la phrase de trop, qui raconte la fin du film.
C'est bien dommage d'enlever le suspens pour ceux qui ne l'ont pas encore vu, comme moi.
Et parceque je ne l'ai pas encore vu, je ne peux commenter.
Rédigé par : Heliodore | 06/03/2007 à 08:58
Je pense que le film est excellent parce qu'il pose des problématiques d'aujourd'hui. La scène où des jeunes se font virer par la police parce qu'ils sont en train de danser est réelle, je l'ai vu il y a quelque temps de mes propres yeux.
Les jeunes qui dansent le Hip Hop ont habitude de venir à côté de la gare de Tunis pour danser; c'est très joli et symaptique et à d'après mes souvenirs il n'y a jamais eu de problèmes particulier de bagarres ou ce genre de choses, cependant la police débarque à chaque fois et les disperse...
Que vont devenir ces jeunes frustrés, telle est la question que pose le film. Telle est la problématique...
Et l'un des chemins que prend alors cette frustration est sa transformation en une forme de lutte extrême : l'extrêmisme islamiste...
Le film est courageux parce qu'il casse un tabou et parle d'un sujet difficile dans la tunisie d'aujourd'hui. Vous ne pouvez pas imaginer quels batons ont été mis dans ses roues de la part du ministère de l'intérieur...
Rédigé par : Xander | 06/03/2007 à 11:02
hymne à la liberté et à la tolérance.
j'espére aller voir le film bientôt
l'alchimiste tj optimiste
Rédigé par : nabil | 06/03/2007 à 12:23
@ Bleunuit:
Charismatic a peut-être raison: puis-je être objective sur ce sujet?
Ce que je peux te répondre:
je respecte toute personne ayant la foi (quelque soit sa religion), mais je pense que la religion est une affaire personnelle. Je n'aime pas les gens qui veulent imposer leur religion, leur interprétation de leur religion, leur vision de la religion... à autrui.
Et je suis contre toute personne qui en plus n'hésite pas à utiliser la violence pour cela.
@ Héliodore:
Désolée, tu as tout à fait raison. J'ai complètement oublié ce "détail", parce que c'est ce que la plupart reprochent aux film.
@ Xander:
Je partage totalement ton avis.
@ Nabil:
Film à voir....
Rédigé par : Massir | 06/03/2007 à 22:35
arghhhhhhhhhh... merci pour le spoiler!
Rédigé par : Nasnoussa | 10/03/2007 à 17:56