Jeudi 1 décembre, j'ai passé une très grande partie de ma journée au Bardo en solidarité avec le rassemblement des universitaires.
Lorsque je suis arrivée, il y avait énormément de monde. A mon habitude, je m'étais promenée parmi les manifestants. J'avais ainsi pu remarquer quelques visages connus, dont ceux de certains élus. La grosse majorité des revendications de ces gens concernaient la fac.
(Cliquez sur les photos pour les agrandir)
J'avais aussi vu les tentes dressées par les sit-inners: des membres de Doustourouna, des citoyens venus du bassin minier, des membres du Mouvements du 24 Octobre, et d'autres.
Ces associations/mouvements réclament en fait ce pour quoi la révolution a été faite: liberté, dignité, démocratie, travail...
La crainte est de voir la dictature revenir à petits pas. Et les évènements de ces derniers jours ne sont pas vraiment de bonne augure. Il faut vraiment veiller à la nécessité de la séparation des pouvoirs, au refus du cumul des pouvoirs entre les mains du chef de Gouvernement ou celles d’un parti et la retransmission des délibérations de l'assemblée en direct sur une chaine de TV, et toujours insister pour inscrire le code du statut personnel dans la constitution.
Par la suite, toujours à mon habitude, j'étais allée me mêler à la foule, parler avec les uns et les autres, écouter les débats...
Des gens à tendance islamique étaient présents. Ils étaient eux aussi mêlés à la foule.
Le sujet principal de discussions était bien-sûr le niquab. Comme quoi Samir Dilou qui avait dit qu'il fallait ouvrir un débat national à ce sujet avait été écouté! Certains sont pour, d'autres contre.... Liberté individuelle. Liberté académique. Obligation religieuse. Mode wahhabite. Mais la plupart des discussions étaient pacifiques (à ce que j'ai vu).
Ce qui m'avait frappée, c'est le récit de certains médecins. Ils ont raconté les problèmes rencontrés dans les hôpitaux à cause de cette histoire de mixité et de niquab... Certains malades refusent d'être soignés par des gens du sexe opposé, ce qui donne lieux à des situations inextricables. Et le pire est que parfois cela dégénère, certains patients ne comprenant pas que parfois il est impossible de trouver une femme pour soigner leur femme ou un homme pour s'occuper d'eux. Il parait que parfois le ton monte et des esclandres sont de plus en plus fréquents. Comment résoudre ces problèmes? Va-t-il falloir, pour en satisfaire quelques uns, créer des hôpitaux pour femmes et des hôpitaux pour hommes? En avons-nous les moyens?
Idem pour les écoles, les lycées, les transports publics....
Alors que je partais, je m'étais retrouvée dans un groupe de discussion, je ne me rappelle même plus comment. J'étais seule face à des nahdhaouis (ce sont eux qui me l'ont dit, ce n'est pas écrit sur leur visage). Et puis d'autres personnes "modernistes" étaient arrivées. Cela se passait très bien. Je pense que nous avons du passer au moins une heure à parler.
C'était très bien. Bien que chacun défendait bec et ongles ses idées, cela se passait dans le respect. Pas de violence, pas de grossièretés, pas d'injures... Nous étions des gens bien élevés qui discutaient ensemble.
Mais. Mais il y a toujours un mais. A leurs théories théoriques, nous opposions des arguments pratiques, et surtout logiques. Nous ne discutions pas religion, mais comment vivre ensemble en société. Et certaines de leurs demandes sont plutôt très très difficiles à mettre en œuvre en Tunisie, surtout par manque de moyens financiers, comme justement cette demande d’hôpitaux réservés aux hommes et hôpitaux réservés aux femmes (vous imaginez les frais s'il fallait tout faire en double!!!). Nous avions discuté de libertés, de liberté d'expression, de refus de la violence... Et ils étaient d'accord, bien que parfois en leur donnant des exemples concrets, ils "coinçaient" un peu... Mais bon, cela se passait relativement bien.
Et tout d'un coup, l'un d'entre eux nous regarde et affirme que de toute façon, ce sont eux, les vrais musulmans, qui commanderont et que nous, musulmans de seconde catégorie, n'aurons qu'à obéir aux ordres. Je lui avais fait répéter et il avait affirmé que oui, nous n'aurons qu'à exécuter les ordres et que toutes ces discussions étaient inutiles. Avec les mains, il a mimé un avion et nous a dit en nous narguant: "Vrommmm, l'avion et allez-vous en. La Tunisie est à nous!" Et il a continué à faire ses gestes.
Je l'avoue, et méa culpa, j'avais perdu le contrôle. J'avais hurlé. Je me demande s'il y avait une personne au Bardo qui ne m’avait pas entendue hurler de toutes mes forces. J'avais hurlé que nous étions 12 millions de Tunisiens, et qu'il n'est pas question qu'un citoyen quelconque ait le moindre milligramme de droits de plus qu'un autre citoyen. Je l'avais hurlé et re-hurlé. Et tous doivent comprendre: plus aucun citoyen tunisien ne doit avoir un droit de plus qu'un autre citoyen tunisien.
Égalité. Citoyenneté. Dignité. Liberté. Démocratie.
Et je suis partie. J'avais quitté. Et le plus drôle est que je ne m'en étais même pas aperçue. Cela n'avait pas été une décision. Je m'étais juste retrouvée entrain de hurler et de quitter ce groupe.
Je me suis moi-même posée des questions. Pourquoi ai-je réagis de cette manière?
J'avais perdu patience.
Mais je pense aussi que c'est parce que cela m'avait rappelé une discussion qui avait eu lieu il y a quelques mois, plus précisément en mai 2011. Je participais à une table ronde dont l'invité d'honneur était Lotfi Zitoun de la nahdha. Cette rencontre m'était restée en mémoire.
M.Lotfi Zitoun nous avait parlé pendant environ 3 heures. Il avait été génial. Très poli, très posé. Très sincère aussi je pense sur certains sujets. Et même de bon conseil parfois.
J'avais beaucoup apprécié cette discussion avec cet homme. Et contrairement à deux ou trois autres personnes de la nahdha que j'avais rencontré ça et là, celui-là m'avait presque convaincue. Il était très logique, très perspicace. Et franchement, il m'avait fait entrevoir des aspects de la nahdha et des ses sympathisants que je ne connaissais pas.
Mais (encore un mais) il y avait quand même eu un "clash" lors de cette discussion. M.Zitoun après nous avoir expliqué en long et en large que la Tunisie restera "civile" et que tous les acquis, et en particulier ceux de la femme seront préservés... (je sais, ils disent tous cela, mais lui l'avait dit d'une façon bien plus convaincante) nous avait sorti une "énormité". Il nous avait dit qu'il fallait savoir qui étaient les vrais musulmans, sachant que toute personne qui se disait musulmane ne l'était pas nécessairement et que pour être un vrai musulman, il fallait le vouloir très profondément et dire la chahada du plus profond de son être.
Ah oui? Qui peut donc juger du degré "d'islamité" d'une personne? Et pourquoi? Dans quel but?
Et là... je ne vous raconte pas. Clash de chez clash. J'avais attendu la fin de la réunion pour lui répondre que dans un "État civil", tous les citoyens étaient égaux et que la foi et les croyances étaient strictement personnelles. Et que justement ce qu'il venait de dire là faisait tomber tout ce qui avait précédé dans l'eau. Personne n'avait le droit de juger les croyances des autres, ou les remettre en cause, ou les quantifier... La religion reste du domaine strictement privé et personnel.
Voila. je n'avais jamais oublié cet incident. Il était resté dans un petit coin de ma tête. Il résonnait de temps en temps. Comme un signal d'alarme. Attention. Attention. Attention. Les discours même les plus beaux et les plus convaincants peuvent cacher des "catastrophes".
Nous sommes tous citoyens tunisiens ÉGAUX. Il n'est pas question d'accepter une hiérarchie quelconque entre les citoyens tunisiens.
Ce que TOUS devraient comprendre, est que nous sommes tous tunisiens égaux et que nous sommes "CONDAMNES" à vivre ensemble, bon gré mal gré, et qu'il faut donc impérativement trouver le moyen de le faire pacifiquement.
Pour voir toutes les photos, il faut aller sur ma page facebook, ici.
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